En Vol
Lens, église Saint-Edouard 24ème du T.O. - B
Je commence par vous annoncer qu’en quittant cette paroisse, je vais commettre un vol ! Je vais prendre ce petit banc de prière qui se trouvait dans la chapelle de l’église Saint-Léger, parce que, plusieurs matins par semaine, depuis des années, je me suis agenouillé dessus pour prier, en compagnie d’autres personnes venues prier au même instant, au même endroit. Il est idéal car il est juste assez grand, contrairement à d’autres bancs, pour ne pas avoir mal aux jambes. Alors je vais le prendre, et je vais même vous demander de signer votre prénom dessus tout à l’heure. Comme cela, je vous emmènerai avec moi. Demain, je commence une retraite spirituelle, en silence absolu, pendant trente jours. Pas de portable, pas d’Internet. Seulement la Bible, le Saint-Sacrement et ce petit banc. Agenouillé dessus, je prierai avec vous et pour vous…
Merci d’accepter ce vol.
Ensemble. Nous prierons ensemble. Nous contemplerons Jésus, le Christ, celui qui aurait pu être adulé parce qu’il faisait des prodiges. Les gens parlaient de lui avec tellement d’admiration ! On le prenait pour un prophète, pour Elie ou pour Jean qui seraient ressuscités. Jésus aurait pu profiter de sa notoriété. Le peuple avait enfin trouvé son prophète. Enfin. Pierre avait même reconnu le Messie. Tellement de bonté, tellement de vérité en Jésus. Tellement d’engagement. Jésus, le Christ que le peuple attendait depuis si longtemps...
Mais...
Le Christ que Jésus annonce n’est pas celui des vues humaines. « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. Arrière Satan qui veux réduire Dieu aux souhaits terrestres. » Le visage du Rédempteur n’est pas celui d’un magicien puissant, mais celui d’un serviteur souffrant. Un serviteur qui prendra sur lui les haines et les violences, sans rendre les coups, mais en les absorbant. Le Christ, l’envoyé de Dieu, ne peut révéler l’amour du Père qu’en étant broyé par la souffrance.
Quelle souffrance ? Celle des injures, des jugements, des crachats, des coups de fouet, des clous. Mais aussi, et surtout, la souffrance de voir un peuple se déchirer. La souffrance du Christ, c’est le refus de l’unité. Le refus du pardon. La souffrance du Christ n’est pas tant qu’on le mette au rang des voleurs ; son véritable supplice, c’est que beaucoup refusent le Salut. La passion de Jésus commence sitôt que deux de ses frères humains se querellent pour un bout de pain, un bout de terrain, ou un tout petit rien.
Reconnaître le Christ comme serviteur souffrant, et le suivre, c’est porter, grâce à lui, et par lui, les douleurs humaines, sans chercher à en faire payer le prix. Etre blessé mais ne pas blesser. Etre calomnié, mais ne pas calomnier. Et toujours chercher le chemin de la paix. Seul le Christ réalise pleinement ce qu’il enseigne. Mais même lui est incompris. Ses agissements sont accueillis comme des provocations. Sa non-violence perturbe les hommes qui n’ont pour logique que la revanche et la force. Jésus montre un autre chemin : celui de la faiblesse, de la vulnérabilité.
Le Christ Jésus donne sa vie sur la croix. C’est à cet instant qu’un païen dit de lui : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ». (Mc 15, 39b) Cet homme décharné, blessé aux pieds, aux mains, à la tête, au côté, défiguré, humilié, est reconnu Fils de Dieu, parce qu’au cœur de sa faiblesse, il invoque le Père pour lui demander la force du pardon. « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34a) Il nous révèle alors qu’être Christ n’est pas un privilège, mais une mission : celle de montrer un Dieu dont la toute-puissance n’est que miséricorde.
Nous sommes tous marqués par la vie, par des événements qui nous ont fortifiés pour certaines situations et rendus vulnérables pour d’autres. Nous avons tous développé des systèmes de défense pour nous protéger en cas d’agression. Chacun se débrouille avec ses déterminismes. N’ayons pas peur de nos faiblesses. N’ayons pas peur de nos blessures. Il n’est pas question ici d’un cours de psychologie. Nos fragilités, nos pauvretés, sont les fenêtres par lesquelles l’Esprit Saint entre dans nos cœurs. Conscients de nos faiblesses, nous rendons grâce à Dieu de nous rendre capables d’aimer notre prochain. Saint François, le patron de cette paroisse, a reçu les stigmates du Christ. Les marques sur son corps étaient le signe de l’amour intense qu’il vivait pour tous au nom de Jésus. Certaines blessures racontent notre volonté de vivre l’Evangile. Ne perdons pas la croix. La porter sur soi et en soi dit la vérité de l’amour. Qui perd sa vie la sauve, nous dit l’Evangile de ce jour.
Concrètement…
Concrètement, à Lens, ou ailleurs, les pauvres sont nombreux. L’Eglise n’est l’Eglise que si elle se fait proche d’eux. Ce n’est même pas cela : l’Eglise n’est l’Eglise que si elle est l’Eglise des pauvres, des petits, des derniers qui ont droit à la première place. C’est très déroutant. Mais on ne peut pas annoncer le Christ, serviteur souffrant, si l’on refuse de côtoyer les plus humbles et les laisser annoncer le Messie rencontré dans la réalité de leur quotidien.
