Itinéraire spirituel d'un journaliste

Témoignage de Michel COOL, rédacteur en chef à l'hebdomadaire "La Vie"

 

Présentation par Madame Isabelle Gosselin :

 

Bonsoir à tous et merci de nous avoir rejoints pour écouter le témoignage de Michel Cool. Michel est rédacteur en chef à l’hebdomadaire « LA VIE » et chroniqueur littéraire du « Jour du Seigneur »

Il fallait nous rejoindre pour que vous témoigniez, que vous nous racontiez votre itinéraire d’homme à travers le bruit et la fureur du monde, comme il fallait que vous témoigniez de la fécondité des  « silences ».

Un besoin de prendre de la distance, du recul pour mieux appréhender l’actualité du jour, de la semaine…Vous dîtes qu’il faut « sauver le silence intérieur » dont le journaliste a tant besoin, afin que ce métier demeure un métier de relations humaines. Vous dîtes : « Il faut se donner les moyens de soupeser le poids des paroles et le sens des mots ».

Quel beau chemin ! Un chemin que vous avez réussi à prendre à travers des expériences de vie heureuses et malheureuses. Vous nous livrez vos blessures, celles qui vous tombent dessus par surprise, comme un don.

Je voudrais rappeler que votre livre, votre autobiographie, a été élu prix 2012 de littérature religieuse tant il aspire à l’authenticité, à la bienveillance.

Merci d’avoir répondu favorablement à notre invitation et de nous faire goûter à cette Présence habitée de ce silence qui fait le miel et la joie de votre vie d’homme et de journaliste. Je vous laisse la parole.

 

 

Monsieur Michel Cool remercie Isabelle et nous confie qu’il se sent un peu chez lui, ici, au Touquet, parce qu’il a une maison en baie d’Authie. Il félicite aussi l’équipe de Past’opale dont le dépliant sur les activités estivales du secteur est fort bien faite ?  « Chapeau » ! dit-il. Cela fait plaisir de voir une communauté chrétienne experte en communication.

 

Il déclare ensuite que le goût de la vie et le silence ne sont pas incompatibles. Le titre se son livre : « Conversion au silence » pourrait en effet paraître bizarre, venant de quelqu’un dont le métier est lié à la communication, aux paroles…Cela me convient, cependant, ajoute-t-il, car je suis à la fois timide et bavard. Il précise qu’il ne se réfère pas à n’importe quel silence. Il s’agit d’un silence habité. (Il ajoute que l’on vous procure désormais du silence dans des abbayes, chez des moines et des moniales et même …à bon prix. C’est un silence qui me donne envie de témoigner. Il est habité de la présence du Seigneur. Il joue en duo avec la vie trépidante du journaliste qui subit le stress du métier et celui de l’actualité. Etant aussi rédacteur en chef de « La Vie », Michel Cool précise qu’il faut aussi gérer les autres, les collaborateurs. Et puis, comme partout, il faut être les premiers, les meilleurs. (Nous ne sommes pas épargnés par la maladie productiviste). Stress et bruit sont devenus les deux plaies du monde moderne.

 

Comment le silence m’a-t-il découvert ou retrouvé ? A quel moment inattendu ? Il m’a déshabillé, bouleversé, dépouillé, mis à nu (comme disait Baudelaire dans  « Mon cœur mis à nu »). Mon histoire est toute simple. Il y a trente ans que j’étais journaliste. J’ai commencé dans ma région, non loin de Saint Pol sur Ternoise. (Un homme qui mûrit, c’est quelqu’un qui sourit à ses racines). C’est là que j’ai les miennes. Lorsque j’étais jeune, j’aimais déjà l’écriture. Quelle profession choisir ? J’ai d’abord voulu être prof de français et puis j’ai eu le coup de foudre pour ce métier qui permet de rencontrer les autres : journaliste. Je suis « monté » à Paris, suis entré à « La Vie », ai travaillé pour « Le Pèlerin », « Témoignage Chrétien » et dans la presse profane : l’ « Express » le « Monde diplomatique ». On me demande : « Pourquoi ne ferais-tu pas de la télé ? De la radio ? Une rubrique littéraire ? Petit, j’avais un rêve : avec un électrophone, je composais des émissions imaginaires. Providentiellement je reçois un coup de fil de Laure Adler qui me propose quelque chose alliant culture religieuse et interreligieux. C’est alors que j’ai mené des rencontres entre Israël et la Palestine afin d’encourager le dialogue entre « les deux camps ».

