Le culte du corps parfait

Conférence de Loïc d'Hautefeuille, diacre psychiatre

 

 


Le culte du corps parfait, de la publicité à la médecine, quels enjeux ?

 

 

Présentation rédigée par l’abbé Guy Pillain, curé de la paroisse du Touquet :

 

Depuis quelques années, notre société développe une «image du corps idéal ». Les prouesses spectaculaires de la médecine font espérer pendant un temps que tout va devenir possible. Cependant la réalité peut aussi s’éclairer d’un tout autre regard et s’accompagner d’un chemin d’Espérance en écoutant le projet de Dieu pour l’homme.

Monsieur Loïc d’ Hautefeuille est diacre et s’est occupé de la pastorale de la santé. Il est psychiatre et a soigné des adolescents. Il s’est intéressé au corps des bébés et à celui des personnes vieillissantes, lequel va vers sa «  fin », qui n’est pas simplement un terme mais une finalité dans un projet qui porte un sens, à la lumière de la foi

Monsieur d’Hautefeuille remercie Past’opale de l’avoir convié à cette rencontre. Il présente son plan 

 

  1. Le « décor »
  2. Comment parler du corps ce soir ?

a)      corps et société

b)      corps médicalisé

  1. Vieillir est-ce une maladie ?
  2. Garder l’Espérance.

 

Pourquoi cet intérêt pour le corps ? Je ferai, dit-il, une approche forcément parcellaire qui laisse bien des aspects de côté, soit volontairement, soit par ignorance, mais aussi parce que le temps est quand même limité.

Intéressé par le corps, il a fait des photos d’adolescents, puis des corps de bébés. Quand il travaillait au Havre, on lui a demandé une conférence sur le corps.

 

I] Le décor

  • De l’infiniment grand à l’infiniment petit. L’homme explore le monde et veut le transformer.
  • Développement sans précédent de la médecine
  • Modifications rapides des repères et des valeurs
  • La révolution informatique

 

 

Monsieur d’Hautefeuille nous conduit, à travers une cascade de chiffres qui donnent le vertige, dans l’univers de l’immense, puis dans celui de l’infiniment petit. (On peut y voir une allusion aux deux infinis entre lesquels vit l’homme, ce qui bouleversait Blaise Pascal). L’univers, selon la théorie du Big Bang, aurait « commencé » il y a 15,5 milliards d’années. La lumière des étoiles nous parvient longtemps après leur émission, parfois même après leur mort. La lumière, dans le vide, parcourt 300 000 kms à la seconde. Les chiffres sont si astronomiques que l’on est obligé de compter en années-lumière. Une année-lumière correspond à 10 000 milliards de kms. La plus lointaine galaxie, photographiée par le satellite Hubble , a une lumière qui met 13 milliards d’années à nous parvenir ! Monsieur d’Hautefeuille a cité bien d’autres chiffres …

Même vertige devant l’infiniment petit. Dans ce monde, on s’intéresse à des structures inférieures à 100 nanomètres, c'est-à-dire cent millionièmes de millimètres (notre ADN mesure 2 nanomètres de diamètre).
Dans le domaine des soins du corps et des handicaps, les nanosciences promettent une médecine régénérative étonnante. Implants cochléaires pour pallier la surdité. Implants oculaires pour réparer les maladies de la cornée des aveugles et malvoyants. Prothèses pour des personnes paralysées grâce à la liaison d’un dispositif électronique aux cellules nerveuses du malade. (La marche redeviendrait possible).

 

On pourrait croire que tout devient possible. On en arrive à la bioscience avec le travail sur les cellules souches, les greffes d’organes etc…Les progrès sociaux contribuent à une meilleure santé : amélioration de l’alimentation, de la salubrité. L’espérance de vie croît de deux à trois mois chaque année. En 2010 elle était de 67 ans, en 2050 elle sera de 75 ans. L’augmentation rapide de la population mondiale nous approche du chiffre de 7 milliards d’humains sur la planète.

L’homme découvre la complexité de son propre corps. Pour un chercheur, tous ces progrès sont merveilleux mais en même temps inquiétants. Peut-on manipuler infiniment les composants du corps humain ? Faut-il refuser cette révolution ?

Tout va-t-il se numériser ? Allons-nous avoir des codes barres pour tout ?

