Une jeunesse pas si différente
Etude réalisée par l'URCEAS
Le dossier n° 638 avoir, édité par l’Union régionale des centres d’études et d’Action sciales du Nord-Pas-de-Calais publiait en avril 2013 une étude sur la jeunesse “pour comprendre et agir”. Nous en publions ici de larges extraits.
On dit souvent « les jeunes » comme s'il s'agissait d'une classe ou d'une catégorie homogène. Rien n'est plus faux. Quoi de commun entre le jeune désœuvré qui erre à la sortie d'une bouche de métro, le jeune indigné qui campe sur la place de Madrid pour se révolter contre des mesures d'austérité injustes, et le lycéen des classes préparatoires qui bûche son concours... ?
L'INJEP (Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire) a pu observer l'évolution des mentalités au cours des trente dernières aimées, au travers de quatre vagues d'enquêtes (1981, 1990, 1999 et 2008) menées par Olivier Galland, Bernard Roudet et leurs équipes. De leur analyse ressort le portrait d'une jeunesse qui, dans sa majorité, ne ressemble pas à l'image qu'on en donne trop facilement « L'image de la jeunesse portée par notre société, largement renvoyée par les médias, est souvent simplificatrice : Jeunesse dangereuse des quartiers dits sensibles, jeunesse éloignée des valeurs du travail, jeunesse dépolitisée et sans engagements ou bien jeunesse radicalisée et révoltée ... Une approche comparative dans le temps montre que les changements sociaux sont moins rapides qu'on peut le penser... »
Les jeunes aujourd'hui seraient bien plus conformistes qu'on ne le dit. Et le clivage jeunes/ vieux, s'il existe, est bien moins tranché qu'il ne l'est au sein même de la classe jeune : Il y a moins de distances entre un jeune diplômé et un adulte qu'entre ce même jeune et un autre de son âge dépourvu de qualification et en panne d'insertion.
Pour autant nous ne pouvons ignorer les réalités. Ce sont aujourd'hui les jeunes qui paient le plus lourd tribut à la crise. Partout en Europe le taux de chômage des jeunes est double de celui des adultes. En Grèce il atteindrait 60%. Ce ne sont plus seulement les non qualifiés mais aussi les diplômés qui se trouvent exclus. Il y a plus qu'une injustice : une prise de risque grave pour l'avenir. C'est toute une classe d'âge qui risque de se trouver durablement écartée de la vie sociale.
LES VALEURS FAMILLE ET TRAVAIL DEMEURENT
« Les jeunes ne sont plus ce qu'ils étaient dans les années 1960, voire 1980 » note l'analyse de l’INJEP. On s'en doutait un peu. Mais le clivage n'est pas forcément celui qu'on pense. L'évolution ne s'est pas orientée vers une radicalisation. Dans certains cas, c'est vers plus de conformisme que l'on voit évoluer les mentalités. Ainsi le dossier sur « les valeurs des jeunes depuis trente ans », résultat de l'analyse comparative d'enquêtes d'opinion étalées sur trente ans, permet de corriger bien des erreurs d'appréciation et même d'évoluer vers plus de compréhension envers une classe jeune confrontée à un monde rendu difficile par les enjeux sociaux, économiques et environnementaux.
A rebours de nombreuses représentations, les deux valeurs que les jeunes citent en tète de leurs préoccupations sont, dans l'ordre : la famille et le travail.
La famille, malgré l’évolution des mœurs reste pour les jeunes –et autant d’ailleurs pour les adultes- une valeur essentielle. 85% des 18-29 ans la considèrent comme très importante dans la vie. Mais A la différence de leurs aînés, les jeunes revendiquent le choix libre et individuel dans l'organisation de la cellule familiale en dehors de toute imposition normative. Ils sont ainsi plus favorables à la diversité des pratiques et à l'égalité des droits entre les sexes. Alors que le discours public s'inquiète régulièrement d'une remise en cause de la valeur « travail » notamment chez les chez les jeunes, l’enquête contredit largement cette opinion.
Les jeunes accordent une importance grandissante au travail qui est un domaine très important pour 70% des moins de 30 ans. Mais les attentes matérielles à l'égard du travail (un bon salaire) tendent a diminuer au profit des attentes à une réalisation de soi et à une meilleure qualité des relations interpersonnelles. II n'y a donc pas de décalage entre les générations qui, quel que soit l’âge, ont tendance considérer le travail comme essentiel. Les auteurs de l'étude n'hésitent d'ailleurs pas à dire qu'un tel consensus générationnel s'explique peut-être par le fait que le travail est devenu un bien rare et que le statut aujourd’hui encore plus qu’hier contribue à définir l'identité personnelle.
