Sacrément raison
Eglise Saint-Léger - Jubilé 50 de vie religieuse de Sœur Marie-Agnès
Sacrement raison !
Donc tout peut être pardonné. La méchanceté, la jalousie, le vol, le mensonge, l’orgueil et même le meurtre... Tout, mais à deux conditions : qu’il y ait l’aveu de la faute et l’ardent désir de ne jamais la reproduire. Il est nécessaire de faire la vérité sur ses actes, et lorsqu’on les reconnaît mauvais, de s’engager à agir autrement. C’est donc d’abord une bonne nouvelle : quel que soit le péché qui interroge notre conscience, Dieu, le Miséricordieux, accepte de le pardonner. Il suffit de faire un acte de repentance vrai. Oser cette vérité demande beaucoup d’humilité.
Tout peut être pardonné, sauf le péché contre l’Esprit. Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire que Dieu ne peut rien faire sans notre volonté. L’homme est libre. Ainsi l’a voulu le Créateur. L’homme peut donc choisir de se tourner vers Dieu ou non. S’il reconnaît que Dieu est son maître et qu’il n’a rien à craindre de lui, il pourra implorer son pardon autant de fois qu’il se sentira coupable d’une faute. Jusqu’à soixante-dix fois sept fois. (Mt 18,22) Infiniment. Mais s’il refuse de se penser dépendant de Dieu, alors il nie Dieu, et donc Dieu ne peut pas agir. La logique est implacable. Le péché contre l’Esprit est un péché d’orgueil : l’homme croit se suffire à lui-même.
Permettez-moi de vous parler du sacrement de réconciliation. Certains pourront penser que mon insistance sur le sujet devient pénible ou agaçante. Dans ce cas, ce sera enfin une homélie utile et intéressante. Si la Parole ne nous taquine pas, elle n’a pas lieu d’être. Pourquoi l’Eglise tient-elle à ce sacrement ? Parce que Jésus l’a institué. Au chapitre 16 de l’Evangile selon Saint Matthieu, Jésus dit à Pierre : « Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » (Mt 16, 19) Jésus, le Fils de Dieu, a donné à son Eglise le pouvoir de remettre les péchés. Et seule l’Eglise, par le ministère de ses prêtres, peut donner l’absolution au nom même de Dieu.
Cela ne veut pas dire que les prêtres sont meilleurs que les autres, qu’ils sont au-dessus des autres hommes. Bien au contraire. Ils sont tout autant pécheurs que les autres. Sans doute est-ce pour cela qu’ils ont été choisis pour cette mission. Ils savent ô combien ils ont besoin de la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi eux-mêmes se confessent régulièrement.
Mais c’est bien par les mains d’un prêtre, et par ses paroles, qu’est donnée l’absolution. Beaucoup pensent qu’ils n’ont pas besoin d’un intermédiaire pour être en vérité devant Dieu. Ils ont tort. Ils ont tort. Sacrément tort ! « On a sa conscience pour soi » dit-on... Oui, bien sûr. Mais qui éclaire la conscience lorsqu’on est seul à avoir la vérité ? Il est vrai que c’est plus facile de ne pas être confronté à un autre point de vue qui pourrait mettre en lumière la véritable cause de nos agissements. Et puis, cela permet de faire comme Adam : accuser Eve. Et Eve d’accuser le serpent... Toujours fuir sa propre responsabilité en chargeant les autres. De quoi a-t-on peur si ce n’est d’une vérité plus profonde ?
A la décharge de ceux qui pensent pouvoir se passer du sacrement de la paix du cœur, l’Eglise, pendant plusieurs années, a fait une erreur. Pour pallier au manque de prêtres, elle a multiplié les célébrations pénitentielles. Il en fallait. Celles-ci ont permis à un grand nombre de fidèles de soulager leur conscience, notamment au moment des grandes fêtes. Et il en faudra encore car en soi cela est bon. Mais... Mais là encore ce n’est pas suffisant. Il manque le dialogue personnel et l’aveu qui permettent de descendre au creuset de l’âme. Il est bien probable que les prêtres sont aussi responsables de ce manque. Très occupés par ailleurs, nous avons trop ignoré les bienfaits le sacrement de pénitence. Il est temps de le proposer de nouveau, notamment à l’occasion de permanences prévues à cet effet.
