Un prêtre à la guerre, pour quoi faire ?

Conférence du Père Christian Venard

Accueil par Madame Creuze qui présente l’abbé Christian Vénard à la confèrence du Touquet.

 

     Celui-ci est aumônier militaire au 17ème régiment du génie parachutiste à Montauban depuis 1997. Il a effectué de nombreuses expéditions militaires au Kosovo, au Liban, en Afghanistan, au Mali . Il est de retour à Montauban en 2012. Le 15 mars 2012, il est témoin de l’assassinat de deux jeunes militaires du 17ème RGP et des graves blessures infligées à un troisième par Mohamed Merah, djihadiste terroriste qui sera abattu quelques temps plus tard. Le père Vénard  a écrit un livre : « Un prêtre à la guerre » avec Guillaume Zeller, paru aux éditions Tallandier.

Ce livre est, dit-il, d’abord et surtout un témoignage et un hommage à « ses » paras . Depuis la parution de cet ouvrage, tout le monde veut interviewer ce prêtre atypique. Le livre montre : l’armée, les prêtres, l’engagement. Mais, nous demandons-nous, d’où vient ce « padre » ?

De la France profonde, répond-il ; de la région lyonnaise d’un côté et du Périgord de l’autre. Son grand père a rencontré sa grand-mère en Algérie. La vieille famille lyonnaise avait une maison à Vienne où le père Vénard dit avoir passé de très heureuses vacances. Son père faisait partie d’une fratrie de dix enfants. Officier, ce père a vite « promené » tout son monde de garnison en garnison. Lui-même, Christian, est l’aîné de sept enfants. Un évènement a beaucoup bouleversé le jeune garçon qu’il était lorsque, alors qu’il avait onze ans, sa maman a été victime d’un terrible accident de voiture dont les conséquences ont été lourdes et ont duré longtemps. Christian a alors secondé son père lieutenant- colonel. Il a un frère prêtre et un autre dans l’armée. Il a vingt ans de différence avec son dernier frère .

Il passe son bac à dix sept ans, pour être « débarrassé » de l’école, mais il a adoré les cours de droit et d’histoire politique qu’il a suivis à l’école militaire. A vingt trois ans, il se lance dans l’entreprise pour assurer son indépendance économique et crée l’Ecole supérieure d’assistanat dentaire. Il laisse alors tomber la thèse qu’il avait commencée.

Dans un autre domaine ( il est issu d’une famille très chrétienne et même quelque peu teintée de jansénisme et plutôt rigoriste) il a eu très vite l’impression que le Seigneur l’appelait. Mais comment à la fois répondre à l’appel du Seigneur et entrer dans les paras ?

Avant de répondre, le père Vénard propose aux participants à la conférence de faire une minute de silence à la mémoire de tous les militaires français qui sont morts pour nous lors de la 1ère et de la 2ème guerre mondiale, puis de ceux de la guerre d’Algérie et des combats en Afghanistan, au Mali, en Centrafrique, sans oublier les morts de l’affaire Merah à Montauban.

Il revient sur cette tuerie survenue le 15/03/2012. Abel Chenouff, français catholique d’origine algérienne, âgé de 21 ans et Mohamed Legouad , français musulman d’origine algérienne, âgé de 24 ans sont tués par Mohamed Mérah. Loïc Liber, âgé lui de 28 ans,  est atteint à la tête et très grièvement blessé. Ils se trouvaient tous trois non loin de la caserne où ils étaient cantonnés à Montauban. L’un des trois militaires est sous-officier au 17ème régiment du génie parachutiste et les deux autres sont des engagés au sein du même régiment.

Le père Vénard prenait un café avec deux jeunes femmes qui avaient perdu leur mari en Afghanistan (elles portaient toutes deux le prénom de Sandra) . Soudain il a entendu des coups de feu de l’autre côté du mur. Il est allé voir et il est « tombé » sur une scène de guerre : trois de ses gars étaient au sol, baignant dans le sang. Il s’est assis à même le sol et a prié pour Abel Chenouff puis pour Mohamed Legouad. Le blessé a été évacué . Il est maintenant tétraplégique.

 

Que veut dire être prêtre, militaire, et se trouver au milieu de ces gars, dans l’horreur ? Je n’ai pas de réponse, mais j’ai découvert ce qu’était la présence de Marie auprès de son Fils en croix.