Critiques mais pas révolutionnaires
Le monde économique n'échappe pas à une critique généralisée. Le modèle du libéralisme est partout largement mais en cause. Mais, note encore l'enquête, les jeunes ne sont pas plus critiques par rapport au système que les adultes. Ils auraient même tendance à l’être moins. Et si les opinions antilibérales ont tendance à se développer, l'opinion dominante dans la classe jeunes, s’orienterait orienterait vers un modèle social-libéral, qui attend de l'Etat qu'il corrige les effets les plus inégalitaires de l'économie de marché.
Le jeune révolutionnaire est donc largement minoritaire dans une société de jeunes qu'on considérerait plutôt sage alors que la société reste aussi peu ouverte à la jeunesse. S'il est encore une autre idée reçue, ce serait cella d'une jeunesse plus sensibilisée à l’écologie. Or, s'il est vrai que les jeunes sont sensibles aux valeurs de protection de l'environnement, cet attachement ne se traduit guère en actes. La conception d'un monde à protéger ne conduit que rarement les jeunes A des pratiques environnementales. Surtout les jeunes sont moins inscrits que leurs aines dans les associations et les mouvements de défense de la nature. Et ce sont les Français plus âges qui sont aujourd'hui les plus présents dans les associations.
Des engagements plus individualisés
L'évolution des mentalités conduit A davantage d'autonomie dans les manières de vivre. Les jeunes revendiquent plus que leurs aines une société où les normes devraient être plus librement choisies. Ils éprouvent moins le sentiment d'appartenir à la société. Mais dans le meme temps ils se sont largement détachés des mouvements contestataires initiés par les générations de l'apres 68 et beaucoup intègrent librement les valeurs traditionnelles que les parents ont rejetées. Ils sont ainsi nombreux A vouloir respecter la fidélité et l'autorité.
Une des tendances fortes, mesurée par l'étude, est celle d'un développement de l'individualisation. Les choix doivent être librement acceptés et non plus imposés. Mais le souci de l'épanouissement personnel et le refus des appartenances assignées ne signifie pas le refus de l'autorité. II implique par contre un supplément de tolérance envers les personnes et les comportements différents.
L'individualisme montant se traduit par un plus fort désintérêt face aux autres. Les solidarités s'expriment mieux au sein de la famille et vis-à-vis des proches qu'au sein de la société. Mais, notent les auteurs, « cela ne signifie pas que les jeunes ne sont pas solidaires, mais que leur solidarité doit s'appuyer sur un support concret. L'individualisation n'est pas l'abandon de l'altruisme ou des appartenances collectives, mais elle implique des choix fondés sur des décisions individuelles. Ces choix conduisent à mettre en avant les espaces concrets d'appartenance, les proximités affectives et les réseaux d'intimité, au détriment de définitions plus larges et plus abstraites. ». Dans l'évolution des mentalités, les auteurs voient apparaître le développement d'une nouvelle « morale relationnelle ».
Retour vers le spirituel
L'évolution des mentalités passe également par un retour vers le spirituel. Si la pratique religieuse continue à baisser chez les jeunes, les auteurs de l'étude notent un très sensible retour aux croyances. « Les églises sont davantage considérées comme aptes à répondre aux besoins spirituels des jeunes individus, alors que seule une minorité estime qu'elles répondent aux problèmes familiaux sociaux et moraux ».
Les jeunes restent attachés à la religion quoi qu'ils en disent. La croyance en Dieu reste stable et la croyance en une vie après la mort augmente. Le désir d'une cérémonie religieuse pour le mariage reste très fort. En même temps les jeunes sont, plus que les adultes, soucieux de la liberté religieuse considérant « qu'il n'y a pas une seule vraie religion et que tontes les grandes religions contiennent des vérités fondamentales. »
Reste enfin à mesurer les opinions politiques. Pas plus que dans le domaine économique, il ne faut attendre de la jeunesse actuelle une montée des opinions révolutionnaires. Certes, note l'étude, le positionnement politique des jeunes reste ancré à gauche, mais il tend à glisser vers le centre et la droite. « En même temps qu'ils pratiquent de plus en plus un vote intermittent, les jeunes continuent à privilégier des formes de participation politique protestataires, principalement en signant une pétition ou en manifestant ».
C'est l'importance donnée à l'action sur l'engagement long qui caractérise la jeunesse. Elle est pourtant souvent soumise au doute. La confiance dans l'institution de l'Etat-Providence connaît une hausse continue. Mais la confiance dans les institutions politiques est en baisse. Moins d'un jeune sur quatre fait confiance au gouvernement et aux partis. La presse a perdu son image de contre-pouvoir. Mais la confiance envers le syndicat est en hausse. Et si l'on note certains glissements vers les extrêmes (droite ou gauche), tous les jeunes restent farouchement attachés à la démocratie.