Un frère et ça repart

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent

 

Saint Léger, dimanche 16 décembre 2012

3ème dimanche de l’Avent

 

Un frère et ça repart !

 

On n’instrumentalise pas la Parole de Dieu. J’aurais aimé, ce matin, vous parler du projet de loi à propos du mariage pour tous. Mais j’ai beau chercher, je ne trouve pas le rapport avec l’Evangile d’aujourd’hui. Ce sera donc pour une autre fois, c’est promis. Laissons-nous interpeller par la Parole que la liturgie nous propose. Que dit Dieu ? Que disent ses prophètes ? Que dit Jean le Baptiste, le précurseur du Messie ?

 

Quatre choses. Trois commandements et une information. Ce matin, je ne m’arrête que sur le premier commandement, celui qui s’adresse aux foules. A tous. A nous !

 

A la question « Que devons-nous faire ? » Jean répond sans hésitation. « Celui qui a deux vêtements, qu'il partage avec celui qui n'en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu'il fasse de même ! » Pas de tergiversation ! C’est du direct. La première chose à faire, si l’on veut rencontrer le Messie qui vient, c’est vivre le partage. Le vivre réellement. Donner la moitié de ses biens. Oups… C’est rude, c’est radical. Combien d’auditeurs de Jean ont mis en pratique cette demande ? Jean, par l’exigence de ses propos, avait un côté séduisant. C’est assez paradoxal. On venait l’admirer parce qu’il vivait ce qu’il disait. Il vivait pauvrement. Il aurait pu s’enrichir en utilisant la Parole, en jouant un rôle. Il aurait pu être adulé : « Quel homme… Vraiment voilà quelqu’un qui fait des choses formidables… Vous vous rendez compte, il vit au désert, il mange peu… Tout ça pour DieuVraiment il est fantastique. Je l’adore !» Oui Jean aurait pu se servir de la Parole, de sa connaissance de Dieu, pour sa propre gloriole. Il n’en est rien. Il ne se proclame pas, il annonce un autre. Et la pauvreté qu’il vit n’est pas que matérielle. Il se sait pauvre face à Dieu. Il se rend disponible à lui, à sa volonté, allant jusqu’à offrir sa vie par fidélité à l’enseignement qu’il proclame. Voilà… On y est ! La question, c’est la cohérence. Cohérence entre le message que l’on dit, que l’on écoute, et le message que l’on vit. Ce matin, le message que nous recevons c’est : « Celui qui a deux vêtements, qu'il partage avec celui qui n'en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu'il fasse de même ! ». Oups… Pas cool !

 

Pas cool parce qu’on est à quelques jours de Noël… Nos caddies sont pleins de cadeaux. Et ce n’est pas un mal que de vouloir faire plaisir. C’est même plutôt bien ! Les cadeaux disent symboliquement ce que nous voudrions être pour l’autre: « A travers ce que je t’offre, je te dis que c’est ma personne qui se donne à toi ! » Oui, mais « Celui qui a deux vêtements, qu'il partage avec celui qui n'en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu'il fasse de même ! ». Vous connaissez un des projets que notre paroisse essaie de vivre autour de Diaconia durant ce temps de l’Avent. Nous avons eu un coup de cœur pour l’association « Droit au Travail ». Nous proposions de calculer le budget de Noël de l’an dernier (les cadeaux, les repas, les petites folies, les extras…) et nous demandions de diviser la somme par deux. Une moitié pour vivre Noël comme d’habitude, l’autre moitié pour l’association qui écoute et aide les demandeurs d’emploi. Une vraie folie ! Nous demandions de donner le deuxième vêtement à celui qui n’en a pas. Si je rappelle cette initiative maintenant, ce n’est pas pour la faire réussir à tout prix. Chacun est libre. Simplement, l’Evangile nous appelle à la cohérence, à l’exigence, à la folie, à l’amour. Oui c’est bien cela, à l’amour du prochain, à l’amour du frère. « Vivre la fraternité ». Voilà de jolis mots. Lorsqu’ils deviennent des actes, nous savons qu’ils ne sont pas que jolis… Ils deviennent source de joie. Une joie comme celle dont parle Paul dans la lettre aux Philippiens.

