Brin de causette.

 

Voilà déjà plus de 20 ans que je partage une amitié très forte avec Hélène. Hier soir, je l’écoutais me raconter la rencontre qu’elle a vécue avec Alina, une enfant ukrainienne qu’elle accueillait pendant les mois de juin et juillet. Quand Alina est arrivée, elle ne parlait pas. Bien sûr, la langue française est compliquée. Mais plus que la barrière linguistique, c’est la timidité, la peur peut-être, qui inhibait la jeune enfant. Hélène n’a rien forcé. Pendant le mois de juin, alors qu’Alina était inscrite à l’école, Hélène s’est montré présente, doucement. Le soir, grâce à Nounours, Hélène reprenait la journée : « Alors Nounours, dis-nous un peu… Aujourd’hui, qu’est ce qu’on a fait ? A l’école, on a rencontré… ». Hier soir, j’ai enfin compris pourquoi, à l’époque, ma petite sœur appelait son doudou « L’astuce ». Grâce au tiers en peluche, Alina se remémorait ses journées. Le brin de causette vécu avec Nounours permettait aussi de dire le programme du lendemain, et ainsi d’être rassurée. Les soirs de juillet, quand les vacances sont arrivées, Nounours annonçait avec douceur : « Demain, on ira faire des courses, après on ira à la piscine. Et puis il y aura une surprise… ». La surprise, c’est souvent Hélène qui l’a vécue. « Je pensais l’emmener dans le petit bassin. En fait, j’ai passé deux heures dans la pataugeoire. Plusieurs fois, j’ai dû revoir mon projet pour elle. C’est l’amour que j’avais pour elle qui m’a fait trouver des idées. Plus tard, quand la confiance était née entre nous, après avoir été à la mer, et avoir fait plein de trucs ensemble, on est allées dans l’autre bassin. ». Grâce à l’amour, petit à petit, l’enfant est entrée dans la confiance. Elle s’ouvrait. Les mots aussi venaient plus facilement. A tel point qu’elle a même retenu une chanson qui parle de la foi qui déplace des montagnes… « Effata » dit Jésus à un homme sourd et muet. « Ouvre-toi ».

 

C’est l’amour qui ouvre ! Souvenons-nous de la lettre que Saint Paul écrivait aux Corinthiens : « L’amour prend patience, l’amour rend service,… l’amour ne cherche pas son intérêt, il ne s’emporte pas… Il trouve sa joie dans ce qui est vrai. Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais.» On pourrait ajouter : l’Amour fait de grandes choses ! L’Amour qui est Dieu, fait de grandes choses. Il suffit de relire le livre d'Isaïe : « Dites aux gens qui s'affolent : ‘Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu… Il vient lui-même et va vous sauver.’ Alors s'ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. L'eau jaillira dans le désert, des torrents dans les terres arides. Le pays torride se changera en lac, la terre de la soif en eaux jaillissantes… »

 

L’Amour fait les choses en grand. Il fait doucement passer de la pataugeoire au grand bassin. On va dire les choses autrement… Par le baptême, nous sommes plongés dans la relation trinitaire. Nous sommes submergés par l’Amour qu’échangent le Père et le Fils dans l’Esprit. Nous baignons dans cet Esprit, dans la force absolue de l’Amour divin. Le peuple des baptisés, l’Eglise, si elle prend conscience de l’Amour dans lequel elle baigne, ne peut pas être silencieuse. Mes amis, ne sommes-nous pas trop timides ? Non pas muets, mais timorés ? L’Eglise, les paroisses, les mouvements, les chrétiens proposent souvent des actions. La générosité est sincère. Les œuvres ont du sens. Mais… Mais on ne sait pas toujours bien les dire. Nous péchons par excès d’humilité ! Nous employons sans arrêt les mots de la timidité : « On va faire une petite prière. Une petite action. Une petite animation. Une petite réflexion. Un petit temps de silence. Une petite messe. Un petit examen de conscience. Une petite lecture d’un petit texte d’Evangile avec des petites gens ou des petits enfants. Une petite rencontre. Un petit brin de causette… ».

 

Stop ! Voyons grand ! Dans nos prières, demandons grand. Osons demander ce que l’Esprit de Dieu inspire à nos cœurs. L’Esprit de Dieu est immense, alors voyons grand, risquons le large. Ouvrons les horizons. Parlons grand. Non par orgueil ou prosélytisme, mais par respect pour Dieu. Dieu est à l’œuvre et l’œuvre de Dieu est gigantesque. « Tout ce qu'il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les muets. » dit le texte d’Evangile d’aujourd’hui. Notre Eglise, l’Epouse du Christ, ne parle pas assez fort, ne dit pas assez bien le bien qu’elle fait. Car elle fait du bien ! Simplement, un peu complexée, désireuse de respecter les consciences (ce qui est primordial), elle n’ose pas toujours dire les portes qu’elle ouvre, les amitiés qu’elle permet, les fraternités qu’elle construit, les joies qu’elle fait naître, les justices qu’elle permet, les espoirs qu’elle redonne, les vies qu’elle sauve, les paroles qu’elle libère…

 

Par exemple, Frédéric Ozanam, que l’on fête aujourd’hui, avait osé mettre en route une œuvre de charité. Aujourd’hui, à sa suite, beaucoup d’hommes et de femmes font partie des équipes Saint Vincent. Ensemble ils luttent contre la pauvreté. Ils nourrissent, hébergent, soignent, écoutent des personnes vivant dans la précarité.