 

Le développement de l’informatique est très rapide. Il y a quarante ans c’était l’arrivée des microprocesseurs, puis ce fut internet. La nano technologie ouvre aujourd’hui des perspectives « renversantes » (on va pouvoir aller dans le corps humain pour explorer, modifier, réparer…)

Avant, à l’hôpital, on utilisait des dossiers papier lourds et encombrants. Maintenant tout s’informatise. On peut numériser et tout cela peut circuler librement sur internet. Pour quel usage ?...

 

Nous avons connu une rupture historique avec :

1.      La shoah

Alors l’Homme fut ramené à l’animalité, à une chose à un objet.

Primo Lévy, qui a vécu la shoah, dans son livre :  « Si c’est un homme » a écrit en parlant des nazis : « Ils ont détruit l’humanité dans l’humain ». Plus tard, il se suicidera. Que faisons-nous en détruisant des embryons ?

2.      L’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima (6 août 1945)

Nous avons découvert alors la capacité de l’humanité à se détruire elle-même. Les transformations de l’humanité entraînent souvent des paradoxes : enthousiasme et angoisse par exemple. Qu’est-ce que l’homme sur la Terre avec son corps si limité et si fragile ?

 

Corps et société :

Le corps est devenu l’incontournable dans la publicité, les médias. N’est-ce qu’un effet de mode ? En tous cas, le corps provoque, s’impose, revendique. Partout sont proposés des crèmes, des régimes, tout un « arsenal » de produits et de pratiques destinés à faire du corps quelque chose qui ressemblerait à un corps parfait ; et pour ce faire il faut le régénérer , le mettre « au top » de ce que veut la mode. Ainsi en ce moment valorise-t-on les athlètes des Jeux olympiques. On cède au culte du corps et de la performance. N’appelle-t-on pas les athlètes les dieux du stade ? Le corps est tellement présent partout que l’on ne remarque plus son omniprésence. Le respect du corps humain s’applique à tous. On veut un corps parfait, sans faiblesse, sans défaut, sans excès de graisse, sans maigreur. On tente de rendre incontournable une représentation sociale du corps. Il devient source de tout désir et de toute satisfaction. Cela est cependant loin de la réalité mais tend à devenir la norme, laquelle oriente notre manière de vivre et de penser. Un exemple : on entend des personnes discuter, elles rêvent de bonnes choses, de nourritures savoureuses mais voilà elles se refusent à les manger car il faut entrer dans l’image du corps idéal. Plus avant, on malmène le corps par des régimes, des traitements, des cures, de la chirurgie réparatrice (esthétique). Cette chirurgie a augmenté de 110% et les cosmétiques et produits similaires de 750% !

 

La différence des sexes source de contrôle social

 

Songez à la minceur des mannequins féminins. Ils ne doivent pas peser, être comme « aériens ». La chair ne doit pas bouger mais rester ferme.

Pour les hommes, on prône les qualités athlétiques. L’homme doit être sans graisse et musclé.

Il y a contrôle de la santé sur l’individu (lutte contre l’obésité). L’obèse est perçu comme incapable d’exercer un contrôle sur lui-même. Tout cela n’est pas toujours réaliste.

Vous connaissez les poupées Barbie. Sachez que si de telles femmes existaient dans la réalité, elles tomberaient en avant, elles ne tiendraient pas debout ! A cause de ce genre de « modèles », les jeux des fillettes ont subi une révolution. Avant, elles jouaient de préférence à la maman, s’amusant à pouponner, s’occupant des autres. Désormais, elles jouent à être femmes, comme Barbie. Elles s’habillent comme des femmes, veulent se maquiller.

 

La théorie du genre comme tentative de maîtrise

 

La distinction du sexe est pertinente. On tend à considérer le corps comme un matériau de fabrication alors que les êtres humains sont avant tout des personnes. On veut une maîtrise totale sur l’homme. Au lieu de dire comme au temps de Socrate : « Connais-toi toi-même », on dit : « Fais-toi toi-même ».

 

Le corps médicalisé

Est-il un corps malmené ? Que se passe-t-il quand nous sommes malades ?

Se présentent alors quatre tentations réductrices :

1)      Le corps est réduit à un corps animal. Le système de santé est lié à la technicité médicale. Il y a rejet du doute à propos de la vie, de la mort, du temps. Beaucoup de nos gènes sont semblables à ceux du gorille ou du chimpanzé. On peut être tenté de dire qu’animal et homme sont pratiquement semblables. Avec les « progrès » de la science, les animaux pourraient faire corps avec les humains. Les gènes seraient mélangés. On pourrait créer des chimères. La barrière des espèces serait levée. Que devient « l’homme fait à l’image de Dieu ? ».

