Voyez les signes
Homélie de l'abbé Xavier pour le 3ème dimanche de l'Avent
« Alors s'ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. L'eau jaillira dans le désert, des torrents dans les terres arides. Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur, ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie, un bonheur sans fin illuminera leur visage ; allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s'enfuiront. » L’artiste qui a peint ce tableau pour le synode provincial a dû s’inspirer de ce passage du livre d’Isaïe. Mes amis, ce week-end, à Merville dans les Flandres, 200 personnes participent à l’ouverture du synode provincial. Pendant deux ans, et grâce à la contribution de tous les chrétiens du Nord-Pas-de-Calais, ces personnes vont discerner et décider les orientations concernant l’avenir de nos paroisses. Mais tout cela vous le savez déjà puisque, depuis le début de l’Avent, nous découvrons ce tableau, morceau par morceau. Aujourd’hui nous est dévoilé le devant du tableau. Je vais y revenir, mais je m’attarde un instant sur le synode.
Imaginez : des jeunes, des adultes, des évêques, des personnes engagées dans des mouvements, des prêtres, des diacres, des religieux, des religieuses, des animateurs laïcs en pastorale… 200 personnes ensemble durant tout un week-end pour réfléchir à l’avenir de l’Eglise de notre région. N’est-ce pas déjà, en soi, un joli signe ? Alors que l’on entend quelques fois des discours pessimistes sur l’Eglise, sur sa difficulté à se remettre en cause, à s’adapter, voilà que nos évêques nous demandent d’envisager l’avenir avec lucidité. Ils font appel à notre responsabilité de chrétiens. Ils nous font confiance et nous demandent notre avis. « Selon vous, demandent-ils dans ce document distribué en milliers d’exemplaires dans les trois diocèses, qu’est ce qui devrait faire le cœur de la mission de curé ? De quels responsables les paroisses auront le plus besoin pour remplir leur mission ? Qu’est-ce que des jeunes ou des jeunes adultes attendent d’une paroisse ? Qu’est-ce qui vous semble nécessaire pour que les familles trouvent leur place dans la paroisse ? Qu’est-ce que les membres des mouvements peuvent attendre de la paroisse et lui apporter ?... » Et bien d’autres questions de ce genre. En début d’année prochaine, nous recevrons ce document et nous répondrons, seul ou en équipe, aux différentes questions. En attendant, nous sommes invités à prier pour que l’Esprit éclaire celles et ceux qui se rassemblent en ce moment à l’occasion de l’ouverture de ce synode.
Parlant de synode, vous savez aussi qu’un autre synode est en cours. Celui-là est mondial et il concerne les familles. Le Pape François demande à tous les diocèses leurs avis afin d’ajuster la pastorale en vue des familles. Là aussi les questions sont intéressantes : « Quels sont les facteurs culturels qui empêchent la pleine réception de l’enseignement de l’Église sur la famille ? Durant ces dernières dizaines d’années, quelles sont les expériences nées concernant la préparation au mariage ? Les séparés et les divorcés remariés sont-ils une réalité pastorale importante dans votre Église particulière ? Comment affronter cette réalité au moyen de programmes pastoraux adaptés ? Dans la situation actuelle de crise entre les générations, comment les familles chrétiennes ont-elles su réaliser leur vocation propre de transmission de la foi ?... » Je ne vous lis pas toutes les questions, il y en a 39 ! Avouez que c’est beau une Eglise qui ose se remettre en question. C’est un beau signe de vie, de dynamisme…, d’Ashreï ! Vous vous souvenez ? « Ashreï les pauvres de cœur, Ashreï les doux, les miséricordieux… » Le mot hébreux des béatitudes pouvant se traduire par « heureux », mais aussi par : « En avant ! Dynamique ! En route ! »
J’en reviens au tableau. De fait, c’est un peuple en marche, dynamique, joyeux. On entendrait presque les cris et les chants des personnages. Vraiment on dirait qu’ils proclament les paroles du psaume : « Le Seigneur fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes. Le Seigneur protège l'étranger. Il soutient la veuve et l'orphelin. D'âge en âge, le Seigneur régnera ! » On dirait qu’ils marchent vers Jean le Baptiste pour faire ce que Jésus leur a demandé : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » Jésus invite son cousin, mais aussi toute la foule, et donc nous aujourd’hui, à ouvrir les yeux, découvrir les signes du Royaume qu’il instaure. Jésus n’annonce pas qu’un roi puissant va se lever, qu’une armée invincible va prendre le pouvoir… Jésus parle des gens aveugles, boiteux, lépreux, sourds. Ils parlent des faibles, des derniers, des humbles, des oubliés. Ces hommes et ces femmes, mis à la marge de la société à cause de leur handicap ou de leur faiblesse, sont guéris, transformés. Les signes du Royaume sont là, parmi les exclus. Il ne faut pas chercher ailleurs, Dieu se montre au sein même des populations fragiles.
