Singulier Pluriel

Lens, église Saint-Léger -veillée pascale - année B

 

 

Singulier pluriel.

sans-titre sans-titre  Savez-vous que le particulier est souvent universel ? Que des milliers de personnes se retrouvent dans le récit d’une expérience singulière ? Sans doute est-ce une raison du succès des œuvres autobiographiques, ou des récits qui utilisent un mode subjectif. Mystérieusement le lecteur y retrouve des pans de sa propre histoire. Lorsque qu’une intimité se dévoile, de nombreux témoins reconnaissent qu’ils ont vécu des phénomènes ou des émotions similaires. C’est à croire que tout singulier est aussi un pluriel.

Si Nadia nous racontait son parcours de foi, nous serions surpris et émus, pensant qu’elle relate des éléments de notre vie personnelle. Pourquoi ce sentiment ? Parce que l’œuvre de l’Esprit est identique en chacun. Les fruits sont différents, mais la manière dont Dieu se donne à quelqu’un est universelle. Tous, nous pouvons témoigner de la patience de Dieu, de son infinie délicatesse et de la finesse de son humour.

Ce soir, nous sommes nombreux à entourer Nadia. Elle est un peu gênée ! Elle est seule à recevoir le baptême. Et pourtant... Pourtant, quand nous regarderons l’eau couler sur sa tête, c’est aussi nous qui allons revivre le premier sacrement. Nous aussi, nous allons ressentir cette eau sur notre visage. Pas de façon physique comme Nadia, mais spirituellement. Sur nous et en nous, l’Esprit va agir. L’eau va emporter tous nos tourments, toutes nos fatigues, tous nos désespoirs, toutes nos fautes. Tout ce qui abîme les relations, les culpabilités, les désirs de vengeance, les pensées les plus viles et tellement secrètes... Elle ne laissera que les belles aspirations : nos élans de charité, notre irrésistible envie de rire, nos sentiments les plus chaleureux pour celles et ceux qui nous entourent, l’immense désir d’aimer... L’eau du baptême de Nadia coulera sur notre tête pour nettoyer notre esprit. Puis elle s’écoulera vers le baptistère, emportant les impuretés. L’eau qui était pure dans la cruche sera trouble dans la vasque. Mais la tête et les pensées de Nadia, nos têtes et nos pensées, seront limpides et douces. Bienveillantes. Saintes.

Et lorsque Nadia recevra l’huile sacrée sur son front, tous nous ressentirons le Saint-Chrême s’infiltrer dans les pores de notre peau. Le parfum viendra se répandre dans toutes les parcelles de notre corps, pour que l’ensemble de celui-ci se mette au service des frères. Pour 113058649_o 113058649_o  que tous nos sens, toutes nos capacités physiques et psychiques soient unifiées dans la volonté de faire le bien. Au moment de l’onction, tout notre être sera glorifié dans et par l’amour. Nous serons habités d’une énergie qui n’a rien à voir avec celles qui nous permettent de nous chauffer ou de nous mouvoir. La force que nous recevons nous pénètre jusqu’à la pointe de l’âme et nous susurre sans cesse que nous sommes des vivants. Que nous sommes capables de changer le monde, de réussir les défis les plus fous, de donner l’amour quand se présente l’ennemi, de passer avec lui dans la lumière. Nous deviendrons des rois selon l’Evangile, c’est-à-dire des hommes et des femmes à genoux, brûlants de charité pour laver les pieds des derniers, et même les pieds des traîtres ou des menteurs. Ainsi agissait Jésus avant que tous ne communient à son corps offert, à son sang versé. Il les sauvait. L’huile sainte nous sanctifie, et nous devenons son corps pour le monde d’aujourd’hui.

Seule Nadia recevra une écharpe blanche. Mais tous nous revêtirons le vêtement de la lumière. La lumière ne sert pas à être regardée. Elle sert à éclairer. A illuminer. Lorsque Jésus est transfiguré, ses apôtres sont éblouis et ils cherchent à agir. « Seigneur, lui dit Pierre, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » (Mt 17, 4) La foi des apôtres se réveille, et ils cherchent le moyen de la mettre en pratique. Ils proposent l’hospitalité en oubliant de penser à leur propre hébergement. Le Christ aux vêtements radieux provoque un élan pragmatique de charité. Nadia, l’écharpe que tu porteras désormais, que nous portons tous, est une provocation. Elle IMG_0590 IMG_0590  invite celles et ceux qui nous rencontrent à agir pour les autres, simplement parce que nous leur donnons envie de faire le bien. Non pas que nous soyons des donneurs de leçons : beaucoup ne nous ont pas attendus pour vivre intensément la fraternité. Mais nous leur révélons que leur compassion est infinie. Qu’ils peuvent faire davantage encore. Ils en ont la force. Que leur amour est inépuisable. Nous leur montrons la source, le Christ, afin qu’ils puissent se donner avec nous jusqu’à la fin de leur vie. Jusqu’à leur dernier souffle. Le vêtement blanc que nous revêtons au baptême est celui qui ne fût point déchiré au calvaire. Il encourage les hommes à faire davantage d’efforts pour que tous aient de quoi manger et vivre. « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !» (Mt 25, 35.36)

Enfin, Nadia, quand tu recevras la bougie des mains de ta marraine, tous nous rallumerons notre cierge. C’est le Christ qui se montre. C’est le Christ qui nous brûle. En lui, nous sommes les enfants d’un même Père. En lui, nous sommes frères. Avec lui, nous sommes splendides, nous sommes dans la splendeur éternelle du Père. Avec lui, nous embrasons la terre. Nous favorisons la paix. Nous sommes un fer, nous sommes un glaive rougi dans les cendres brûlantes de l’amour trinitaire. Mais ce glaive ne tue pas. Il perce les cœurs. Il console. Rassure. Relève. Soigne. Construit. Ce n’est pas le feu de la guerre, mais le brasier de la paix acquise par le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus, le Fils de Dieu. Armé de ce flambeau, Nadia, et nous tous, nous œuvrons pour la justice, pour le respect et la dignité des hommes. Nous sommes les témoins de la vie.

Recevoir le baptême est l’aboutissement d’un choix libre et éminemment singulier. Mais à chaque fois qu’une personne s’engage librement à suivre le Christ, c’est l’Eglise entière, la communauté aux visages pluriels, qui choisit d’aimer toute l’humanité.

Et puisqu’il y a peu de temps, sur un échiquier géant, Nadia, tu jouais le pion du Désespoir, sache que ton baptême ce soir, nous fait tous passer des ténèbres à la lumière.

Abbé Xavier