A tort et à raison
Homélie du dimanche 16 juin 2013
St Léger, le 16 juin 2013
11ème dimanche année C
A tort ou à raison !
Comment dire à quelqu’un qu’il a tort sans que ce dernier ne se braque et pense que l’on veut avoir raison ? Car, n’ai-je pas raison de dire que si nous disons à quelqu’un qu’il a tort, il a toutes les raisons de penser que c’est nous qui avons tort de lui dire qu’il n’a pas raison ? Mais sans doute ai-je tort de faire des phrases si tordues. D’autant plus qu’il s’agit là d’un sujet pas si tordant que cela. Je reprends donc ma question : Comment dire à l’autre ses torts ? Faisons appel à notre raison… Ou non, faisons plutôt oraison pour chercher la réponse dans les textes de la liturgie d’aujourd’hui.
Admirons tout d’abord le prophète Nathan qui n’attend qu’une seule chose : la conversion de son Roi. Nathan sait bien qu’un chef a toujours raison ! Que le contredire peut-être dangereux. Il faut donc que le prophète trouve le moyen de démontrer à David qu’il vient de commettre une série d’ignobles péchés. Pour mémoire : David s’était amouraché de Bethsabée, la femme d’Ourias le Hittite, un grand chef guerrier fidèle à son roi. Pour prendre sa femme, David avait confié à Ourias une lettre qu’il devait remettre à ses supérieurs. La lettre stipulait qu’il fallait livrer bataille avec l’ennemi et lorsqu’Ourias serait au cœur du conflit, il fallait se retirer et abandonner le valeureux soldat. Ainsi il serait tué. C’est ce qui arriva, et David, très logiquement a pris Bethsabée pour épouse. Envie, préméditation machiavélique, trahison, meurtre, adultère… Comment révéler l’horrible comportement ? Nathan, diplomate, ne va pas affronter directement le roi. Il va utiliser une comparaison. Il raconte une histoire dans laquelle il met en scène un homme riche qui se permet de voler la seule brebis d’un misérable paysan. David en entendant l’histoire se met en colère et déclare qu’il faudrait éliminer celui qui agit de la sorte… Subtil, le prophète, n’est-ce pas ? Subtil et courageux… Parce que ce n’est pas tout de raconter une histoire, il faut aussi aller jusqu’au bout de la morale et dénoncer les pratiques infâmes. « Cet homme c’est toi » ose dire Nathan à son roi.
Poursuivons notre oraison. Reprenons l’Evangile. Il se passe quelque chose de similaire. Un pharisien, du nom de Simon, si mon souvenir est juste, pense que son jugement l’est aussi. Il pense avoir raison ! Il pense que Jésus ne peut pas être un vrai prophète puisqu’il semble ignorer que la femme qui vient d’entrer pour lui verser du parfum sur les pieds est une pécheresse. Comment Jésus va-t-il faire comprendre au pharisien qu’il n’a pas tout à fait raison, et même qu’il a carrément tort ? Doublement tort ! Que la femme a raison de voir en Jésus son mentor, qu’il n’est pas un menteur mais le prophète attendu ? Comment va-t-il retourner la situation pour que Simon puisse comprendre son propre péché ? Avec le même humour que Nathan, Jésus raconte une histoire : celle de deux personnes dont la dette est remise. Avec finesse, Jésus laisse à Simon le soin de répondre à la question : « Lequel des deux sera le plus reconnaissant ? » La réponse est évidente : « Celui qui devait le plus d’argent ! »
C’est à ce moment-là que le texte est vraiment amusant. Simon est très fier d’avoir trouvé la bonne réponse. Fier d’avoir encore raison ! Trop fort ! C’est là que Jésus fait une prise de judo magnifique, il utilise la force de son adversaire : « Simon, j’ai quelque chose à te dire… Tu vois cette femme ? » Et là, il va être retourné comme une crêpe ! Il va comprendre qu’il ne l’avait pas vue. Qu’il avait vu en elle ce que d’autres disent d’elle. Que son jugement était celui d’un « je-sais-tout » sauf que ce savoir était celui de la raison, de la Loi, et non celle du cœur. Soudainement, il est invité à regarder la femme autrement… La regarder avec le cœur…
Jésus qui avait lu les pensées de Simon, avait peut-être aussi discerné que dans les accusations du pharisien il y avait quelques désirs enfouis. La femme était probablement désirable... Le meilleur moyen de ne pas reproduire le péché de David était peut-être d’accuser cette femme d’adultère. C’est toujours plus facile de projeter la faute sur l’autre. Lorsque Jésus invite Simon à regarder cette femme, il l’invite à regarder qui elle est réellement, et qui il est lui aussi. « Sans doute, Simon, est-ce toi le pécheur ! ». Cela est dit sans être dit. Simon qui n’est pas bête – Je vous rappelle qu’il est un homme de raison - comprend la remarque de Jésus. C’est d’ailleurs toute la subtilité de Jésus. Le Fils de Dieu utilise les talents de ses auditeurs. Puisque Simon est intelligent, il lui parle de façon intelligente. Puisque Simon dénonce des choses sans les dire, Jésus répond en disant les choses par images ! Jésus place son discours au niveau de son interlocuteur et l’invite à faire un pas supplémentaire. Jolie pédagogie.