 

Cet évènement traumatisant, dit-il, ne cesse de me hanter comme il hante mes camarades paras. Cela s’est passé sur notre sol national. Ces hommes étaient français et militaires.

Guillaume Zeller, le co-auteur de mon livre, a appelé. Il était au Tchad. J’étais ami avec Philippe Labro, Zeller et lui sont devenus amis. Quand on m’a demandé d’écrire un livre, je me suis dit : c’est un dur travail… De plus je ne voyais pas qui cela pourrait intéresser. Je ne voulais pas que le titre tourne autour de moi. Je veux simplement rendre hommage aux morts, aux militaires, et porter témoignage des héritages qui étaient les miens par ma famille , mon pays, mon Eglise. Il n’y a pas de photo de moi dans le livre. J’ai plaisir à servir mon pays dans les armes comme militaire, et comme prêtre dans l’Eglise catholique. Ce livre remplit cet objectif.

Je reviens sur le témoignage des héritages que j’ai reçus.

Je suis né dans une famille très chrétienne et qui a donné des prêtres à l’Eglise pendant des générations, surtout du côté paternel. Je me souviens de la prière du soir que nous faisions ensemble. Un jour, alors que nous nous embrassions chaque soir, mon grand père m’a dit :  «  Tu as sept ans, tu es un homme, on ne s’embrasse plus. » Pourtant, je le regardais pendant la prière du « Je vous salue Marie » et je voyais en lui s’illuminer son visage d’enfant.

 

J’ai perçu le 1er appel du Seigneur à l’âge de huit ans alors que je participais à un camp louveteau. Lors d’une confession, le prêtre auquel je m’adressais m’a dit : 

« Tu n’as jamais songé à devenir prêtre ? » Je n’ai pas réagi tout de suite. C’était un peu comme lors du développement d’une photo en argentique. On ne voit pas l’image tout de suite. Il faut tremper le papier dans un bain contenant un produit « révélateur ». Ce prêtre a été pour moi un révélateur. Le Seigneur, lui, savait. Je repense à la phrase du psaume : « Tu me connaissais dès le sein de ma mère »…Puis sont arrivées les contradictions, liées au vieux fond janséniste et volontariste de bien des lyonnais de cette époque. Je croyais que pour être prêtre il fallait être une sorte de saint…Et je ne me sentais pas saint du tout ! (Le seul saint, c’est Jésus-Christ). Cela m’a beaucoup bloqué. A la fin de l’adolescence, j’avais le goût du « monde ». Je n’aimais pas l’école mais j’ai été heureux dans les études universitaires à Paris. Cependant la question profonde restait ancrée en moi et me tourmentait.

J’ai alors travaillé dans le recrutement pour chirurgiens dentistes. A 22 ans, j’étais un peu « fou » (il faut l’être à cet âge, sinon on est « déjà mort ») et j’ai créé la société commerciale dont il a été question tout à l’heure. C’était un écran de fumée supplémentaire à ma vraie vocation. Et puis  il y a des rencontres dues à la providence…Je prends un TGV pour me rendre en Bretagne avec un ami, Hervé, qui n’est pas là. A côté de moi s’installe un gars un peu bizarre. « Tu vas faire quoi en Bretagne ? » me demande-t-il (j’allais en retraite). Il me dit :  « Moi je vais voir si je vais rentrer dans un monastère » (il était un ancien drogué, très drogué). Il ajoute : « Je m’appelle Hervé… » C’était un petit signe du Seigneur.

J’ai fini par céder. Je suis allé trouver un évêque (une religieuse m’avait fait promettre d’aller voir un prêtre). Je suis arrivé chez Mgr Defois. Je lui ai dit que j’aimerais être aumônier militaire et je suis entré au séminaire à l’âge de 26 ans. Si on a un projet, Dieu veut tout de même montrer que c’est lui le maître. Je rencontre alors Mgr Dubost et lui dis que je ne veux pas être attaché à un lieu défini. Mes amis sont attachés à une terre alors que moi je n’ai pas cette fibre terrienne. Je ne connais que les casernes. Mgr Dubost a accepté de me prendre comme séminariste pour l’armée. J’ai été nommé au diocèse de Metz mais détaché aux armées.

