Suivre Jésus

60 ans de vie religieuse de Sœur Marie-Pierre, franciscaine : homélie de l'abbé Xavier

St Wulgan, le 8 juin 2013

Jubilé 60 ans Sœur Marie-Pierre

 

Suivre Jésus

 

A Lille, les camps de Roms ont été démantelés. Les images vues à la télé sont terribles. C’est à coup de bulldozer que les cabanes ont été rasées. J’avais vu les mêmes images en Afrique du Sud lorsque le gouvernement d’Apartheid détruisait les townships zoulous implantés au bord des villes. Bien sûr les Roms n’ont pas tous les droits, et la misère n’excuse pas toutes les dérives. On comprend l’agacement de celles et ceux qui subissent les vols ou les incivilités. Mais le pauvre, le mendiant, le dernier, l’homme, la femme, l’enfant, la famille… N’est pas une chose que l’on jette ! Il y a des méthodes qui sont insupportables. Les roms sont des frères humains.

 

Dans le bassin minier, une grande partie de la population est meurtrie par le chômage. De plus en plus d’hommes et de femmes vivent avec le RSA. De plus en plus font appel à la banque alimentaire qui quelquefois en arrive à donner des denrées à peine acceptables. Des familles pauvres à Lens… Nombreuses, trop nombreuses. Ces familles, ces gens fatigués, ce sont nos frères, nos sœurs, nos enfants.

 

A Lens, des gens malades, hospitalisés. Des gens souffrants. Des gens qui vieillissent et qui perdent la tête. Des gens qui ont peur de mourir. De mourir seul.

 

Dans la rue, juste là, à côté… Des hommes sans domicile. Ils sont hébergés à la Boussole. Le jour, ils errent dans les rues. Trop souvent l’alcool ruine leur reste de santé et de discernement. Ces hommes, ce sont nos frères ! Oui ils salissent, oui, ils peuvent être incontrôlables… Mais ce sont nos frères.

 

Ici, là, maintenant. Dans cette assemblée. Vous, moi. Des pauvres rassemblés autour de l’autel ! Vous, moi, orgueilleux, jaloux, bagarreurs, suspicieux, avares, obsédés, voleurs, tout-puissants, calculateurs... Vous, moi, dont la conscience est abîmée par le pêché, celui que l’on se reconnaît, et celui qu’on ignore encore. Des pauvres, des faibles, des « pas si terribles que ça finalement » ! Lui, elle, moi, le voisin juste là… Tous frères malgré la fragilité, malgré l’imperfection.

 

Ici, là, encore plus près. Là, sur la croix. Le Christ. Le pauvre. Le décharné. L’homme nu. Dieu humilié. Là, sur la croix, Jésus rejoint le frère rom, le frère chômeur, le frère vieux, le frère malade, le frère SDF, le frère pêcheur… Jésus, l’héritier du Royaume, le seul riche de l’Amour absolu est là, juste là. Proche de tous. Proche du dernier.

 

A la suite de Jésus, frères et sœurs franciscains, malgré vos propres pauvretés, et peut-être même grâce à elles, vous désirez vous faire proches des plus petits, des plus humiliés. Votre présence à Lens depuis des siècles est un signe, un sacrement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre paroisse porte le nom de Saint François d’Assise. Votre présence dit, sans discours, sans emphase, la présence de Dieu qui aime le monde au point de donner librement sa vie pour ce monde. « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » dit Jésus.

 

Frères et sœurs franciscains, merci d’être le signe de Jésus pauvre. Merci d’être humbles, de servir le monde par votre simple présence et votre sourire. Ce sont les puissantes et seules armes des pauvres. Ces armes ont le pouvoir de redonner confiance, de relever, de croire en la vie à nouveau. Elles vont de paire avec la prière. Non pas une prière mécanique, récitée par devoir, par obligation, par règle… Mais une prière amoureuse, une prière de « Je t’aime » adressée à Dieu et au monde. Une prière qui permet la communion entre Dieu et les hommes. Une prière qui relie le ciel et la terre.

