Regard protestant sur Marie

conférence du pasteur Jérémy Duval

Le temps d'accueil a été proposé à l'abbé Guy Pillain ; délégué épiscopal à l'oecuménisme

 

Le pasteur Jérémy Duval va nous parler de la Vierge Marie, nous dire comment il voit les choses. En effet nous nous disions qu’à la suite de la semaine de prière pour l’unité de l’hiver dernier et à l’approche du 15 août il serait bien de nous retrouver afin de comparer nos idées et points de vue.

 

Le pasteur Duval prend alors la parole.

Je suis pasteur de l’Eglise protestante Unie de France et j’ai grandi dans la foi catholique. Ma maman avait une grande piété catholique. Quand on veut différencier les catholiques des protestants, le « cliché » qui revient le plus souvent c’est : vous, les protestants, vous ne croyez pas à la Vierge. Est-ce vrai ? Ce n’est pas tout à fait vrai et…pas tout à fait faux. Je me suis donc posé la question, en prenant en compte le travail du « Groupe des Dombes » qui réunit des catholiques et des protestants, sur Marie. (deux tomes).

     Les protestants croient-ils à la Vierge Marie ? Oui…et non. Il faut en effet comprendre la question. Si croire signifie apporter du crédit au récit de la Nativité tel qu’il relaté dans le texte de l’Evangile. Oui, les protestants croient à ce texte. Ils sont d’ailleurs attachés aux textes bibliques. Ils croient en Jésus, né de la Vierge Marie, conçu du Saint Esprit. En revanche, s’il s’agit de dévotion, de la croyance au dogme de l’Immaculée Conception ou de l’Assomption, ils n’y croient pas.

     Retrouvons le contexte de toutes ces questions ? Vers les IVème et Vème siècles, une recherche prédomine, celle de l’identité de Jésus-Christ, vrai homme et vrai Dieu. Avec l’Incarnation , la mention de Marie est importante. Le Christ Dieu est né comme un homme, d’une femme,  et il est mort sur une croix.

Le développement de la piété populaire a joué un grand rôle . Les données qui y ont conduit venaient majoritairement des évangiles apocryphes. C’est surtout lorsque Marie a été proclamée « Théotokos » (Mère de Dieu) que sa figure a pris un élan incroyable (voir le travail du Groupe des Dombes)

Marie est relativement importante chez les Réformateurs car elle est la figure même du croyant, celle qui accueille la Bonne Nouvelle en son sein et laisse croître cette Bonne Nouvelle. C’est elle qui dit : « Je suis l’esclave du Seigneur, qu’il m’advienne selon sa Parole ».

Luther cite souvent Marie (voir son beau commentaire sur le Magnificat). Mais c’est Jésus qui a la fonction du salut, pas Marie. Marie est mère de Dieu, elle est « l’atelier dans lequel Dieu œuvre ». La destinée de Marie est celle de l’Eglise. L’Immaculée Conception n’a pas de fondement biblique. Quant à l’Assomption, certains disent même qu’elle « porte préjudice » à l’Ascension du Christ. Pour les protestants, Marie est servante de Dieu par excellence. Elle a répondu à son appel avec foi et humilité (voir le Magnificat qui sont ses plus belles paroles). Puis elle se trouve sous la croix et en communion avec les disciples à la Pentecôte. Cependant les protestants ne croient pas à l’Immaculée conception ni à la participation de Marie à l’œuvre du salut. En ce qui concerne la virginité perpétuelle, Luther dit « oui ». Mais alors qu’en est-il des frères et sœurs de Jésus mentionnés dans l’évangile ? C’est que le terme de « parents » n’a pas le même sens en Orient qu’en Europe de nos jours. Il a un sens moins restrictif. Parler de virginité à la naissance, c’est parler de l’Incarnation et de son mystère. De la famille de Jésus, c’est le silence à ce propos. L’important c’est que ce n’est pas le sang qui garantit la foi mais l’attitude, la disposition de chacun. Toutes ces questions soulèvent aussi les problèmes d’héritages, sources de conflits ; des problèmes d’économie.

En ce qui concerne la coopération de Marie à l’œuvre du salut, ce n’est pas un dogme dans l’Eglise catholique. Saint Paul dit déjà que nous sommes tous coopérateurs de Dieu. Dieu propose le salut, à nous de le saisir. Il repose sur un témoignage, quelqu’un l’a proclamé pour moi.

Le protestant ne prie que Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit. Il ne prie pas Marie et ne fait pas d’invocations à des saints . C’était un point de désaccord profond entre catholiques et protestants mais il s’atténue. Nous croyons au salut par la grâce au moyen de la foi.