 

J’ai travaillé pour France Culture, à des émissions de culture religieuse à la radio .C’était une vie trépidante, passionnante. J’ai été élevé dans un milieu catholique. Tout jeune, j’étais plutôt mystique et j’avais même pensé à devenir prêtre, avec une incursion au petit séminaire d’Amiens. Mais j’ai abandonné cette voie. J’étais devenu un chrétien tiède, culturel. Ma foi était passagère et « de passage », avec des moments très forts toutefois, comme la grande rencontre de 1986 à Assise avec le pape Jean Paul II pour une réunion œcuménique et interreligieuse. Mais ce n’était pas encore une foi d’adulte, assumée, christique.

 

Arrive la clairière, l’orée des cinquante ans. Cette belle construction (38 ans de carrière) tombe par terre !!

·  Un licenciement, le chômage…C’est un coup dur mais, plus encore, l’occasion de rebondir. Je reste très sensible vis-à-vis de ceux qui vivent cette expérience ? On était quelqu’un de connu, de reconnu, et l’on devient un numéro (on ressent très fort cela quand on fait la queue à l’ANPE. Je découvre que je n’étais pas grand-chose. C’est assez cruel.

·    Conséquence de l’ébranlement social, le découvre la maladie. Moi qui n’avais jamais connu l’hôpital, je subis une opération ; ça rajoute « une louche » à la déstabilisation. Maintenant j’ai, comme dit Saint Paul, une écharde dans la chair.

· Enfin je vis la perte d’un être cher. Mon père meurt. C’est difficile à vivre. Heureusement, il y a ma famille qui m’entoure.

 

Je n’avais pas fait la rencontre. C’est à ce moment que je découvre le silence. C’est une grâce. On m’a demandé de faire un livre. J’avais pensé à quelque chose sur la vie monastique, la condition humaine (j’aime ce beau titre de Malraux) des moines et moniales. Comment vivre cette condition sans s’être choisis ? J’ai donc « écumé » les monastères (France, Belgique, Suisse…). Je me trouvais dans une abbaye à Scourmont en Belgique, là où l’on fait la bière de Chimay. C’était l’occasion d’une rencontre très riche. J’avais assisté à la prière des Laudes (belle par sa simplicité). C’est une prière augurale. Un jour nouveau nous est donné. C’était en février. Il y avait un magnifique ciel d’hiver. J’ai eu envie d’aller marcher dans un petit bois. J’avais oublié ma condition. Tout à coup, je me mets à chialer comme un gamin. J’ai réalisé que je pleurais de contrition et de joie en même temps. C’était très curieux. Il y avait évacuation et remplissage. Cela a duré un bon moment. Je me suis demandé si je faisais une déprime. Non. J’étais pacifié, j’étais bien. Quand j’ai pris ma voiture pour rentrer, je n’ai pas mis la radio. J’ai roulé en silence.

 

Je suis là, pas seul. Je rentre à la maison. Je n’ai pas parlé de tout cela tout de suite, pas même à mon épouse. J’ai gardé tout cela pour moi pendant trois ans. Ce n’était pas une déprime puisque j’étais plutôt bien. J’avais des livres des Pères de l’Eglise, orientaux. J’y ai lu qu’à côté du baptême « classique », il y avait un « baptême des larmes » C’est la possibilité pour les pécheurs repentis de se laver, de se « lessiver » des péchés. Pour ôter la marque du péché, on demande la déploration. Il y a aussi « le baptême du silence » qui accompagne ce lavage.

On fait alors une révision de vie. Je constate que j’ai été retrouvé par quelqu’un .J’avais été marqué par des moments de silence, mais je n’étais ni réceptif ni disponible. Tout chrétien devrait faire un « check up » spirituel. J’ai aussi été touché par une phrase de Newman qui m’avait aidé à cheminer depuis Scourmont. J’ai aussi découvert la prière du Rosaire. On y expérimente comment la vie du Christ rejoint la nôtre.

« Le Seigneur passe »…, formule que l’on trouve dans un tropaire d’une hymne monastique. Le silence m’a converti, enveloppé.

