Ambassadeurs
Homélie de l'abbé Xavier Lemblé du 08 septembre 2013
23ème dimanche - Année C
Lens, le 8 septembre 2013
Ambassadeurs
« S'il ne le peut pas, il envoie, pendant que l'autre est encore loin, une délégation pour demander la paix. » La délégation, c’est le pape François qui la conduit… Hier soir, à Rome, il a prié pour la paix. Avec les catholiques du monde entier, il a prié pour que les chefs de gouvernement n’entrent pas dans la spirale de la violence et des armes. Il nous a demandé de prier et de jeûner. Peut-être avons-nous répondu à cette invitation. Hier soir, il n’y avait rien à manger, ou presque rien. Hier soir, nous avons partagé la condition des pauvres, la condition de celles et ceux qui subissent les bombes et ne peuvent cultiver leurs terres, se nourrir de leurs cultures. Hier soir, comme le suggéraient les services du Vatican, nous avons peut-être écouté les grands-parents, les anciens, nous parler des réalités de la guerre, les horreurs de la barbarie et des tortures. Les souvenirs enfouis, l’exode, les ruines, les cris… Hier soir, nous avons peut-être fait mémoire des moments les plus terribles de notre pays. Et nous avons demandé, imploré la paix. Nous avons crié vers Dieu pour que d’autres gens, d’autres enfants, d’autres populations ne subissent pas les mêmes horreurs. Nous avons prié, et nous allons le faire tous les jours encore pour que la paix advienne, pour que la justice se fasse sans répondre à la violence par la violence. Il existe d’autres moyens de pression que les frappes dites ciblées ; les frappes qui, dit-on, évitent les dégâts collatéraux ! Depuis quand les armes ne détruisent que les bâtiments sans toucher les personnes qui s’y abritent ? Depuis quand le bruit d’une explosion ne hante pas les rêves des survivants ? Depuis quand les armes dites « propres » créent moins de souffrances que les armes « sales » ?
Utiliser l’arme chimique est un crime contre l’humanité. L’utiliser contre la population de son propre pays est un au-delà d’horreur. Les auteurs - que ce soit le gouvernement lui-même, ou d’autres - doivent être traduits en justice. Les instances de l’ONU ont le devoir absolu de tout mettre en œuvre pour que la justice soit rendue. Tout mettre en œuvre, ce n’est pas forcément détruire. Pour chasser un dictateur, on peut aussi l’isoler. Les subtilités du commerce international et des jeux diplomatiques permettent d’autres options qu’une pluie de bombes.
La prière d’hier soir, celle d’aujourd’hui et de tous les jours, n’est pas une fuite de la réalité, un doux discours dans le monde des « Bisounours » ! Le monde dans lequel nous vivons est beau. Mais il est aussi trop souvent un monde de sauvages. Un monde effrayant. Prier, ce n’est pas fuir ce monde, ce n’est pas l’imaginer tout beau, tout rose. Prier, c’est l’accueillir, le regarder, et l’habiter. C’est aussi s’y engager. C’est aussi demander à Dieu la Sagesse. Que cette Sagesse éclaire les consciences. Nos consciences et les consciences de nos gouvernants. Du livre de la Sagesse, nous venons de lire : « Les réflexions des mortels sont mesquines, et nos pensées, chancelantes ; car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d'argile alourdit notre esprit aux mille pensées. … Et qui aurait connu ta volonté, si tu n'avais pas donné la Sagesse et envoyé d'en haut ton Esprit Saint ? C'est ainsi que les chemins des habitants de la terre sont devenus droits ; c'est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés. » Oui, vraiment, que Dieu illumine les cœurs, les intelligences. Que l’homme trouve les moyens de rendre la justice sans chercher à dominer, sans chercher à montrer son arsenal, sa puissance. Que nos chefs d’Etat, les membres du G 20, et de toutes les organisations mondiales - pas que les pays les plus puissants, tous les autres, et justement aussi ceux qui n’ont jamais droit au chapitre parce que leur PIB est plombé par le besoin d’armements sophistiqués - que tous se laissent inspirer par l’exemple du Christ.
La semaine dernière, le monde célébrait le cinquantenaire du rêve de Martin Luther King. « I have a dream » disait-il. Il proclamait qu’il croyait en l’égalité des hommes. Blancs et noirs égaux. Pour que ces mots ne soient plus un rêve, il a mis en route un immense mouvement de non-violence. Le chemin a été long, mais, un demi-siècle plus tard, c’est un président noir qui gouverne le pays dit le plus puissant du monde. Le pape François, le chef de l’Etat le plus petit du monde, et tous les chrétiens avec lui, font aussi un rêve. Et ce rêve est soutenu par l’Espérance chrétienne : l’amour est plus fort que la haine ! L’homme créé par Dieu est capable de bien. L’homme est capable de vivre de la Sagesse du Christ. Lorsque pour défendre Jésus, Pierre sortit son glaive, Jésus le lui fit ranger. Lorsqu’auparavant des Samaritains avaient refusé de l’accueillir (Lc 9, 53-55) et que Jacques et Jean proposaient de faire tomber sur eux le feu du ciel, Jésus s’était retourné et avait réprimandé ses disciples. Oui, comme il le dit lui-même, Jésus est venu « apporter un feu sur la terre », mais ce feu n’est pas la violence, la domination ou l’écrasement ! Le feu que le Christ amène est un feu de justice et de paix. « Lui qui était de condition divine s’est anéanti en prenant la condition des hommes » écrit Saint Paul dans la lettre aux Philippiens. Le Christ, celui qui, plus fort qu’Obama, aurait pu faire tomber le feu destructeur, a choisi l’humilité, le long chemin de l’offrande et de l’amour. Croyez-vous que ce chemin était une attitude simpliste ? Non ! C’est au contraire un chemin de courage. C’est aussi un chemin de combat mais les armes ne sont pas les mêmes. Les armes de Jésus sont sa parole et son regard. Il ne détruit pas, il envisage. Il permet à son rival d’aller au bout de sa logique et de sa vérité. Les mots, parfois rudes, de Jésus ne sont pas des mots d’agression. Les paroles de Jésus sont des invitations à vivre dans la cohérence avec les commandements de Dieu.