Je suis ensuite séminariste à Rome. C’est une ville extraordinaire. J’y rencontre l’amour de l’Eglise, l’amour de notre civilisation européenne, aux sources grecques, romaines et juives. C’est alors que l’on me dit « Tu vas aller chez les chasseurs alpins »…(J’ai horreur de la montagne, je ne supporte pas…) J’arrive en 98 et là, changement de cap, je suis envoyé à Toulouse comme parachutiste. Je suis un peu rassuré mais personne chez moi n’a été parachutiste (un parent, légionnaire, avait refusé d’être para !).
Me voilà donc dans ce milieu de paras.

 

On peut se demander pourquoi il y a des aumôniers dans les armées. Pour respecter la Constitution française qui prévoit que chaque citoyen a le droit de pratiquer ou non une religion Ainsi y a-t-il des aumôniers dans les prisons. Même là, vous restez un être humain (avec droit de pensée et de culte). Il y a des aumôniers dans les hôpitaux, dans les lycées. Il existe quatre cultes officiels aux armées. St Louis a créé la représentation catholique aux armées, puis il y a eu les protestants, les israélites et les musulmans.

Depuis 2005, nous catholiques avons un grade unique, celui d’aumônier. Il n’y a pas de hiérarchie militaire. Nous avons donc des rapports simples et sains avec tout le monde. Nous ne pouvons pas exiger le salut. Il y a une grande liberté de contacts.

  • Nous assurons le culte au sein des armées (nous célébrons des messes, des baptêmes , des confirmations, des mariages)
  • Nous avons une mission d’accompagnement humain (aide au commandement, parfois).

 

Je reviens à Toulouse en 98. Si vous voulez des détails sur mon 1er saut en parachute, lisez mon livre « Un prêtre dans la guerre ». vous y apprendrez comment on a la trouille et comment on arrive au sol , non pas après une gentille descente doucement balancée dans l’air, mais plutôt de façon violente à la suite d’un saut d’une hauteur de 400 mètres, avec un aumônier instructeur devant et un « ancien » aumônier derrière pour vous « botter le train » si nécessaire au moment de se lancer dans le vide !C’est un peu un saint « sacrement » et les jeunes s’expriment crûment « Putain ! le curé il en a quand même »

 

Etre un aumônier militaire c’est un peu comme être prêtre ouvrier. Des liens indestructibles se créent avec ceux que l’on accompagne. J’ai pris le pas de grands anciens comme le père Delarue et le père Jego  (lequel a effectué son dernier saut en 1998) qui se sont mis au service de leurs unités.

Les aumôniers ne sont pas armés, ils ne sont pas combattants. L’aumônier représente Jésus-Christ et Il n’aurait pas pris les armes. Comme aumônier on est un référent et on est très vulnérable. ( A Tombouctou il y a eu une journée d’attente avant l’assaut et la prise de l’aéroport. Quelqu’un m’a dit : « je veux que tu sois avec nous cette nuit pour administrer les sacrements ». On est dans un système militaire et il faut savoir être présent sans être pesant.

Madame Creuze demande : « N’avez-vous pas parfois envie de tirer ? » « Non » répond le père Vénard « je n’ai jamais eu cette tentation »

Etre au service de la patrie, cela parait assez simple. Il y a pourtant des difficultés, surtout quand on considère les deux guerres de décolonisation. Il y avait parfois divorce entre les armées et la population française. Plus proche d’aujourd’hui, il est difficile d’expliquer le conflit d’Afghanistan par exemple. Au début, il y a eu une dizaine de morts parmi nous. On se demande : quel sens cela a-t-il d’aller se faire tuer là-bas ? Que dire aux familles des morts ? Cependant, si l’on maintient une présence française là-bas, c’est que c’est l’intérêt de la France. Et puis nous ne pouvons nous désolidariser des américains (problèmes énergétiques) Il y a des intérêts majeurs qui concernent notre pays mais il est sûr que c’est un conflit plus difficile que celui de la 2ème guerre mondiale contre l’Allemagne.

En Côte d’Ivoire, il y a vraiment eu du  « bazar ». La crise a commencé quand des rebelles ont voulu prendre le pouvoir (ils n’étaient alors que 150 à Abidjan). Nous attaquons ces rebelles que nous repoussons au nord jusqu’à Bouaké. Que faire alors ? Ou on tue tout le monde, ou on organise une fausse rébellion et on tue Bagbo. Les troupes loyalistes se prennent une « tôle »…C’était un merdier pas possible. On se retrouve devant 1500 rebelles et l’on découvre que du matériel leur a été fourni par la CIA (intéressée par les prix du cacao …) Le pays a été 10 ans en guerre !