 

Cet après-midi, au 9 rue Diderot, nous inaugurerons un espace de parole. D’une certaine façon, il n’y a rien de nouveau. Il y a plusieurs années au même endroit, vous étiez plusieurs à oser l’aventure du « 9 de cœur ». Depuis le projet a grandi et, aujourd’hui, des dizaines de personnes bénéficient de la générosité de cette association. Comme c’est beau ! Comme c’est grand ! L’initiative était chrétienne. Elle est devenue laïque, et c’est très bien ainsi. Au départ, il a fallu oser, croire que c’était possible. « Rien n’est impossible à Dieu ! » C’est la force des baptisés de le croire, de le savoir, de l’expérimenter. Nous avons une énergie inouïe, celle de l’Eprit Saint. Avec Lui, en Lui, tout est possible.

 

Cet après-midi, c’est une nouvelle aventure… « Brin de causette » se veut être un lieu d’accueil et d’écoute pour les personnes isolées. Un lieu de convivialité. Un lieu d’amour. Un lieu de simplicité. Autour d’un café, d’un jus de fruit, d’un biscuit, être ensemble. Parler. Parler de tout et de rien. De soi, de la vie. Peut-être faudra-t-il du temps pour oser une première parole. Peut-être faudra-t-il un mois, ou plus, pour passer de la pataugeoire de la peur au bassin de la confiance… On a le temps. On a l’amour. « Brin de causette » est lieu d’Effata, lieu d’ouverture. Celles et ceux qui errent dans les rues, celles et ceux qui s’ennuient devant la télé, celles et ceux qui pleurent le chagrin d’un proche disparu… Toutes celles et tous ceux qui s’enferment dans le silence pour ne pas, disent-elles, disent-ils, « gêner les autres avec mes problèmes », pourront être ensemble, jouer ensemble, parler ensemble.

 

« Effata ! Ouvre-toi ! » Cette parole est adressée à l’Eglise, à chacun de ses membres. « Enlève l’énorme casque que tu portes sur les oreilles. Il y a des bruits qui polluent, des habitudes qui enchaînent. Ouvre les portes de ta maison. Ouvre-toi. Ecoute. Ou plutôt, renouvelle ton écoute. Mets en place des espaces pour créer de la relation. Surtout, ouvre ton cœur. Ouvre-le à celles et ceux qui mendient l’amour ». Les évêques nous invitent à poursuivre la démarche « Diaconia ». Ils nous invitent à servir le frère, à nous faire proches des plus fragiles. Leur donner la parole. « Diaconia » nous invite aussi à repérer et annoncer les merveilles que Dieu fait dans ce monde, toutes les solidarités vécues. Ouvrir les yeux et les oreilles, ainsi que la bouche pour dire au monde que le monde est mû par l’Amour ! L’Eglise a un devoir d’annonce. Sans être naïve, elle doit regarder le monde avec les yeux de l’Espérance ; entendre la vie avec les oreilles de la Foi ; annoncer la Bonne Nouvelle avec la bouche et les mains de la Charité.

 

L’Eglise doit s’ouvrir. Poursuivre le chemin de Vatican II commencé il y a 50 ans… Une formidable ouverture au monde. Un regard joyeux sur l’humanité. Un élan pour oser la fraternité entre les peuples, les cultures et les religions. « Eglise, Effata ! Eglise, ouvre-toi, encore et encore ! Ouvre-toi aux autres, aux pauvres, aux souffrants. Aux muets, aux fragiles, aux enfants, aux Alina… » Quand Hélène relate les vacances vécues avec l’enfant ukrainienne, elle ne dit pas qu’elle lui a donné quelque chose, elle raconte ce qu’elle a reçu… Comment elle-même, Hélène, a été transformée par les regards et les tendresses qui se sont échangés. La petite Alina, ou plutôt la grande Alina a mis en lumière la grandeur du cœur d’Hélène.

 

« Eglise, les humbles, les isolés, les étrangers, les sourds et les muets, les bégayeurs de la vie, celles et ceux qui, dit-on, ne peuvent pas bien parler, savent mieux que quiconque, mettre en lumière tes capacités, ton énergie intérieure, la flamme de l’Esprit que Dieu a mise en toi. Alors, avec eux, grâce à eux, fonce ! Dis, par des paroles et par des gestes, que l’amour est possible. Toujours. Pardonne. Libère ! Comme le Christ, pose tes mains sur les blessures de tes frères. Sans forcer, avec patience, invente les Nounours de la douceur, les « trucs », les astuces de la tendresse. Montre ta joie. Délie les langues. Aime, ouvre l’autre et t’ouvrant toi-même. Ouvre ton cœur. Révèle la grandeur de Dieu. N’aie pas peur ! Comme le Christ, lève les yeux vers le ciel, vois large, prie grand, AIME GRAND !»

 

 

Abbé Xavier