Grâce à la réplique de Jésus, qui rappelons-le était invité pour le repas – quel toupet quand même ! – Simon est invité à un triple déplacement : Changer son point de vue sur la femme, changer son point de vue sur lui-même, et changer son point de vue sur Jésus. De fait, Jésus est bien un prophète. D’abord, il lit dans les pensées, ensuite il permet de dire la vérité, et il le fait sans violence, et même avec beaucoup de délicatesse ! Le texte ne dit pas si « Monsieur JE-SAIS-TOUT » va vivre une telle conversion. Par contre, l’évangéliste raconte que la femme reçoit le pardon pour ses fautes. « Tes péchés sont pardonnés… Va en paix. » La pécheresse devient la pardonnée. La pécheresse devient la paisible.
Mes amis, qui d’entre nous n’a jamais été confronté à l’entêtement d’un prochain ? C’est terrible, n’est-ce pas, d’avoir affaire à des gens qui n’ont jamais tort ! Pour le dire autrement, ne pensez-vous pas que les autres n’ont pas raison de penser que nous avons tort, alors qu’en fait leur tort se trouve dans les pléthores arguments qu’ils nous donnent ? Et bien sûr cela ne nous plait pas. Le pire étant le moment où l’autre hausse le ton et que, de sa voix de stentor, il nous dit : « Tais-toi, tu le sais, le tort tue, alors t’as tort de t’entêter ! » Là, on croit rêver. Sans doute est-ce le moment de reprendre les choses à pas lents… Puisque le tort tue !
Oui, c’est cela, reprendre les choses autrement… Avec douceur, et pourquoi pas avec une histoire, un peu comme Jean de La Fontaine devant la cour du roi. « Il était une fois, un alligator très méchant. Il s’appelait Nestor. Il était très fort. C’était le chef de la grande rivière. Tous les animaux devaient lui obéir car, avec sa grande bouche et ses grandes dents, il dévorait tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui. Un jour, une petite raie, du nom de Lison, croisa le grand alligator. – ‘Pourquoi, lui demanda-t-elle, dit-on que vous n’avez jamais tort ?’ – ‘Parce que c’est la raison du plus fort.., répondit Nestor ! Ai-je tort ?’ La raie rayonnante de vérité mais un peu idéaliste répondit : -‘Vous voulez ma mort ? Disons plutôt que je crois au dialogue, à l’écoute, à la confrontation des idées, au pardon, à la remise en question, à …’ Mais là s’arrête la rencontre. L’arrête de la raie étant dans les dents du ‘sans tort’ ! La morale de l’histoire est que : tel un centaure, l’homme galope vers la violence quand il n’accepte pas de regarder sa petitesse. »
Voilà, mes amis. Restons-en là pour ce matin. Essayons humblement de gérer nos désaccords en copiant l’attitude de Jésus et des prophètes. Evitons la domination. Choisissons la douceur. Choisissons l’humour. Choisissons l’amour.
Pour une fois, n’ai-je point raison ?
Abbé Xavier