L'unité des Eglises aujourd'hui
Conférence du Frère Michel Mallèvre
Conférences des jeudis et vendredis de l’été organisées par Past’opale
(pastorale du tourisme et des loisirs)
Conférence animée par Michel Mallèvre , dominicain, directeur du secrétariat national de l’épiscopat pour l’unité des chrétiens ; responsable du centre ISTINA ; membre du groupe des Dombes .
ISTINA : L’un des premiers centres œcuméniques catholiques en France. Créé en 1927 par les dominicains pour promouvoir, à l’origine, les études russes et les rencontres avec le monde slave. Le mot « istina » signifie « vérité » en russe. Le centre s’est ensuite efforcé de faire connaître aux catholiques de France le christianisme oriental, sa riche tradition théologique spirituelle et liturgique. Puis le Centre fit œuvre de pionnier de l’unité chrétienne. Il jouera un rôle de premier plan dans la préparation du concile Vatican II .
Groupe des Dombes : groupe de dialogue œcuménique fondé en 1937 qui réunit un groupe d’une quarantaine de membres, catholiques et protestants francophones. Ses travaux ont inspiré le concile Vatican II et le Conseil Œcuménique des Eglises.
Thème de la conférence :
L’œcuménisme aujourd’hui : stagnation, progrès, perspectives ?
Présentation réalisée par l’abbé Guy Pillain, curé de la paroisse du Touquet :
On parlerait facilement aujourd’hui d’hiver œcuménique. Après l’ouverture et les progrès suscités par le Concile Vatican II, le mouvement œcuménique aurait-il été un feu de paille ? Qu’en est-il aujourd’hui ?Quels accords ont pu être conclus ?Quelles collaborations engagées ? Quelles sont les perspectives d’avenir dans ce monde qui a beaucoup changé ? Le frère Michel Mallèvre s’efforcera de répondre à toutes ces questions.
L’œcuménisme est en difficulté. Après l’impulsion insufflée par Vatican II, il semble que le « soufflé » soit retombé…L’œcuménisme stagne, dit-on ; mais, pour sa part, le frère Mallèvre ne le pense pas .Le problème est beaucoup plus complexe qu’il ne le paraît, déclare-t-il. Les médias appuient sur des évènements spectaculaires. Il m’arrive parfois, ajoute-t-il, de rencontrer des couples mixtes qui se sont mariés en catimini dans une sacristie ! Les relations entre les Eglises sont encore marquées par une histoire douloureuse. Pourtant , les efforts d’ouverture du pape Jean Paul II vers les autres Eglises chrétiennes ne sont sans doute pas étrangers à l’immensité de la foule, inimaginable il y a cent ans, venue participer à ses obsèques.
On peut distinguer trois grandes étapes dans l’histoire des Eglises chrétiennes :
- Au 5ème siècle, une période que l’on peut appeler préchalcédonienne (avant le concile de Chalcédoine). Après ce dernier, en effet, un schisme s’est produit entre les Eglises qui ont rejeté le contenu du concile (en adoptant le monophysisme ou en suivant le choix de l’évêque de Rome Léon le Grand , de ne pas reconnaître le nom de Nouvelle Rome attribué à la ville de Constantinople : le reconnaître lui conférerait la primauté sur les autres patriarcats). Développement des Eglises copte, éthiopienne, arménienne…
- La période entre le XIème et le XIIIème siècle. La distance entre l’Eglise de Rome et celle de Byzance va s’élargir. Les orthodoxes vont se séparer de Rome.
- Au XVIème siècle ce sera la période de la Réforme protestante (luthérienne puis calviniste) née d’une volonté d’un retour aux sources du christianisme. Ce sera aussi la période de la naissance de l’anglicanisme, issu d’une rupture du roi Henry VIII après le refus du pape d’annuler son mariage avec Anne Boleyn. Les Anglicans gardent en partie les traditions et structures catholiques.
Sur la longue durée, les conciles ont tenté le rapprochement des Eglises. Le pape Jean Paul II parlait de « fraternité retrouvée ». Certes nous ne sommes plus au temps des sinistres dragonnades contre les protestants ; les chrétiens ont appris à se reconnaître frères, mais il faudrait ne pas se contenter de la seule coexistence pacifique. Reste que les violences sont parfois encore gravées dans les consciences.
Stagnation…Progrès de l’œcuménisme ?
Il faut resituer l’œcuménisme dans le contexte.
Le bilan est contrasté. Il est indispensable de constater les difficultés du mouvement œcuménique, en particulier la transformation du contexte du vécu de l’œcuménisme. Trois caractéristiques le marquent :
a) Jadis, l’essentiel des chrétiens se situait en Europe et Amérique du Nord.
b) On avait une géographie assez claire des implantations chrétiennes, lesquelles avaient souvent un prolongement dans les colonies (catholiques dans les colonies françaises ; anglicans et protestants dans les colonies anglaises, allemandes , néerlandaises…
c) On était dans un monde encore marqué par un temps de chrétienté où se vivait une transmission de la foi assez régulière. On allait rarement dans un autre lieu de culte que celui auquel on était habitué. Les catholiques étaient ultra majoritaires.