 

Hier, les enfants du caté, des mouvements et services se sont donné rendez-vous à l’hôpital de Lens. Nous étions nombreux à partager le goûter de Noël avec les personnes âgées. Nous avons chanté et prié. Nous avons aussi raconté nos souvenirs de Noël. Un vieux monsieur laissait couler une émotion en parlant de son épouse décédée. Nous entendions l’amour qui traverse le temps, qui surpasse la mort. L’amour éternel. Hier, qui a donné, et qui a reçu ? Qui était le pauvre ? Ce n’était pas cet homme abîmé par la vieillesse. Le pauvre, c’était moi, c’était nous… Le riche c’était lui. C’est cet homme qui, en nous confiant son histoire, se dépossédait d’un manteau et couvrait notre cœur trop avide d’activités, trop plein de superflus. Hier, c’était beau d’entendre des petits faire la joie d’autres petits, des faibles faire la joie des faibles. Car c’est cela le mystère de l’Evangile. Faire la charité, vivre la diaconie, ce n’est pas donner son surplus, avoir pitié… S’estimer plus riche ou plus fort, ou plus quelque chose… Aimer, au sens évangélique, c’est se reconnaître pauvre. Le partage eucharistique, c’est la rencontre de gens qui se savent pauvres. Des pauvres échangent avec des pauvres. Les pauvretés ne sont pas les mêmes, mais tous sont pauvres au banquet du Royaume. « Allez dans les rues, invitez les pauvres, les estropiés, les aveugles… » demande le Maître du repas.

 

La première réponse de Jean, son premier commandement, c’est de vivre la fraternité. Et cela passe par de petites choses aussi. Quelqu’un dans l’assemblée va sourire. Si j’ai deux Mars, vais-je les manger seul dans un coin ? Je ne vous cache pas que derrière cet exemple, il y a du vécu ! Mais je pense que l’humour aide à digérer les paroles de Jean. Elles sont assez dérangeantes. Le Mars lui se digère facilement. En plus il redonne du courage : « Un Mars et ça repart ! ». Mais, n’y a-t-il que les sucreries qui redonnent du tonus ? Non, bien sûr que non. Il existe une énergie qui redonne force et courage bien plus fortement que toute sorte de gourmandise. Notre seule énergie, c’est l’Esprit Saint qui se reçoit dans la prière et les sacrements. L’Esprit Saint nous rend capables de folie, de don, de don de nous-mêmes. Il nous régénère. Plus on l’accueille, plus il nous donne de nous donner. Notre slogan publicitaire catho, c’est « L’Esprit et ça repart ! L’amour et ça repart ! Le don de soi et ça repart ! » Au jour de fatigue, de découragement, la tentation est souvent de s’enfermer, se replier sur soi-même. C’est humain, mais c’est une erreur. Dans ces moments là, comme en tout instant de vie, l’appel, c’est la fraternité ! « Un frère et ça repart ! »

 

Oui, le secret de la vie, c’est la fraternité. Le frère écoute. Il ne juge pas. Il accueille, il se réjouit de ce qui est beau, pleure quand la souffrance est trop lourde. Le frère n’est pas là pour tout accepter, tout excuser. La fraternité n’est pas que miel. L’exigence de la fraternité c’est d’oser demander à l’autre de donner le meilleur de lui. « Tu es capable. Je crois en toi. J’ai besoin de toi. Marchons ensemble. » Le frère est un cadeau. Il se respecte. Il est libre. Il est libre de refuser la fraternité que nous voudrions encore lui donner. Il y a une distance dans la fraternité, un espace. C’est toujours un engagement et une réciprocité. Jésus, le frère aîné, n’impose rien. Il se propose, il invite au chemin à faire ensemble. Il marche avec les compagnons d’Emmaüs. Il transforme leur peine en joie, puis il les quitte. Ils sont libres d’agir, de témoigner. Jésus guérit, soigne, écoute, et se donne toujours. Il se donne à tous. A tous ceux qui se trouvent sur son chemin. Il ne choisit pas tel ou tel qui arrangerait sa cote de popularité. Jésus se fait frère du lépreux, de l’aveugle sur le bord du chemin. Il se fait frère des pharisiens qui pourtant ne l’accueillent pas. Il se fait le frère de ses bourreaux : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »

 

Car le sommet de la fraternité, le point d’orgue, la certitude que l’on est devenu frère, c’est cette parole : « Je te pardonne. Je te donne par-dessus tout. Je te donne même si tu m’as blessé. » Cette parole est folle et bien souvent impossible. Le Christ nous aide à la vivre en vérité. Grâce à son Esprit qui vivifie, nous sommes en mesure d’oser le chemin de cette haute, sublime fraternité. « Un frère et ça repart », le frère par excellence, c’est Jésus ! Il faut donc connaître ce frère, l’écouter, s’inspirer de son agir. L’Evangile nous donne les secrets du vivre ensemble. Lisons, méditons, et agissons comme Jésus. Quand c’est trop dur, le Christ prend le relais, ou plutôt, nous devance. N’ayons jamais peur d’oser le geste prophétique du pardon. Même si elles nous semblent encore imparfaites, osons les paroles et les attitudes qui permettent au Christ de relever l’autre et nous-mêmes. « Un pardon et ça repart ! Un pardon fraternel, une parole de vie et c’est reparti ! »

 

« Que devons-nous faire ? » demande la foule à Jean-Baptiste. Vous devez vous faire frères !

Abbé Xavier

 

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 2171 visites