Homélie

pour les funérailles de l'abbé Charles Magnier

Le journal « La Croix » a entrepris une série d’interviews pour mieux comprendre ces prêtres de la génération Jacques Hamel, comme il les appelle, qui ont porté le Concile Vatican II et ont été portés par lui. Assurément Charles Magnier est de cette génération de pasteurs que les jeunes clercs d’aujourd’hui ont tant de mal à comprendre. La simplicité de leur apparence et de leurs relations les interroge. Pourquoi se faire prêtre si c’est pour s’effacer dans la foule ? Pourquoi faire tant de théologie si c’est pour laisser le peuple chrétien inventer ses paroles de foi et ses rites sacramentels ? Pourquoi Dieu appellerait-il spécialement un homme à être prêtre et pasteur s’il n’est pas le chef et le maître du troupeau ?

 

En tentant d’évoquer la démarche de notre ami Charles, je souhaite souligner la cohérence de ce parcours qui commence dans une famille chrétienne traditionnelle de notre région et s’achève au milieu de cette foule reconnaissante ici rassemblée. C’est bien dans une Eglise installée avec son autorité traditionnelle que Charles a été appelé à être prêtre. Mais il me semble que, dans un monde bousculé par la guerre, éparpillé par les différents exodes, déchiré par l’absence des époux et des pères prisonniers, apeuré et blessé par les bombardements, divisé par la présence menaçante de l’ennemi à l’idéologie nazie,  notre adolescence a découvert une foi qui n’était plus simplement la fidélité à des rites traditionnels. La foi et la prière, dans l’angoisse des abris, dans les larmes des deuils, dans le choix entre collaboration et résistance, prenaient une dimension plus existentielle. Quelques échos des camps de prisonnier  nous racontaient qu’on pouvait célébrer l’eucharistie avec un morceau de pain bis et quelques gouttes de vin sur le coin de table d’une baraque bruyante et indifférente. Les solennités des liturgies de notre enfance nous ont paru formelles et artificielles devant cette présence réelle de Jésus dans la réalité de l’histoire.

 

De plus le brassage de population qu’engendra la guerre apporta l’évidence que la France n’état plus chrétienne que de surface. Des livres parlaient d’elle comme d’une terre de mission. Des études sociologiques révélaient la fragilité des traditions religieuses. Quand nous avons été ordonnés prêtres nous nous sentions chargés d’inventer une autre manière de vivre la foi en Eglise. Charles comme beaucoup d’autres à travers les mouvements d’Action Catholique et particulièrement l’Action Catholique ouvrière trouva là un chantier de reconstruction d’une Eglise Nouvelle, débarrassée de beaucoup de ses rites mais liée profondément  à la vie quotidienne des hommes dans leur travail, leurs options politiques, leur vie familiale. L’Eglise pour inscrire la Parole de Dieu au cœur de l’humanité devait accepter cette acculturation dans des milieux séparés et opposés. Garder l’unité de l’Eglise dans une société éclatée était un défi difficile qui a imposé au cœur des pasteurs des angoisses et des choix douloureux.

 

Comme d’autres, Charles a été appelé par l’Evêque d’Arras à travailler sur ce chantier délicat de la cohérence de l’Eglise. Riche de son expérience il eut comme vicaire épiscopal dans l’équilibre difficile d’un conseil épiscopal à travailler à cette cohérence pastorale. On avait pu quelques temps imaginer que les paroisses doucement s’effondrerait dans l’insignifiance pour laisser à l’Action Catholique toute sa place. Les paroisses ont bien résisté et il n’était plus question de les oublier. L’évolution rapide des Milieux lui ont redonné de l’importance. C’est ainsi que Charles découvrit la responsabilité de curé de Montreuil, riche d’une expérience pastorale exceptionnelle, et donnant par la même la priorité à une vie d’Eglise complice de la vie des hommes. Tout cela impliquait un exercice plus humble, plus discret, plus proche du rôle de curé que vous avez su apprécier.

 

Cette histoire d’un prêtre parmi beaucoup d’autres a été accompagnée évidemment par ce grand mouvement qui a entraîné l’Eglise Catholique toute entière et qu’on appelle le Concile Vatican II. Par un effort héroïque l’Eglise s’arrachait aux pesanteurs et aux privilèges de la Chrétienté pour permettre à la Parole de Dieu de redevenir la Sel de la Terre, le sens de la Vie et le Bien Commun des Hommes. Chacune de nos vies participait à cet élan, à cette mutation, à cette Victoire. Quand vint le temps des critiques et des nostalgies, quand de nouvelles générations se mirent à chanter la beauté d’une Eglise ancienne qu’elles n’avaient pas connue, quand on commença à regretter un temps qui n’était plus, les prêtres conciliaires ont souffert. Le combat de leur existence aura-t-il était vain ? Heureusement l’arrivée du Pape François a constitué une divine surprise qui les aident à mourir sans aigreur et confier ce combat à d’autres mains qui le prolongeront pour la Victoire de l’Evangile.

 

Une vie sacerdotale comme celle de Charles n’aurait pas été possible sans être nourrie chaque jour par une vie spirituelle profonde. Cette relation à Dieu et cette écoute de sa Parole seraient mortes si elles s’étaient endormies dans de simples exercices de piété ou dans la répétition de formules rituelles. Aidés par des rencontres fraternelles, encouragés par le partage de la Parole, accompagnés par la Révision de Vie ils ont su vivre d’une Foi simple et rayonnante. Ces visages de prêtres, aujourd’hui souvent marginalisés par le temps qui passe demeure dans le paysage ecclésial d’aujourd’hui des repères de bonté et de miséricorde dont toutes les générations gardent le bénéfice. Assurément Charles Magnier, qui nous quitte à la veille de ses 90ans, est et restera pour l’Eglise et le Monde une Grâce de Dieu.

 

Les mots que St Jean met dans la bouche de Jésus à la veille de sa passion disent la prière de Jésus sur laquelle se fonde l’Eglise. Ils disent aussi le secret de la vie de Charles et de tant d’autres prêtres lorsqu’ils s’approchent de la fin de leur vie. Je terminerai avec la conclusion de cette prière sacerdotale si réconfortante :

 

 

24 Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde.

25 Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.

26 Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux.

Jacques NOYER

Article publié par Michèle Leclercq • Publié • 1642 visites