On le sait… On sait que le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu des humbles. On le sait, oui. Mais a-t-on vraiment compris les déplacements que cela nous oblige à réaliser ? Chrétiens depuis longtemps, nous avons un savoir, un idéal, un rythme, une pratique, une habitude. Et nous essayons de vivre les enseignements de l’Eglise. Plusieurs fois, justement par fidélité au message de l’Evangile, il nous a fallu casser cette habitude, bouger, nous remettre en route autrement. A l’occasion de cet Avent, dans la préparation de Noël, dans un contexte de doubles synodes, entendons à nouveau l’appel à un déplacement joyeux et radical. Dans les paragraphes 81, 82 et 83 de son encyclique : « La joie de l’Evangile », le Pape François écrit :
« 81. Quand nous avons davantage besoin d’un dynamisme missionnaire qui apporte sel et lumière au monde, beaucoup de laïcs craignent que quelqu’un les invite à réaliser une tâche apostolique, et cherchent à fuir tout engagement qui pourrait leur ôter leur temps libre. Aujourd’hui, par exemple, il est devenu très difficile de trouver des catéchistes formés pour les paroisses et qui persévèrent dans leur tâche durant plusieurs années. Mais quelque chose de semblable arrive avec les prêtres, qui se préoccupent avec obsession de leur temps personnel. Fréquemment, cela est dû au fait que les personnes éprouvent le besoin impérieux de préserver leurs espaces d’autonomie, comme si un engagement d’évangélisation était un venin dangereux au lieu d’être une réponse joyeuse à l’amour de Dieu qui nous convoque à la mission et nous rend complets et féconds. Certaines personnes font de la résistance pour éprouver jusqu’au bout le goût de la mission et restent enveloppées dans une acédie paralysante.
82. Le problème n’est pas toujours l’excès d’activité, mais ce sont surtout les activités mal vécues, sans les motivations appropriées, sans une spiritualité qui imprègne l’action et la rende désirable. De là découle que les devoirs fatiguent démesurément et parfois nous tombons malades. Il ne s’agit pas d’une fatigue sereine, mais tendue, pénible, insatisfaite, et en définitive non acceptée. Cette acédie pastorale peut avoir différentes origines. Certains y tombent parce qu’ils conduisent des projets irréalisables et ne vivent pas volontiers celui qu’ils pourraient faire tranquillement. D’autres, parce qu’ils n’acceptent pas l’évolution difficile des processus et veulent que tout tombe du ciel. D’autres, parce qu’ils s’attachent à certains projets et à des rêves de succès cultivés par leur vanité. D’autres pour avoir perdu le contact réel avec les gens, dans une dépersonnalisation de la pastorale qui porte à donner une plus grande attention à l’organisation qu’aux personnes, si bien que le “tableau de marche” les enthousiasme plus que la marche elle-même. D’autres tombent dans l’acédie parce qu’ils ne savent pas attendre, ils veulent dominer le rythme de la vie. L’impatience d’aujourd’hui d’arriver à des résultats immédiats fait que les agents pastoraux n’acceptent pas facilement le sens de certaines contradictions, un échec apparent, une critique, une croix.
83. Ainsi prend forme la plus grande menace, « c’est le triste pragmatisme de la vie quotidienne de l’Église, dans lequel apparemment tout arrive normalement, alors qu’en réalité, la foi s’affaiblit et dégénère dans la mesquinerie ». La psychologie de la tombe, qui transforme peu à peu les chrétiens en momies de musée, se développe. Déçus par la réalité, par l’Église ou par eux-mêmes, ils vivent la tentation constante de s’attacher à une tristesse douceâtre, sans espérance, qui envahit leur cœur comme « le plus précieux des élixirs du démon ». Appelés à éclairer et à communiquer la vie, ils se laissent finalement séduire par des choses qui engendrent seulement obscurité et lassitude intérieure, et qui affaiblissent le dynamisme apostolique. Pour tout cela je me permets d’insister : ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation ! »
Ceci n’était que dans le chapitre « Non à l’acédie égoïste » qui lui-même se trouve dans la partie de l’encyclique intitulée : « Tentations des agents pastoraux. » Pour vous donner une idée, dans cette partie, l’on trouve aussi ces réflexions intitulées : « Non au pessimisme stérile », « Non à la mondanité spirituelle », « Non à la guerre entre nous ». Autant de chemins de conversion à poursuivre.
Mes amis, ce dimanche et tout au long de la semaine, nous sommes invités à voir les signes du Royaume. Nous sommes invités à nous regarder en vérité pour découvrir combien le Christ soigne nos handicaps personnels et communautaires. Il sait nos acédies, nos fatigues, nos petitesses, nos difficultés, mais il nous fait encore confiance. Il nous relève et nous envoie. Il nous envoie pauvres au milieu des pauvres. Guéris de nos maladresses et de nos suffisances, il fait de nous des apôtres pour proclamer sa Parole. « Ashreï les pauvres de cœur ! Heureux les doux. En marche les amis ! »
Vraiment, mes amis, voyez les signes ! Et soyez les signes ! Dieu est là. « Les aveugles voient, les boiteux marchent. » Aujourd’hui en synodes, nous sommes appelés à marcher avec eux !
Abbé Xavier