Parmi les commandements, l’un des tout premiers est : « Tu ne tueras pas ! ». Aujourd’hui, notre monde oublie ce commandement. Aujourd’hui, à la télé, on va entendre qu’à Marseille il y a eu une quinzième victime de « l’ultra-fric » de la drogue. Aujourd’hui, on va regarder un feuilleton avec trois ou quatre cadavres, tous assassinés de façon terrifiante. Aujourd’hui, on va s’empresser de lire le journal pour voir qui s’est fait braquer. Aujourd’hui, on est au chômage parce que, depuis l’accident, l’armée ne veut plus de nous. Aujourd’hui l’ancien militaire culpabilise d’avoir, pour raison d’Etat, mitraillé quelqu’un à bout portant et il ne peut le dire à personne ! Oui, car c’est ça la guerre ! Aujourd’hui, on va tuer un embryon parce qu’une femme s’est fait agresser. Qui est le plus violent ? Celles et ceux qui tuent, ou celles et ceux qui s’habituent ? Celles et ceux qui, souvent dans une grande solitude, doivent prendre une décision pour protéger les Etats, ou celles et ceux qui ne s’inquiètent de rien, si ce n’est de savoir si le prix du pétrole va augmenter ? Qui, aujourd’hui, oublie le commandement de Dieu ?
Lorsque le pape François nous demande de prier et de jeûner, il nous demande d’aller au bout de la prière et du jeûne. Il ne s’agit pas seulement d’une pieuse prière d’un soir. Il ne s’agit pas de se priver d’un bon gigot. Il s’agit de réfléchir à nos comportements et de demander à Dieu de nous convertir. Non plus utiliser la violence des mots et des colères, mais user de gentillesse. Comment parle-t-on à sa femme ? Comment parle-ton à son mari ? A ses enfants ? A ses parents ? Que souhaite-t-on à son patron, à son employé, à son collègue ? Pourquoi tant de violences et de grossièretés au volant de la voiture ou dans les stades ? Quel regard porte-t-on sur l’étranger ? Quel engagement politique allons-nous oser lors des prochaines élections municipales afin d’éviter la montée des extrêmes, des mouvements qui surfent sur nos peurs ? Quelle association non-violente allons-nous rejoindre ? Quelle pétition allons-nous signer pour que soient abolies, une fois pour toutes, la torture et la peine de mort qui sévissent encore dans de trop nombreux pays ? Qu’allons-nous faire pour être les dignes représentants du Roi qui nous fait confiance, puisqu’il nous envoie en ambassadeurs, en délégation, en Eglise pour négocier la paix ?
« Celui qui veut être mon disciple, dit Jésus, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. » Il faut du courage pour suivre le Christ, pour vivre de sa philosophie, de sa sagesse. Il faut du courage pour oser vivre le rêve de la non-violence. On peut être justement considérés comme de doux rêveurs. De gentils théoriciens. Il faut du courage pour penser et agir autrement, pour ne pas suivre le troupeau des violents. Il faut de la patience et beaucoup de confiance. Il faut croire en l’homme. Avoir une espérance en l’homme. Croire qu’il est créé à l’image de Dieu et qu’il est donc capable de rendre la justice, non pas avec la force mais avec l’intelligence, en toute sagesse. Celles et ceux qui veulent être les disciples du Christ, les ambassadeurs du Roi des rois, doivent accepter de porter la croix. Choisir la radicalité de la douceur ! Décider d’utiliser la franchise et le dialogue. Ce comportement est éprouvant. L’ennemi peut - et c’était le cas pour Jésus, pour Martin Luther King, et pour tant d’autres - se braquer, se méfier, refuser. Il faut alors garder son calme, et oser aller jusqu’au don total de sa personne. Tout donner, non pas par orgueil ou entêtement, mais par amour. Donner sa vie. Accepter de mourir plutôt que faire mourir. La croix de Jésus est la seule arme qui puisse vaincre le véritable ennemi ; elle est le glaive qui tue ce qui tue l’homme. Elle seule stoppe la spirale de la violence. L’amour que le Christ montre en donnant sa vie inaugure un monde nouveau, un monde qui ne repose pas sur la puissance, mais sur la confiance.
Hier soir, et aujourd’hui, et demain, et chaque jour, puissions-nous être les ambassadeurs du Roi Jésus. Pour la Syrie, et pour les autres pays en conflit, pour nos maisons et quartiers, pour notre Eglise, pour nos écoles et associations, partout, puissions-nous toujours être des artisans de paix.
Abbé Xavier