Concrètement, à Lens, ou à Béthune, des personnes souffrent de solitude. Rencontrons-les. Il est plus urgent d’aller sonner chez la voisine isolée que de s’inquiéter de la suite d’un feuilleton dont on connaît déjà la fin. Merci à la municipalité avec qui la paroisse a pu mener des projets en bonne intelligence, souvent. Merci aux associations caritatives, nombreuses, qui agissent efficacement pour faire reculer l’isolement et la précarité. Quelles que soient leurs convictions ou religion, des hommes et des femmes se donnent pour que leurs prochains vivent plus décemment.
Concrètement, à Lens, et partout dans le monde, les chrétiens sont désireux de donner le meilleur d’eux-mêmes pour faire grandir un monde de paix. Avec tous les partenaires de bonne volonté, il faut, oui il faut, c’est une nécessité, poursuivre tous les efforts qui permettent les réconciliations. Quant à moi, je demande humblement pardon à celles et ceux que j’ai blessés. Les mots ne sont pas suffisants. Ils sont sincères malgré leur pauvreté. Je promets de tout mettre en œuvre pour ne pas reproduire mes erreurs.
Mais avant tout cela, avant d’être concret, de vouloir agir, afin d’être sûr de ne pas accumuler les projets qui pourraient encore n’être que des « vues humaines », que des œuvres de Satan déguisées sous les habits de notre propre estime, avant de faire la moindre bonne action, il nous faut prier. Prier pauvrement. Prier avec les mots d’un être qui se reconnaît misérable, vulnérable. Prier avec des mots simples. Les mots du cœur. Demander à Dieu sa force. Lui demander de nous prendre en pitié pour nous aider à affronter les défis de la vie. Prier pour que l’on sache s’engager, non pour se montrer, mais pour faire grandir autrui. Prier pour apprendre à aimer humblement. Prier Marie, la Mère du Seigneur, qui sait entendre toutes les souffrances du monde. Prier longtemps. Non pour espérer un miracle ou une quelconque solution à un problème, mais simplement pour dire à Dieu que lui seul est grand et que nous l’aimons. Lui seul, par son corps crucifié, nous dit la beauté du don de soi, et la vérité de l’amour.
Il faut que je me calme. Je suis en train de faire une envolée lyrique... A propos d’envolée, ce sera ma conclusion, même s’il ne s’agit pas du même type de vol...
J’ai commencé par un vol de banc, je termine par un ban que vous n’avez pas volé ! Je vous ai réservé une surprise. Depuis presque quarante ans, je rêve de savoir jouer de la guitare. La peur de me lancer, le manque de temps... Je me suis toujours trouvé des prétextes pour ne pas réaliser ce rêve. A Noël dernier, j’ai demandé à Bernadette de m’apprendre à jouer et chanter « Love ». C’est une vieille chanson que j’ai apprise à l’âge de onze ans, lors de mon premier camp avec le Mouvement Eucharistique des Jeunes. Les paroles racontent le passage d’un vagabond qui donne ce qu’il a, ce qu’il est. Il donne la joie. J’ai toujours pensé que ce personnage « Love » était Jésus. Je vais vous faire distribuer les paroles car je vais vous interpréter ce chant. Ainsi, vous pourrez mieux goûter ces paroles et les garder.
Avant de chanter, je remercie Bernadette du fond du cœur parce qu’elle a beaucoup de pédagogie. Nos rendez-vous secrets derrière l’église Saint-Auguste étaient vraiment sympas ! … Comme quoi, ça aurait pu jazzer ! Merci d’avoir su me mettre en confiance. Ce furent de très beaux moments au cœur d’une année chargée en émotions. Merci aussi à vous tous. C’est l’amour que j’ai pour chacun qui m’a donné la force et le courage d’aller jusqu’au bout de ce projet. Vous serez indulgents. Et, s’il vous plaît, vous n’applaudirez pas. D’abord parce que c’est encore un apprentissage, et aussi parce qu’il faudra écouter l’accord majeur : l’amour dans les cœurs. Nous avons juste besoin de quelques instants pour nous installer.
Je termine en ajoutant que cette chanson est le signe d’un nouvel... envol !
LOVE (Jean-Claude Gianadda)
Love, love, c’était son nom.
Love, love, un vagabond,
Qui vivait de soleil, d’espace et de chansons.
Il est venu chez nous, guitare en bandoulière.
Venait d’on ne sait où, il parcourait la terre.
Et dans ses longs cheveux le vent semblait chanter.
Tout au fond de ses yeux dansait la liberté.
Il écoutait le vent, les fleurs et les rivières.
Jouait comme un enfant, parlait à la lumière.
Il partageait ses rires, ses rêves et ses projets.
Et dans chaque sourire dansait la liberté.
Il est parti un jour, nul ne sait où il est.
Au pays de l’amour tu peux le rencontrer.
Mais dans notre maison il nous aura laissé
Avec cette chanson un peu de liberté.