Funérailles Edouard Delepoulle
Chapeau
On l’a bien compris, le troisième serviteur pose problème. Pourtant, son maître lui avait fait confiance. Pas autant qu’au premier à qui il avait remis 5 talents (c'est-à-dire 5 pièces d’argent), pas autant qu’au second à qui il en a remis deux. Sans doute le maître connaissait-il ses ouvriers. Il avait confié une mission à chacun en fonction des capacités. Cela veut dire que le maître connaît les personnes et leur fait confiance. Il les croit tous capables, même s’il sait que les capacités des uns et des autres sont différentes.
C’est là que se situe le problème du troisième serviteur. Non pas dans le fait qu’il ait moins de compétences. En soi, cela n’est pas grave. Par contre, il n’a pas cru que l’on croyait en lui. Le serviteur n’est pas entré dans la confiance. Pire, il a eu peur de son maître. « Seigneur, je savais que tu es un homme dur, que tu moissonnes où tu n’as pas semé… » Au lieu de comprendre que le maître lui donnait une chance de se réaliser, il s’est braqué en enfermant son maître dans un jugement. Au lieu de comprendre la confiance qui lui était accordée, le troisième serviteur s’est réfugié dans l’opinion qu’il se faisait de son maître. Et du coup, c’est l’immobilisme. Son œuvre est stérile. Certes, il n’a rien fait de mal. Il n’a pas perdu d’argent. « Tu m’avais donné un talent, le voici, tu as ton bien. » Mais il a déçu.
Il a déçu le maître dans deux domaines au moins. Tout d’abord, l’homme n’a pas osé. Il ne s’est pas cru capable. Il n’a pas essayé. La parabole ne met pas en scène un ouvrier qui aurait investi et qui, au final, aurait perdu de l’argent. Mais on peut deviner que celui-là n’aurait pas provoqué la colère de son maître. Le maître aurait été peiné de l’échec de son serviteur, mais il aurait été fier de son courage, de son audace. Ici, le troisième homme a enterré le talent. L’image est forte. Ce n’est pas seulement la pièce d’argent qu’il a mise en terre, c’est aussi sa vie ! Durant tout ce temps, sa vie est stérile, elle ne produit rien. Quel gâchis !
L’autre raison de la déception, c’est ce fameux jugement que le serviteur porte sur son maître. Il l’estime dur. Il se trompe. Ce maître est juste. Il rend son jugement à partir de l’idée qu’on se fait de lui. « Tu penses que je suis dur, alors je te juge durement !». Le serviteur s’est fait une opinion de son maître, il l’a enfermé dans cette idée. En lui montrant sa confiance, le maître avait tenté de lui montrer qui il était réellement, mais le serviteur n’a pas su voir, n’a pas su accueillir. Il ne s’est pas ouvert. Il était trop plein de ses certitudes. En enfermant son maître dans des jugements, il s’est enfermé lui-même.
Il y a donc deux déceptions en Dieu, car l’on comprend bien que le maître de la parabole c’est Dieu. La première : l’homme manque de confiance en lui, « lui » pouvant être Dieu ou l’homme lui-même. Et la seconde : l’erreur de jugement de l’homme sur Dieu : l’homme n’a pas compris la miséricorde de Dieu.
Heureux sont celles et ceux qui ne déçoivent pas Dieu. Non pas qu’il faille craindre Dieu. Encore une fois, sa miséricorde est infinie. Il n’y a donc pas de peur à avoir de Lui. Et justement, heureux sont celles et ceux qui savent, qui comprennent la bonté de Dieu. Ceux-là vivent libérés de toute peur. Dieu, qui a tout créé, croit en l’homme au point de confier à l’homme toute la création. C’est à l’homme d’oser des projets pour faire grandir cette création. Mais pas n’importe comment ! En suivant la volonté du Créateur : « Croissez et multipliez ! » On pourrait traduire par : « Ne soyez pas sclérosés, ne vous enfermez pas dans vos petites certitudes, ouvrez-vous ! » Un jour Jésus dira au sourd et muet : « Ephata, ouvre-toi ! ». C’est la même idée. Ne soyons pas figés dans nos silences, nos manques de concertation, d’écoute des autres… Accueillons l’autre, l’opinion de l’autre, tous les autres. Enrichissons-nous de leurs apports. Et enrichissons-les de nos talents. Nous sommes riches de savoir-faire, ne les gardons pas pour nous, faisons-les fructifier pour le bien de tous. Nos dons sont des dons ! Dieu est le donneur de dons. Dieu nous a confié ces talents, non pour notre gloriole, mais pour que l’humain qu’il a créé, tout l’humain, toute l’humanité, soit glorifié. En mettant en commun les richesses, nous devenons Corps du Christ, nous sommes glorifiés, ensemble. Dieu donne des talents aux uns et aux autres, à tous, pour que tous nous découvrions son Salut. Nous n’avons pas le droit de nous servir de sa bonté pour notre unique projet, notre seule satisfaction, notre gloire personnelle. Nous n’avons pas le droit d’utiliser nos dons pour nous proclamer supérieurs aux autres. Nous avons le devoir de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, en servant l’homme. Tout homme.
Regardons Jésus. C’est le serviteur aux cinq talents. Le plus parfait. Fils de Dieu, il est comblé de grâce. Il n’est que grâce. Il pourrait utiliser ses talents d’orateur, de guérisseur, de fédérateur, pour devenir roi. Au désert le Diable sait trouver les mots pour le tenter dans ce sens. Mais Jésus reste fidèle au projet de son Père. Tout ce qu’il a, tout ce qu’il est, il le rend à Dieu. Il rend la Grâce. Il rend grâce. Rendre grâce, c’est l’Eucharistie. Jésus devient Eucharistie, action de grâce permanente. Il se rend au Père. Ainsi, Jésus fait fructifier la vie. « Pour que vous ayez la vie en abondance » dit-il.
C’est Edouard lui-même qui a choisi ce texte d’Evangile pour ses funérailles. Il se savait fragile. C’est pour cela qu’il portait un chapeau, il craignait le soleil. Et il voulait qu’au jour de son départ, nous méditions sur cette parabole. Pour que nous ne craignions pas le soleil de Dieu ! Ce n’était pas pour que l’on fasse l’éloge de sa vie, de ses multiples engagements. Il a essayé, humblement, de vivre cet enseignement de Jésus. Son service auprès des malades, son dévouement pour le collège, sa passion pour le sport et surtout le foot avec le RC Lens, sa sagesse pour aider au discernement, sa gentillesse, son attention aux personnes, sa manière d’être auprès des prêtres. Surtout son amour pour vous Nicole, pour ses enfants et petits-enfants… Tellement de talents ! Il est comme le deuxième homme de l’Evangile. Il n’est pas le Christ, il n’a pas tous les talents, mais ceux qu’il a, il essaie de les faire fructifier pour le bien des autres. « C’est bien, chapeau, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, tu as été droit dans tes bottes, sur beaucoup de choses je t’établirai ; viens te réjouir avec ton Maître. »
Mes amis, puissions-nous, nous aussi, entendre cette phrase de la part de Dieu. Quels que soient nos talents, n’ayons jamais peur de les mettre en œuvre pour enrichir le monde. Transformer l’humanité. Oui, à la suite du Christ, nous aussi, faisons de notre vie, une eucharistie.
Abbé Xavier