Homélie messe chrismale à Laventie

Eglise d'Arras n° 7-2016

Messe Chrismale

 

Isaïe 61, 1-3a. 6a. 8b-9.

Apocalypse 1, 5-8

Luc 4,16-21

 

           

messe chrismale 2016 11 messe chrismale 2016 11  Dans la bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la miséricorde le pape François suggère quelques œuvres de miséricorde spirituelle. Il propose notamment de supporter patiemment les personnes ennuyeuses. Vous me permettrez donc de vous proposer sans scrupule et pendant quelques minutes une salutaire démarche jubilaire !

 

            Humour mis à part, je ne pensais pas si bien situer mon propos puisque dans son intervention dans la synagogue de Nazareth Jésus annonce une année de bienfaits. Il s’applique  à lui-même la prophétie d’Isaïe. L’envoyé de Dieu rendra en quelque sorte permanente et actuelle la pluie de merveilles que promettait et réalisait l’année jubilaire dans le calendrier rituel du peuple  élu.

 

            En entraînant l’Eglise  sur les chemins de la Miséricorde le Saint Père nous fait remonter à la source de la mission du Fils de Dieu de venu chez les hommes. Le Christ Lui-même la résume en ces termes : « Porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »

            Toute la suite de l’Evangile déploie et manifeste la mise en œuvre par la Parole et les gestes du Christ de la proclamation prophétique d’Isaïe. En lui, l’année favorable devient l’heure favorable, l’instant favorable.

 

            L’Eglise nous fait relire, chaque année, à l’occasion de la messe chrismale, ce même passage de l’Evangile selon Saint Luc. Elle se rappelle et nous rappelle ainsi que sa mission et notre mission n’ont pas d’autres buts que d’inscrire dans nos vies et celles et nos frères humains le projet missionnaire énoncé par le Christ. Il est celui de Dieu lorsqu’il envoie son Fils prendre chair au sein de l’humanité. Il ouvre à celle-ci la voie du salut qui atteindra sa perfection dans la mort et la résurrection du Christ.

 

            Dans notre diocèse, nous sommes entrés dans la période  post-synodale. Elle n’est pas d’abord une course aux techniques, aux moyens, aux organisations et à la gestion. Elle invite à la conversion. Le temps est venu de quitter nos rêves de puissance, de grandeur et de domination. L’Eglise ne cherche pas à rivaliser avec quiconque. Elle doit s’interdire à elle-même d’avoir pour boussole la mondanité que fustige si souvent le pape François.

 

            L’Eglise a la Parole de Dieu, l’exemple du Christ pour étoile polaire. La valeur de tout choix dans l’Eglise, de toute intervention, de toute décision, de toute mobilisation se mesure à l’aune d’un projet venu de loin et que le Christ incarne : « annoncer la Bonne Nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur et un jour de vengeance  pour notre Dieu, consoler tous ceux qui sont en deuil … mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre, l’huile de joie au lieu du deuil, un habit de fête au lieu d’un esprit abattu. »

 

            Comment ne pas souhaiter en cette année de la Miséricorde que ces mots et ces images nous habitent, nous bousculent, nous réveillent, stimulent nos énergies et orientent nos dynamismes ? Ils sont la bouffée d’oxygène quand nous asphyxient les mille et une contraintes que nous nous donnons à nous-mêmes, replient l’Eglise sur ses propres cénacles et donnent à ses membres l’illusion de l’efficacité. Il ne suffit pas d’être débordé, généreux et de courir pour être apôtres. Il nous faut ensemble tracer à notre tour, à la suite du Christ le sillon de l’unique salut obtenu par l’unique Seigneur qui livre sa vie pour la multitude.

            Cette mission de miséricorde confiée par le Christ concerne bien évidemment tous les baptisés quels que soient leurs engagements, qu’ils balbutient timidement les mots de la foi où qu’ils reçoivent une responsabilité particulière. Il importe, bien sûr, que chacun soit à sa place en fonction des dons de la grâce reçue et de l’appel qui lui est adressé. L’unité du Corps se vit dans la diversité et l’harmonie.

 

            Tous cependant se réfèrent au même Seigneur et collaborent à la mission du salut qui est le propre du Christ. Tous font preuve de la même humilité, de la même disponibilité, du même renoncement sans lesquels il n’est pas de service possible. Tous ne sont disciples qu’en suivant le Christ sur le chemin de sa croix et de sa résurrection.