2)      Le corps réduit à une machine

Il est chosifié, réduit à ses organes. Des machines sont introduites dans le corps humain. Il y a d’abord eu des reins artificiels puis des pompes à insuline. On songe à réaliser un œil artificiel. Les implants cochléaires existent déjà pour les sourds. La conscience même pourra être mise en codage informatique. Des implants ajoutent parfois des fonctions à l’humain. Il y a des vêtements qui peuvent rendre invisibles. Des puces électroniques introduites sous la peau peuvent renseigner, en cas de guerre, sur la nature (ami ou ennemi) de quelqu’un non repérable visuellement. On vous demandera bientôt si vous désirez une barrette de mémoire pour renforcer celle qui devient défaillante. Le corail pourra remplacer le tissu osseux. Le sang utilisé pour les transfusions est souvent remplacé par de l’hémoglobine recomposée. Il sera possible de régénérer des nerfs. On crée déjà de la peau « cultivée »

Du temps de Platon, on imaginait le démiurge comme un potier, du temps de Voltaire comme « un grand horloger ». La prochaine image, modèle de la pensée humaine, sera-t-elle celle d’un ordinateur ? Le choix auquel nous sommes confrontés est fou. Si l’on accepte que l’homme soit une machine, les risques sont énormes.

 

3)      Le corps humain réduit à une chose

 

Le corps humain ne peut être instrumentalisé, c’est une loi dans notre pays. Il ne peut devenir objet d’échange ou de commerce (les dons d’organes sont anonymes et gratuits) Le corps humain est indisponible (il ne peut devenir un « réservoir » de « pièces détachées »). Le matériel vivant est instrumentalisable mais pas l’être vivant dans son « entièreté ». On peut donner un rein, des spermatozoïdes, des ovocytes ; on ne peut se saisir de l’être entier. Le danger c’est que l’on pourrait breveter les découvertes génétiques. L’homme pourrait devenir lui-même objet de brevet !!

Et l’embryon ? Quel est son statut ? N’est-t-il qu’une simple chose ? Ce sont des questions éthiques fort importantes qui sont très à l’étude de nos jours (juridiquement il serait souhaitable qu’il y ait accord entre les différentes nations du monde)

 

4)      Le corps humain réduit à ses organes

C’est un gros risque. La personne ne peut être réduite à ses organes. Pensons aussi que le handicap existe, la vieillesse aussi. Or, pour beaucoup, ne pas pouvoir rester jeune constitue un échec.

 

Vieillir, est-ce une maladie ?

 

C’est une étape inévitable pour acquérir sagesse et maturité. Un article du Figaro titrait : « Je veux rajeunir » Il y était fait mention de traitements de toutes sortes pour y parvenir, avoir moins de rides, plus d’éclat etc. Tentant !

Pour certains, vieillesse rime avec détresse. La maladie rend la vieillesse pas toujours rose. Elle nous fait peur, surtout quand elle s’accompagne de dépendance, d’une diminution importante pouvant aller jusqu’à la perte d’autonomie. Et puis nous sommes mortels et cela, on le cache. On cache le vieillard à l’hospice, à la maison de retraite (peu vont en vacances …). La vieillesse est égale à la déchéance et certains réclament le droit de mourir. La dignité serait « mourir debout » en quelque sorte. Avec la réduction de la natalité, on assiste à l’augmentation des vieillards.

A vouloir redéfinir et remodeler le corps pour façonner l’homme idéal, on recrée les groupes identitaires, d’où le différent est toujours exclu et l’on risque d’en venir à : certains ne méritent pas de vivre.

 

  Garder l’Espérance

 

Paradoxalement, déclare le conférencier, la fragilité est une ouverture vers l’altérité et le don. Faut-il travailler à réparer la fragilité ? Le dépassement fait apparaître du radicalement nouveau. Nous nous rendons compte que nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes. C’est un appel à recevoir et à donner. La fragilité devient le lieu privilégié où nous reconnaissons notre valeur. Dans cette fragilité, nous découvrons que nous avons du prix aux yeux de ceux qui nous aiment et nous nous reconnaissons nous-mêmes.

 

Regards sur la Genèse

 

Dans ce texte de la Bible se trouve le récit de la Création. En parlant de l’Homme que Dieu crée « à son image », il est dit : « A son image Il les créa, homme et femme il les fit ».Adam est déjà la préfiguration de Dieu en son Fils. C’est aussi avec notre corps que nous sommes à son image, image qui va de notre conception à notre mort. Dieu est avec nous à chaque instant.

