Porter du fruit
Eglise Saint-Léger - Funérailles de Maurice BIET
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12, 24) C’est principalement pour cette phrase que vous avez choisi ce passage d’Evangile. De fait, par sa vie discrète, notre frère Maurice a porté beaucoup de fruits. Avant de revenir sur quelques-uns d’entre eux, je vous invite à regarder Jésus qui est l’auteur de cette phrase. Surtout, comment il met en pratique ses paroles et quelle en est la fécondité.
Jésus se dessaisit de sa vie. Il semble que c’est sa condition naturelle que d’être donné. Dès sa naissance, il est offrande. Bébé, il est posé dans une mangeoire, comme pour dire que durant toute sa vie il sera un homme mangé. Aujourd’hui, il nous arrive d’employer l’expression « être mangé ». Cela signifie « ne plus avoir de temps pour soi, être sans cesse à l’écoute et au service d’autrui. » La mangeoire, dans laquelle est posé le Fils de Dieu, indique que du début à la fin de sa vie, Jésus sera un homme mangé, un homme donné.
A 12 ans, alors que ses parents le cherchent, il déclare qu’il doit s’occuper des affaires de son Père. Adulte, il part à la rencontre des hommes et des femmes laissés pour compte. Il consacre son temps aux plus humbles, aux exclus. Il rencontre les aveugles, les boiteux, les malades, les rejetés, les enfants, les veuves, les pauvres, les pécheurs, les mal-aimés. Il se donne à tous. Jésus ne s’appartient plus. « Le Fils de l’homme, n’a pas d’endroit où reposer la tête. » (Mt 8, 20b) Autrement dit, le Christ est sans cesse ouvert aux autres, à la rencontre.
Avant sa passion et sa mort, Jésus annonce : « Ma vie, nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. » (Jn 10, 18) Il ne subit pas les agressions. Ou plutôt, il les subit mais les transforme. Il se donne librement. Il choisit d’offrir sa vie. Jusqu’à la croix, Jésus est tourné vers les autres, que ce soit vers le larron qui se repent et à qui il annonce : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 43b), ou que ce soit vers ses bourreaux : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34a)
Le fruit de cette vie offerte, l’amour donné jusqu’à la croix, c’est l’Eglise. Le grain de blé, en mourant, produit du fruit. Les Apôtres recevront l’Esprit Saint. A partir de la Pentecôte, les disciples vont annoncer la Bonne Nouvelle du Christ. Ils vont le proclamer par des paroles, mais surtout par des actes. A leur tour, ils guériront des malades, ils libéreront les opprimés, consoleront les affligés, se feront proches des hommes et des femmes abîmés par la vie. Ils proclameront la justice et agiront pour la paix. Eux aussi donneront leur vie. Eux aussi porteront du fruit.
Et depuis deux mille ans, à la suite du Christ et des Apôtres, l’Eglise, malgré ses faiblesses, porte ce message : la vie ne prend son sens que lorsqu’elle est donnée. « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. » (Jn 12,25)
Maurice, nous l’avons entendu dans les mots qui ont introduit cette célébration, a donné beaucoup. C’est à Dieu, et à Dieu seul, de juger, mais les hommes et les femmes qui l’ont côtoyé ont légitimement le droit de penser que la vie de Maurice est évangélique en bien des points.
Bien sûr, il nous faut commencer par vous, Joëlle, Jérôme, Ariane, Clémentine, Timothée et Victor. Votre mari, papa, papy était tellement présent à vous. La distance géographique n’empêchait aucunement la proximité du cœur, et une jolie inquiétude toute paternelle. A savoir que sa plus grande joie était de vous savoir heureux. Votre unité familiale est le premier fruit de sa vie donnée par amour pour vous.
On pense aussi à tel ou tel ami avec qui Maurice aimait marcher. On imagine aisément les discussions et la profondeur de la confiance échangée. L’amitié est aussi le fruit d’une vie donnée. Elle s’est vécue avec tant de personnes. Notamment avec les membres des nombreuses associations auxquelles il appartenait.
On pense bien sûr à l’engagement fidèle au service de la communauté éducative du lycée Saint Paul. Quarante ans de présence et de service discret. Quarante ans, ou peut-être un peu plus (quand on aime, on ne compte pas !), pour que l’établissement puisse donner les résultats que nous lui connaissons. Quarante ans pour que les jeunes puissent étudier dans des conditions optimales et devenir des hommes et des femmes capables de donner le meilleur d’eux-mêmes. Et toujours dans un esprit d’ouverture, d’optimisme et avec une grande pudeur car il ne s’agit pas de parler de soi lorsque l’on rend service. Merci Monsieur Maurice. Merci pour le lycée. Merci pour les élèves, les professeurs et toute la communauté éducative. Les résultats du baccalauréat qui seront révélés demain, seront un autre fruit de votre vie donnée. Combien de nouveaux bacheliers auront conscience qu’ils vous doivent leur mention ? Cher Maurice, cette fois c’est du haut du ciel que vous les applaudirez.
Il n’est pas nécessaire de tout dire. D’abord, nous ne savons pas tout, et puis à quoi bon ? Peut-être quand même de regarder comment au cœur même de sa maladie, notre frère n’a pas cherché à attirer l’attention sur lui. Lors d’un repas vécu au lycée il y a quelques mois, jamais il n’aurait parlé de lui si nous ne n’avions pas insisté pour prendre des nouvelles de sa santé. C’est aussi l’occasion de remercier celles et ceux qui l’ont accompagné et soigné, et pour qui il avait tellement de reconnaissance.
Jésus donne sa vie. Il est le grain qui meurt. Et sa vie donne beaucoup de fruit. A sa suite, les Apôtres donnent la leur. Maurice s’est donné à son tour. Toutes ces vies portent du fruit et nous en sommes les bénéficiaires. Mes amis, toutes celles et ceux qui nous précédés nous montrent un chemin d’amour. Il me semble qu’ils nous posent une question : et nous, qu’allons-nous faire de bon et de bien à notre tour ? Qu’allons-nous faire encore dans ce sens ? Comment allons-nous être un grain de blé ? Quels fruits allons-nous laisser après notre passage sur cette terre ? Mes amis Accepterons-nous d’être mangés ? Accepterons-nous de mourir à nous-même pour que Dieu se révèle, et qu’il accorde à ceux qu’on aime le bonheur de la vie éternelle ?
Abbé Xavier