 

Deux dogmes de l’Eglise catholique posent problème : celui de l’Immaculée Conception, promulgué en 1854 et celui de l’Assomption en 1950.

  • L’Assomption c’est, à la mort de Marie, la montée de son corps au ciel pour aller auprès de Dieu. Or, cela suppose que Marie a le privilège d’un régime spécial alors qu’en Jésus-Christ nous sommes tous à égalité.
  • L’Immaculée Conception, c’est le fait, pour Marie, d’être conçue sans péché. C’est donc qu’elle serait une personne à part dans l’humanité. Mais alors que vaut l’Incarnation ? Si sauver c’est habiter pleinement notre condition humaine, que vaut l’Incarnation ? Marie alors n’avait pas besoin de Pâques. Si le salut est universel et que Marie a un régime spécial dès le début, elle anticipe les mérites du Christ : il n’y a nulle légitimation de cela dans la Bible. Que signifie Pâques si Jésus peut agir différemment de ce qu’il a fait ? Si Marie a été conçue sans péché, que signifie son humilité, son obéissance ? Etait-elle libre d’accepter la Bonne Nouvelle ? La foi est une libre adhésion à la Parole prononcée, une confiance accordée, une fidélité en marche (Beaucoup comprenaient l’Immaculée Conception comme la naissance virginale de Jésus mais non comme la naissance immaculée de Marie.

Dans la question de la séparation entre catholiques et protestants, il faut donc bien différencier le « croire » au récit de la Nativité (ce que font les protestants), du « prier » Marie. Il y a différence aussi dans l’économie du salut. Marie vient cristalliser ces différences. Mes recherches sur l’Immaculée Conception sont venues casser une idée reçue chez moi : quand j’ai découvert la Réforme, j’entrais dans un mouvement moderne, je trouvais les catholiques trop conservateurs, mais en ce qui concerne Marie, les catholiques ont su être un mouvement innovant, qui a su dire autrement les choses. Les protestants veulent la pureté originelle mais on ne la trouvera jamais. La modernité consiste à essayer de retrouver un sens à un message un peu vieux.

Je me suis aussi demandé pourquoi l’Eglise catholique avait voulu, à une époque précise, promulguer les deux dogmes dont nous parlons. Ce n’étaient, auparavant que des doctrines pieuses.

*Pour certains théologiens, le dogme de l’Assomption (1850) va contrecarrer toute possibilité de rencontre entre catholiques et protestants. Personnellement, j’aimerais que Marie soit pour tous, une passerelle plutôt qu’un mur. Quant au dogme de l’Immaculée Conception (1854), il n’a pas été promulgué contre la Réforme. Pourquoi cela intervient-i au milieu du XIXème siècle ? Pourquoi avoir voulu mettre Marie à l’honneur ainsi ? J’émets l’hypothèse que c’est en réaction à une autre forme de spiritualité, celle du socialisme laïc et politique. Marie proposait un modèle de mère et de femme face à une figure du père assimilée à celle du « patron ». C’était apporter la tendresse et la douceur féminines en opposition à des valeurs masculines parfois intransigeantes.

Dans la recherche qui mène à distinguer des différences entre catholiques et protestants concernant Marie, Je noterai que le protestantisme ne propose pas une spiritualité qui cherche l’élévation de l’être humain mais qui insiste surtout sur l’abaissement de Dieu . La spiritualité catholique est une spiritualité de l’assomption : il faut que l’être humain s’élève… J’espère que nous nous rencontrerons à mi-chemin. L’important c’est que l’abaissement de Dieu nous élève. Je me souviens que lorsque j’ai passé mon bac, ma maman avait mis un cierge à Ste Rita (je n’étais cependant pas un cas désespéré)…Mais je me suis demandé : pourquoi ne prie-t-elle pas Jésus ? Paul, lui, ne s’adresse qu’à des frères (parce que tous les hommes sont des frères).

Où se situe la mère ? Elle représente le disciple, celle qui accueille. C’est une forme d’obéissance, de soumission. Elle accepte d’accueillir la Parole en son sein , ses « tripes », sa chair.

Et puis elle va faire le geste que doit faire un jour toute mère : elle le laisse partir, elle doit le laisser partir . Nous avons tous là à apprendre. Il ne faut pas le retenir. Il est le sauveur du monde et pas seulement de soi.

 

Echange avec les participants

 

Une personne, qui ne se présente pas comme théologien dit que l’Immaculée Conception tend à enlever chez Jésus la part de l’homme.