 

Le monde que nous aimons est abîmé. On dit qu’il est en crise. Crise financière, crise morale, crise de toute sorte. Celles et ceux qui croient en l’Evangile subissent les crises du monde. Ils n’en sont pas épargnés. Ils n’en sont pas protégés. Comme tous, ils sont atteints par les ravages d’un libéralisme outrancier ou par les décisions dictatoriales des gouvernements… Mais ils ne désespèrent pas. Ceux qui croient en l’Evangile ont une force, et une joie, que personne ne peut ravir. Ce ne sont pas des illuminés qui auraient des propos presque irrespectueux devant la misère, des propos trop légers, trop spirituels – C’est facile de faire de beaux discours sur la pauvreté quand on ne l’a pas traversée – Le croyant connaît la faiblesse… Il sait que sa force n’est pas en lui, mais en Dieu qui l’aime.

 

Le croyant a fait l’expérience d’un Dieu qui est venu le sauver là où il, où elle, se sentait partir à la dérive. Dieu sauve ! La force du croyant n’est pas une quelconque magie. Sa force, c’est la certitude que l’ami proche est un cadeau de Dieu, un signe de la présence de Dieu, comme un ange ! Le soutien offert, le simple verre d’eau, le regard, le geste d’amitié pur… Toutes les fraternités sont les signes d’un Dieu qui aime et qui espère l’homme. Dieu aime. Dieu sauve.

 

Touché par l’amour, blessé par l’amour inconditionnel de Dieu, le croyant ne peut qu’aimer en retour. Aimer envers et contre tout. Gratuitement. Aimer tout homme, toute femme. Et particulièrement le plus blessé, le plus pauvre, le plus anéanti. C’est épuisant d’aimer. C’est épuisant de vouloir se faire proche de celles et ceux qui peuvent se montrer détestables. C’est vrai, la pauvreté n’a rien d’attrayant. Les odeurs de pipi, les poux, mais aussi le mauvais caractère du vieillard. L’arrogance de l’ado, la violence d’un extrémiste, la monstruosité de l’assassin… Il n’y a rien d’attirant dans les noirceurs du corps ou de l’âme humaine. Les ténèbres sont les ténèbres ! Mais le Christ y est descendu. Le Christ est mort sur la croix, il est descendu aux enfers, et le troisième jour, il est ressuscité.

 

Le troisième jour, le jour où Marie et Joseph ont retrouvé l’enfant Jésus au Temple. Il était en train d’enseigner la Sagesse. « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être.» A 12 ans déjà, l’enfant est mature. Il sait où il doit être pour servir Dieu, son Père. 20 ans plus tard, il le servira non plus uniquement en enseignant dans le Temple ; il parcourra les terres de Palestine, les contrées païennes pour rejoindre des pauvres, des enfants, des malades, des exclus… Les rejoindre, les regarder. Et leur parler du Royaume. Au cœur de leurs ténèbres, Jésus apporte une lumière, une radiation, une immense paix. Jésus apporte un Royaume ! Jésus apporte l’amour. Il est lui-même le Royaume de l’amour. Tout en Jésus est amour. Tout est relation, considération, confiance, amour, paix, fidélité, joie.

 

A la suite de Jésus, frères et sœurs franciscains, vous choisissez de donner votre vie. Vous choisissez de tout donner. Vous choisissez d’aller vers les pauvres, les blessés. Non par désir de domination, non par pitié ou bonne morale chrétienne. Vous allez vers eux par amour. Et humblement vous leur montrez qu’ils comptent. Qu’ils sont uniques. Que leur dignité n’est pas qu’humaine. Tout homme est animé par l’Esprit du Dieu trois fois saint.

 

Marie-Pierre – Deux bien jolis prénoms : Celui de la Mère du Christ que nous honorons spécialement aujourd’hui dans la fête du cœur Immaculé de Marie ; et celui de Pierre, le premier pêcheur, converti par et dans l’amour du Christ – Marie-Pierre, depuis soixante ans, vous avez choisi cette voie. Vous avez choisi de suivre Jésus pauvre, Jésus frère. Avec vos sœurs, avec nous tous, nous vous encourageons à poursuivre le beau et exigeant chemin de l’amour des hommes de ce temps. Avec les roms, les zoulous, les malades, les chômeurs, les personnes SDF, les isolés, les cassés, les pouilleux, les pourris, les salauds, les ivrognes, les malaimés, les mal-aimants, avec nous, et avec le Christ, nous vous souhaitons le bonheur de l’Evangile non pas pour encore soixante ans, mais pour les soixante-dix fois soixante ans à venir !

Xavier

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 2094 visites