Il existe désormais un basculement du centre de gravité du christianisme : du nord vers le sud, de l’Europe et des U.S.A. vers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud.
En 2050, l’Asie passera devant l’Europe. La majorité des chrétiens se trouve désormais dans l’hémisphère sud. Les points de repère ne sont plus les mêmes. La culture de ces pays n’est pas marquée par certaines de nos divisions (ces dernières ont pu faire naître l’idée des religions facteurs de violence.)
Les fidèles venus de partout dans le monde créent des assemblées pour le moins bigarrées. Ils forment leurs fidèles et commencent à nous « exporter » leurs propres communautés chrétiennes, ce qui est très intéressant.
Le COE, (conseil œcuménique des Eglises) recherche l’unité des chrétiens par l’unité des Eglises. On est aujourd’hui devant une multiplication de communautés complexes.
Un premier bloc de chrétiens : l’Eglise catholique , 1,1 milliard de fidèles
Un second bloc : les Eglises indépendantes 430 millions, loin devant l’ensemble du monde protestant classique : 380 millions
Les Eglises orientales : 220 millions
Les membres du COE : 480 millions , orthodoxes, anglicans, protestants
La majorité des Eglises évangéliques : + de 540 millions (ne font pas partie du COE) et qui sont en forte croissance.
C’est la mondialisation . Les communautés chrétiennes forment un ensemble très complexe. On parle de 730 000 orthodoxes en France ( grecs, russes, roumains, serbes, géorgiens, bulgares). On a même découvert un prêtre éthiopien. Difficile de s’y retrouver ! Et quel patriarcat faut-il privilégier ? Sait-on qu’il y a 200 familles de géorgiens orthodoxes à Brest ? Si l’on ajoute internet, les Eglises évangéliques pentecôtistes, il y a une quantité de partenaires de dialogue. C’est la vie de la diversité, dans la diaspora. Ainsi y a-t-il davantage d’anglicans au Nigéria qu’en Angleterre. C’est un problème dans ce pays où vivent des musulmans qui n’acceptent pas les options des non musulmans à propos des homosexuels par exemple .
La transformation des mentalités a un impact sur les Eglises. Les gens sont enclins à l’individualisme. Les institutions sont suspectées d’être des lieux de pouvoir . On note un affaiblissement de la transmission de la foi et de l’appartenance ecclésiastique. La vie spirituelle reste attachée au christianisme mais tantôt dans un lieu tantôt dans un autre. Avec la multi-appartenance, on constate le succès d’Eglises évangéliques pentecôtistes et une vision de l’Eglise congrégationaliste.
Dans ces conditions, tout le Mouvement œcuménique va rechercher l’unité visible des chrétiens dans l’unité des Eglises.
Avancées et difficultés du Mouvement œcuménique
Il est né au début du XXème siècle. On repère de nos jours un christianisme pratique qui choisit des actions pour faire avancer la justice, la paix, la sauvegarde de la création, le dialogue interreligieux (le tout fondé sur l’idée que la doctrine divise alors que la pratique unit)
Le conseil œcuménique des Eglises (349 Eglises) connaît des crises depuis quelques années, surtout avec l’Eglise orthodoxe qui a menacé de « claquer la porte » mais ne l’a pas fait grâce à une réaffirmation de la foi trinitaire, une révision des pratiques cultuelles et une réforme des prises de décision.
L’aspect missionnaire est le plus en progrès (assemblée de sociétés missionnaires anglicanes en 2012 à Edimbourg) où l’on conclut que l’Eglise n’est pas sa propre fin.
Un rassemblement du christianisme mondial aura lieu en novembre 2013 en Corée.
On repère des activités communes : L’assemblée du Royaume de Dieu ; les cours Alpha (milieu anglican). Tout cela ouvre sur une reprise de la foi. S’y ajoute une traduction œcuménique de la Bible dans les pays de mission. On va vers une meilleure compréhension de l’appartenance à l’Eglise. S’il est normal de pratiquer, un non pratiquant pourra cependant être considéré comme chrétien. (Cela explique en partie le fait que certains groupes évangéliques « chassent sur les terres » des catholiques .)