 

On peut se demander comment je concilie ma vie de journaliste avec ce silence qui est une révolution dans une vie. J’ai découvert la force de la prière. Ce silence n’est pas un silence d’exil, de fuite du monde. C’est un silence qui m’« arme » pour mieux aller à la rencontre des autres afin de les aider à sortir de la dureté, à sourire un peu. (Je constate cette dureté lorsque je croise les gens dans le métro, sur le chemin du travail. Ils ont parfois des visages si las, si fermés…)

 

Si l’on pense que le silence est le mépris du monde ; on n’a rien compris. C’est dans le silence que l’on trouve Dieu, avec la volonté d’aller rencontrer les autres. C’est le prélude à l’émerveillement.

 

Le matin, je prends désormais une trentaine de minutes et prie « la prière du temps présent » (que prient tous les religieux chaque jour, et bien d’autres). C’est un abandon à cette Présence dès le matin, un ressaisissement. Ma vie de prière et de journaliste se conjuguent dans l’image du bréviaire et de l’agenda posés côte à côte. Je vais rencontrer des gens et la prière est un creuset, une ascèse. Il faut s’organiser pour laisser de la place à ce temps privilégié.

« Parfois je ne dis rien, il ne se passe rien mais je suis là » dit une religieuse. Cela donne de l’ardeur et du courage. Je me laisse visiter par La Présence par le biais de la prière. Le silence est un dilatateur ? C’est un moment qui « met à nu » vis-à-vis de soi-même. Cela grandit certaines sensations. Je prône désormais un journalisme plus contemplatif. J’avais inventé : « les oublis du 20 heures ». La prière est l’antichambre de la Rencontre, de l’Amour. Au début, c’est une brûlure silencieuse. Souvent, les choses fortes se vivent en silence. Le plus important c’est que le silence nous fait découvrir notre vie et notre liberté intérieures. A ne plus savoir le sens des choses, on ne sait plus où on en est.

 

Je connais un lieu en Suisse,  où vit une religieuse dans une communauté que l’on pourrait appeler le versant féminin de Taizé. On y fait des rencontres avec des personnes appartenant à diverses religions, dont des juifs. De là on a une vue sur le lac de Neuchâtel. On y trouve ce silence dont nous avons besoin, car le pire, c’est l’écho que les bruits extérieurs font en nous Cela occulte la zone où quelqu’un nous attend. Pensons aux « cercles de silence » où des gens se rassemblent pour protester silencieusement. Ils interpellent les consciences. Le silence est un vecteur de témoignage. Il faut aussi rendre grâce pour accueillir cette visitation.

 

J’ai vécu l’itinéraire d’un journaliste tout simple, brûlé par une visitation. C’est un pèlerinage vers l’Ami qui demeure en moi. En chacun de nous il y a une crèche avec un enfant. Il faut redevenir cet enfant spirituel. Les enfants de Dieu sont libres et citoyens solidaires. Le silence nous grandit, il est notre berger.

(Le Seigneur est mon berger).

 

Echange avec le public

 

* Je suis un peu surpris que votre parcours ne vous ait pas mené aux sacrements de la réconciliation et de l’Eucharistie

Oui, je participe à l’Eucharistie et songe à me diriger vers la démarche de la réconciliation. Je me souviens, en pensant au silence, au désert, à une parole très forte de Monseigneur Noyer, prononcée dans le désert du Néguev : « Dieu n’a pas besoin d’être défendu, il a besoin qu’on le suive »

Quelqu’un propose une minute de silence. Elle se fera en fin de réunion.

Le silence, pour moi c’est morbide déclare quelqu’un

Le silence n’est pas un but en soi mais un chemin. Il s’agit d’un silence humanisant tendu vers une rencontre.

*Y a-t-il eu un changement dans votre couple ?avec vos collaborateurs ?

En ce qui concerne mon couple il faudrait demander à mon épouse qui est ici…Avec mes collaborateurs je privilégie la rencontre personnelle. Je dis bonjour à chacun chaque matin et rencontre chacun face à face chaque semaine ? C’est exigeant mais super.

On cite quelqu’un qui s’occupe de soins palliatifs et déclare : « Nos dernières conversations sont des dialogues de silence. »...

Article publié par Michèle Leclercq • Publié • 2272 visites