Quel est le plan de Dieu ? Que nous allions à Lui. Notre corps est un chemin pour aller à Dieu, ce qui nous conduit à perdre la maitrise de nous-mêmes et à nous centrer sur un cœur à cœur avec Dieu, alors que pour beaucoup le handicapé ne peut être perçu que comme un échec. Le vieillissement nous amène à la confiance, à la gratuité, à l’attention à l’autre. Le corps handicapé parle aussi de Dieu. Le face à face masculin-féminin : une richesse qui devient don. Il faut aborder la spiritualité du corps. Rappelons-nous le : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » De la rencontre avec la femme, l’homme découvre la joie. Quand Dieu la présente à Adam, celui-ci dit : « A ce coup c’est l’os de mes os ». Les enfants sont à l’image de l’homme et de la femme. La fécondité rappelle le Créateur. L’autre différent est un peu de Lui. Notre corps nous appelle à rencontrer l’autre et à nous tourner vers Dieu.

 

Ecce Homo, Voici l’Homme

 

Le Dieu incarné, à partir du procès de Jésus, devient Dieu flagellé, couronné d’épines, Dieu exilé, dans l’humiliation, la vulnérabilité et la souffrance. L’homme n’est pas exempté de la souffrance (différente de la douleur). Sophocle disait « C’est quand je ne suis rien que je deviens vraiment un homme » et Bernanos dans « Un curé de campagne » parle de « se retrouver sur l’épaule de Jésus Christ »

La phrase du Christ juste avant la Passion : « Prenez et mangez, ceci est mon Corps » peut paraître mystérieuse. C’est le partage du Pain rompu ; et, sur la Croix « Tout est accompli ». Le corps n’est que plaie mais Jésus a pourtant atteint totalement son but.

La maladie et la vieillesse seraient-elles chemin de fécondité ? Faut-il voir la vieillesse comme une marche vers Dieu ? Ce n’est pas acquis d’avance. Certains ont parfois la tentation du suicide. Tout au long du chemin parcouru par un sujet, lentement et à travers succès et échecs, le sujet va devenir « autre ». La personne peut se révolter, mais  peut envisager l’avenir en apprenant à lâcher prise, à s’abandonner. La résurrection va transformer la pierre rejetée en pierre angulaire !

 

Conclusion :

La mort est sans âme et sans sens. La vie alors est âme et n’est plus un grand vide. Nous nous tournons vers les autres et vers Dieu. Nous sommes à la recherche du corps immortel qui nous unit à Dieu et aux autres.

 

Echange avec le public

 

Pouvez-vous nous expliciter l’idéologie du genre ?

Je partirai d’une phrase de Simone de Beauvoir : « On ne nait pas femme, on le devient ». Le féminin et le masculin sont une production de la société. Nous pouvons changer ce que nous voulons être dans la société.

 

Souffrance et douleur, quelle est la différence ?

La douleur a un substratum anatomique. Nous avons une mémoire de la douleur. Il y a un mal dans le corps avec la douleur, mais il y a souffrance quand on est seul, par exemple. Contre la souffrance il n’y a pas beaucoup de traitements médicamenteux.

 

A propos de l’euthanasie, déclare une personne qui s’occupe de patients atteints de maladie d’Alzheimer : elles ont toujours l’espoir de vivre, on peut les aider.
En ce qui concerne les adolescents et la fragilité chemin d’ouverture sur l’altérité, comment les aider à vivre cette fragilité ? Et à propos de la maladie chemin de fécondité, comment trouver ce chemin ?

Je soigne, je ne suis pas là pour aider. Je rencontre parfois des ados qui ont toujours été en échec. Avant la rencontre, je pense à celle, celui que je vais rencontrer. Je lui demande : « Qu’as-tu fait de beau cette semaine ? Beaucoup répondent : « Rien ». Alors on cherche, et on trouve.

A propos de fécondité, j’ai rencontré un jeune très violent, avec des problèmes génétiques. J’essayais simplement de passer du bon temps avec lui. Les ados doivent découvrir qu’ils peuvent être acteurs d’eux-mêmes. Il faut trouver des bons points pour vivre avec eux. Mais il n’y a pas de « recette ». Chaque fois je vis une rencontre singulière.

 

 

 

 

 

 

 

Article publié par Michèle Leclercq • Publié • 2874 visites