Mais les fidèles sauront-ils en profiter ? Penseront-ils qu’il s’agit d’une sorte de retour en arrière de l’Eglise ? Qu’elle redevient inquisitrice ? Quelle sottise ! La mission de l’Eglise est de montrer et donner la miséricorde de Dieu. Ou bien imagineront-ils que ce n’est pas le moment, qu’ils ne sont pas dignes, que leur péché est trop grand ? Mais alors ils risquent de pécher contre l’Esprit. Ils mettent en doute l’infinie bonté du Père. Ou bien encore, qu’il est préférable d’attendre que le cœur soit un peu apaisé... Ils pensent qu’ils ne peuvent pas recevoir l’absolution le temps que la rancœur envers une personne habite encore leur cœur. Ils sont alors naïfs. Et même un tantinet arrogants. Dieu ne peut-il pas leur donner la grâce pour accomplir le reste du chemin ? Pourquoi ne viennent-ils pas chercher le moyen le plus sûr pour réaliser la paix qu’ils souhaitent depuis si longtemps ? Bien sûr ce ne sera pas magique. Tout ne se réglera pas d’un coup. Encore que Dieu, dans sa souveraine liberté, peut décider d’envoyer ses anges capables d’agir avec une grande rapidité. Mais peu importe le temps. L’important est d’avoir ouvert la porte du ciel.
C’est là l’intérêt d’un sacrement. Il nous ouvre un autre univers. Nous entrons dans le temps de Dieu. Celui de l’éternité. Celui de l’amour. Le pécheur qui confesse sa faute reçoit un amour infini et cet amour rejaillit sur bien plus large que lui. Il n’a absolument pas conscience de ce qu’une absolution de sa conscience porte comme fruits pour le monde ! « Ainsi, dit Jésus, il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. » (Lc 15, 10) En recevant le pardon pour lui-même, le pénitent participe au salut du monde.
Sa confession secrète met un frein spirituel, et donc efficace, aux médisances, bêtises et autres méchancetés qu’il (ou elle) peut entendre, pour la bonne et simple raison qu’il (ou elle) ne souhaite plus participer à l’œuvre de division de Satan. La personne pardonnée ne se place pas au-dessus de la mêlée. Elle ne fuit pas la réalité des bassesses humaines. Elle vient les habiter pour montrer un autre chemin. Une élévation vers le ciel et la paix est alors possible. Le pardon et l’unité sont envisageables. La personne entraîne avec elle, celles et ceux qui ont aussi soif d’unité.
Or cette unité se fait en Jésus. « Parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Mc 3, 34-35) Jésus créé un nouveau type de famille. Deviennent frères et sœurs, celles et ceux qui font la volonté du Père. La volonté du Père est la réalisation du commandement d’amour ultime révélé par son Fils Jésus : « Aimez vos ennemis » (Mt 5, 44a). Il s’agit, entre autres, de passer au-dessus des mesquineries telles que celles dites à son propos « Il a perdu la tête. (Mc 3, 21b) Il est possédé. (Mc 3, 22b) » La famille de Jésus est une communauté d’amour.
Cette communauté est-elle une utopie ? Nous pourrions poser la question à notre sœur Marie-Agnès, ainsi qu’aux autres sœurs ici présentes. Cinquante années de vie religieuse, ce n’est pas rien. Au cours de ces cinquante années, combien de fois le pardon a-t-il été vécu au sein de la communauté ? Car il ne faut pas se faire d’illusion, les sœurs, aussi dévouées et généreuses soient-elles, ont aussi leurs limites. Vivre en communauté n’est pas simple. Accueillir et servir l’autre au quotidien demande beaucoup d’humilité et d’écoute. On imagine aisément que parfois, entre sœurs, et ailleurs entre frères, il y ait des rivalités. La vocation de consacré ne met pas à l’abri des tensions, des rumeurs ou des cancans. En revanche, et c’est toute sa beauté, cette vocation est un signe pour le monde. Les communautés de religieuses ou religieux sont un signe du Royaume. Les membres ne se sont pas choisis. Ils et elles ont choisi de faire la volonté du Père, le mieux possible. Et ainsi de montrer que la fraternité en Jésus est possible. Que l’amour fraternel est le seul chemin vers la paix. Voilà cinquante ans que Marie-Agnès et ses sœurs en témoignent. Merci.
Si certains ont eu sacrément tort de penser qu’ils pouvaient recevoir le pardon de Dieu sans la médiation de l’Eglise, il semble que d’autres, les sœurs par exemple, mais pas qu’elles, ont su écouter les paroles d’une catéchèse donnée par le Pape François, le successeur de Pierre, à Rome en février 2014 : « Le sacrement de réconciliation est un sacrement de guérison... Il n’est pas le fruit de nos efforts, mais c’est un cadeau, un don de l’Esprit Saint... Dans la célébration de ce sacrement, le prêtre ne représente pas seulement Dieu mais toute la communauté, qui se reconnaît dans la fragilité de chacun de ses membres, qui est émue en entendant son repentir, qui se réconcilie avec lui, lui redonne courage et l’accompagne sur son chemin de conversion et de maturation humaine et chrétienne... »
Si je puis me permettre, ceux qui mettent en pratique les paroles du Pape ont sacrement raison !
Abbé Xavier