Il est possible de créer une juridiction catholique sur un lieu orthodoxe. Il existe des Eglises orientales catholiques. En Russie, en Roumanie, des Eglises orientales sont renées. On constate la restitution des lieux de culte à ceux auxquels ils appartenaient (quelques problèmes toutefois avec l’Eglise uniate (gréco catholique) qui n’a pas retrouvé toutes ses églises dans le nord de la Roumanie) . Des avancées intéressantes sont possibles. La Cimade, plutôt protestante s’en félicite. Le rassemblement de Sibiu (Roumanie) s’est montré positif mais, au moment du message final, des dissensions sont survenues à propos de problèmes éthiques relatifs au statut de l’embryon et à la pratique de l’euthanasie. Comment élaborer un discernement éthique ? Il faudra cheminer…
Au plan doctrinal, s’il faut annoncer l’Evangile ensemble, on doit surmonter les difficultés (cf. commission Foi et Constitution). L’Eglise catholique est engagée dans de nombreux dialogues. On pensait que certaines questions seraient facilement résolues, en ce qui concerne le baptême et l’eucharistie. Cela n’est pas si simple.
Des changements sont à opérer. 1982 a été le sommet d’un certain enthousiasme.
Une grande question : faire Eglise avec les anglicans quand certains ne reconnaissent pas l’autre comme Eglise ! Tout cela donne naissance à une « montagne » de textes techniques qui ne trouvent pas beaucoup d’échos. Il faut préciser ce qu’une Eglise croit et essayer d’aller au-delà
Il faut travailler au « chantier » de la primauté , celui du rôle du pape. Jean Paul II pensait à revoir les modalités de l’exercice de la fonction. La question de la médiation entre Dieu et les hommes se pose aussi. On ne la formule pas de la même façon partout. Avec les Eglises orientales, on insiste sur la justification par la foi. Les catholiques et réformés n’ont pas surmonté toutes leurs divergences.
La spiritualité :
L’existence de la semaine de prière pour l’unité (en janvier) est précieuse. La prière des femmes le 1er mars aussi. Il n’empêche qu’il reste des questions .Si l’Eglise catholique pratique la reconnaissance du baptême chrétien, ce n’est pas le cas de tout le monde. (Au mont Athos, par exemple, si un catholique désire y entrer, il sera « rebaptisé ») . En France, il n’y a pas reconnaissance de tous les baptêmes. Il faut reconnaître que le baptême n’est pas seulement un rite mais un processus.
En ce qui concerne l’eucharistie, les protestants ont une table largement ouverte. Chez les catholiques, c’est plus restreint. Les orthodoxes, eux, n’acceptent pas l’hospitalité eucharistique. Aujourd’hui les positionnements sont beaucoup plus prudents. Il y a difficulté à prier ensemble (surtout avec les orthodoxes.) On constate une fragilisation du rapprochement . Il y a des avancées d’une part, des replis identitaires de l’autre (surtout chez les orthodoxes)
Pour le monde évangélique pentecôtiste : 1/3 de ses membres ne veut pas entrer dans le Mouvement œcuménique des Eglises.
Le forum chrétien mondial a accueilli des membres représentatifs du Mouvement
Au Kenya en 2007, lors du rassemblement mondial qui réunissait 300 personnes, fut mise en place une pratique intéressante. Les évangéliques ne s’intéressent que secondairement aux textes. Il faut partir du vécu. On va parler de Jésus Christ à partir de la vie de chacun. Ils ont vécu une expérience de demande de pardon mutuel et décidé de continuer ensemble.
Au second rassemblement mondial du Cap, ce fut une note d’optimisme malgré les difficultés : on constate une évolution.
Objectif : rechercher ensemble la volonté de Dieu qui veut rassembler ses enfants dispersés.
Echange avec le public
Et l’Islam ?
L’Islam n’appartient pas à l’ « oïkumene ». La division des chrétiens est notre problème premier. L’interreligieux, c’est autre chose.
Dans la charte œcuménique européenne , le dialogue avec l’Islam est présenté comme un défi pour les chrétiens (lesquels se distinguent par leur foi en Jésus-Christ ). Les musulmans sont, eux aussi des croyants.
L’unité des chrétiens est ce qui, d’abord, est important pour nous.
Comment se rapprocher d’autres Eglises locales ?
Il existe des groupes œcuméniques, des activités communes (comme au Touquet), des groupes actifs comme Justice et Paix pour l’ACAT, une semaine de prière pour l’unité des chrétiens, une action : « Aube de Paix » à Wissant , et d’autres à Arras, Calais. On peut lire un ouvrage facile : « Dialogue avec les baptistes ». Le groupe des Dombes, 20 protestants, 20 catholiques, où l’on pratique convivialité et prière, celle-ci portant sur la conversion des Eglises vers une identité chrétienne, ecclésiale, confessionnelle.
Taizé :Tous ces jeunes qui y sont allés, ont découvert une foi vivante, une unité vécue, qu’en est-il aujourd’hui ?
C’était protestant au départ et c’est devenu catholique. C’est une expérience chrétienne extraordinaire. Le passage a été réussi après la mort de Frère Roger, son fondateur. Taizé n’est pas vraiment un lieu oecuménique officiel.
Dans l’hospitalité eucharistique, on touche à des choses sensibles. On est passé d’une communion rare à une communion extrêmement répandue. L’eucharistie exprime une communion dans la foi.
Edwige