Au Kosovo, le père Vénard dit qu’il n’a pas eu conscience de se battre contre des frères chrétiens orthodoxes.

On lui dit que les jeunes s’engagent peut-être pour la solde ( en période de crise économique, de chômage). Il répond qu’ils ne viennent pas pour l’argent. Il déclare que l’armée est la seule institution capable, en un an, de conduire quelqu’un à être prêt à aller jusqu’à donner sa vie. Aussi regrette-t-il que l’armée soit dotée d’un budget insuffisant. Il ajoute que, il y a quelques années, Ségolène Royal avait souhaité un partenariat entre le ministère de l’éducation et celui de l’armée.

Il ajoute qu’il est interdit aux aumôniers de faire du prosélytisme, même si, la mort se faisant présente, le « personnage » atypique de l’aumônier devient alors important. On se tourne, en présence de la mort, vers l’homme de la transcendance. Il se souvient d’un film : « We were soldiers », d’une scène surtout , où l’on annonce à une maman la mort de son fils au Vietnam. Cette scène, dit-il, je l’ai pratiquement vécue avec Sandra Toli. Ce sont des moments atroces pour tout le monde ! La 1ère réaction est le déni « ce n’est pas possible ». Puis vient la colère :  « C’est à cause de vous qu’il est mort ». Enfin, il faut annoncer aux petits la mort de leur père. J’ai pris le volant pour conduire Sandra auprès des enfants qui étaient à l’école, j’étais assis à la place de leur père ! Que penser ? Que dire ? On est sans réponse… Je ne peux que me souvenir du  « Il faut pleurer avec ceux qui pleurent », au nom de notre foi, de notre espérance. Celui, celle qui souffre, se souviendra : l’Eglise ne m’a pas abandonné(e), elle était là… Il faut respecter la douleur et orienter nos pleurs, les tourner vers le Seigneur.

 

Echange avec les participants

 

Combien ya-t-il d’aumôniers militaires en France ?

Il y a 200 aumôniers catholiques, 80 à temps plein comme militaires. Comme parachutistes nous ne sommes que 5.

 

Merci, monsieur l’aumônier de votre partage de ce soir. Je me demande si le titre de votre livre »Un prêtre dans la guerre » est de vous ou de votre éditeur ?

Il est de l’éditeur. Moi, je ne parle pas tant que ça de la guerre. Mon titre primitif était : « Les combats d’un padre ». Je rappelle aussi que les guerres d’aujourd’hui sont plus complexes et asymétriques que jadis. Actuellement on se bat surtout contre le terrorisme, d’où une mondialisation des conflits. On a affaire à des guerres plus secrètes : économiques, informatiques. C’est pourquoi il est criminel de réduire les effectifs et le budget des armées

 

(Une question un peu longue a été posée au « padre » à propos de la guerre d’Algérie. La formulation m’en a échappé, mais voici la réponse donnée) :

L’un des rôles de l’aumônier est de donner des avis éthiques. Il est certain que le conflit algérien a suscité des drames, y compris moraux, et au sein même de l’aumônerie catholique. C’était une des premières fois où l’on appliquait la théorie de la contre guerilla…et cela a été horrible. Je persiste à dire que la guerre est quelque chose d’abominable . Elle est d’ailleurs la conséquence du péché originel, qui a provoqué le meurtre d’Abel par son frère Caïn.
Je rappelle que l’aumônier militaire est destiné à servir le pays en se mettant au service de ses frères militaires.

 

Père, avez-vous la Légion d’Honneur ?

Non, mais je pourrais l’avoir. Ce n’est pas moi qui la demanderai.

 

Madame Creuze remercie le père Vénard en lui disant avec humour « Vous allez avoir des vacances…Est-ce que ce sera une sorte de repos du guerrier ? »

Il répond : « Ce sera une occasion de me mettre à la recherche du beau et de l’harmonie, tremplins pour nous diriger vers Dieu ».

Article publié par Michèle Leclercq • Publié • 3552 visites