Peut-être, répond Jérémy Duval ; mais il est né du Saint- Esprit, ce qui, dit avec quelque humour, n’est pas pour arranger les choses. On est devant le mystère. Il y a un raisonnement et un mystère.

En ce qui concerne l’Immaculée Conception, n’était-ce pas une mauvaise idée que d’enlever de l’humanité à ce « pleinement homme » ? Il est vrai que cette notion arrive au moment de la montée du socialisme, qui pour certains, représentait un danger.. L’abbé Pillain apporte une nuance en déclarant que c’était déjà dans la mentalité populaire, qu’il y a eu pression de l’épiscopat et du peuple pour l’adoption du dogme et pas seulement de Rome.

Les orthodoxes, eux, ne sont pas d’accord avec la notion de dogme , mais ils ont une même fête qu’ils appellent la Dormition de la Vierge .

 

Ces deux dogmes ne sont-ils pas à mettre en lien avec l’infaillibilité pontificale (ils ont été promulgués par le pape seul…)

Pie IX et Pie XII ont sans doute eu la volonté d’affirmer leur pouvoir. Sous Pie XII on était dans une ambiance contre les idées modernes.

 

Marie s’est présentée à Bernadette comme l’Immaculée Conception et même en patois. Pourquoi ?

Peut-être parce que ce n’était justement que quatre ans après…

Il n’y a pas de culte marial chez les protestants. Il n’y a que « sola scriptura » (les Ecritures seules) et le Christ seul. Les protestants ne reconnaissent pas les apparitions lesquelles ne relèvent pas des principes fondamentaux de la foi qui sont la Bible et la prière. Moi je suis bibliste et je fais une étude quotidienne des textes bibliques .

 

La mort est-elle une conséquence du péché originel ?

De quelle mort parlez-vous ? Pour moi la mort corporelle n’est pas une conséquence du péché, elle n’est pas une malédiction. La fin de quelque chose nous en révèle aussi le sens(comme dans un film). Elle nous ouvre aussi au sens de la préciosité de la vie. La mort biologique fait partie de la condition humaine. Jésus nous sauve de  la mort spirituelle (de l’angoisse, de la drogue, de l’alcool etc…). Le protestantisme a horreur des « classes ». Il y a un seul prêtre, Jésus-Christ et ensemble, en Eglise, (corps du Christ) nous accomplissons le sacerdoce donné par Dieu. Tous sont appelés au salut, et pas tous sauf un.

 

Pour « chatouiller » un peu notre interlocuteur, je dirais que lorsque vous dites qu’il n’y a que les textes, rien que les textes, un problème se pose avec l’Annonciation car in n’y a pas de témoin au dialogue…

Les textes ont été écrits au moins cinquante ans après…On peut douter de leur « exactitude ». Ces textes ont acquis petit à petit une légitimité, une autorité. Les 27 livres de la Bible inscrits au « canon » l’ont été progressivement. Il ne s’agit pas de savoir si ces textes décrivent historiquement une vérité, mais il s’agit d’y entendre un témoignage de la vérité. On constate les différences dans les récits des évangélistes , ainsi Luc, qui était un lettré ouvert à d’autres cultures donne la parole à Marie alors que Matthieu, qui était très juif, ne le fait pas (on ne donne pas la parole à une femme). Il ne s’agit pas d’établir une vérité historique mais d’ouvrir à une compréhension de l’Evangile en rapport avec la mort et la résurrection du Christ.

 

Qu’est-ce que le Groupe des Dombes ?

C’est un groupe de théologiens qui se sont choisis, pour moitié catholiques, moitié protestants afin de travailler ensemble en se réunissant à l’abbaye des Dombes, non loin de Ars.

Le père Pillain revient sur la question de savoir si l’homme collabore à son salut. Il pointe une nuance concernant les sacrements. Ils n’ont pas le même statut chez les protestants et les catholiques. Le sacrement donne une grâce mais c’est par la grâce du Christ que nous sommes sauvés. Lorsque les catholiques disent « priez pour nous » il y a évocation de la communion des saints.

Dans le groupe des Dombes on compte sur l’amitié pour sortir des préjugés. Il faut parvenir à une conversion des Eglises.

Attention, Marie n’est pas une « déesse ».

Le pasteur Jérémy Duval précise que la base scripturaire qui a servi pour ce travail a été le texte des apocryphes mais surtout le texte de Luc.. Retournons aux textes bibliques qui vont nous « juger » : notre foi, nos opinions, notre théologie. Marie ne sera pas une figure qui nous séparera.

 

Article publié par Michèle Leclercq • Publié • 30902 visites