 

            Chaque fois que nos communautés cèdent à la tentation des querelles, des divisions, des luttes de pouvoir, des rivalités et des intrigues, elles font fausse route et minent l’Eglise. Elles la ridiculisent, lui enlève toute crédibilité. C’est au pied de la croix que l’Eglise apprend à servir. C’est devant le tombeau ouvert qu’elle reçoit avec les apôtres sa mission.

            Dans quelques instants, nous bénirons l’huile des catéchumènes, l’huile des malades, nous consacrerons le Saint Chrême. Par les sacrements se manifeste de façon plénière et totale la Miséricorde de Dieu. Au-delà de la faiblesse et du péché personnel des fidèles et des ministres qui les reçoivent ou les président, les sacrements accomplissent totalement la prophétie d’Isaïe, la mission de Jésus. La vie quotidienne, les engagements révèlent ces trésors qui sont encore voilés dans l’existence de la famille humaine qui gémit dans les douleurs de l’enfantement.

 

            Par les sacrements nous sommes déjà dans la terre promise, tout en parcourant encore la route de notre exode, de notre libération. Oui, nous sommes sauvés, mais c’est en espérance. Cherchons, trouvons et appliquons tous les gestes de miséricorde qui inscriront aujourd’hui et demain cette réalité de notre foi dans l’existence des humbles, des captifs, des aveugles, des opprimés de notre époque. Il ne manque pas de cœurs brisés, d’esprits abattus, d’hommes et de femmes qui attendent la consolation, l’habit de fête, la consolation, le diadème de la reconnaissance. C’est là que l’Eglise est attendue.

 

            L’Esprit du Seigneur a consacré par l’onction le Fils bien-aimé.  Il va accomplir par sa Parole, les signes et les miracles qui l’accompagne, la Miséricorde du Père. S’abaissant jusqu’à la mort et la mort de la croix, il manifeste la folie de cette miséricorde qu’il mène à son achèvement. C’est là que se décline et se révèle toute la tendresse de Dieu pour chacune de ses créatures.

 

            Frères prêtres, amis diacres, nous sommes ministres de cet unique prêtre. Nous sommes saisis par ce choix que, par son Eglise, le Christ a fait de nos humbles personnes pour être aujourd’hui les signes et les instruments de ce prêtre qui s’offre lui-même pour la gloire de son Père, le salut de ses frères et sœurs.

            Vous êtes souvent identifiés à vos actes. Rien d’étonnant à cela. On vous réclame pour un baptême, un mariage, des funérailles, le pardon,  un échange, un soutien, un accompagnement, une visite, une formation et pour tant d’autres activités. Sous des demandes souvent timides et inquiètes se cachent les souffrances et les blessures de l’humanité, sa soif de joie, de paix et de bonheur, son désir de ce qui est vrai,  beau et grand.

            Les hommes, les femmes, les jeunes qui viennent vers vous ou que vous rencontrez ne disposent pas toujours des mots avec lesquels nous jonglons dans nos cercles restreints d’initiés, mais en fait, c’est vous qu’ils attendent parce que vous reflétez le Christ.

Jésus fait toujours bon accueil à celles et à ceux qui se tournent vers lui de façon naïve, spontanée et confiante. Bien souvent ces personnes sont mises au ban de la loi juive et de ses dignitaires, mais elles pressentent que Jésus de Nazareth les met en contact vital avec Dieu.

 

            Chers amis, il est facile, gratifiant, sécurisant pour un ministre ordonné de se ranger dans le parti des Pharisiens, des scribes, des docteurs de la loi. Ils sévissent toujours jusque dans les rangs de l’Eglise.  Ils savent poser les barrières, imposer des règles, se faire entendre et voir, régenter, dominer et écraser. N’ayez pas peur de prendre place à la table du publicain, d’interpeller Zachée, de demeurer chez lui, de ne pas condamner la femme adultère, de toucher les lépreux, de tendre les bras vers le  fils prodigue, de partir à la recherche de la brebis égarée. Invitez-les à ouvrir leur cœur, à accueillir la Parole de Dieu, à recevoir les sacrements, à marcher à la Lumière du Christ.

 

            L’Eglise voit se développer avec un immense bonheur le ministère des diacres, la responsabilité des fidèles laïcs. Elle ne fera jamais l’économie du ministère des prêtres. Elle a un besoin vital de ces signes vivants, consacrés par l’onction reçue par le Christ lui-même pour que tous puissent faire l’offrande d’eux-mêmes à Dieu et recevoir le bain de la nouvelle naissance dans la mort et la résurrection de Jésus.

            Frères prêtres, des événements récents et largement médiatisés vous ont certainement blessés. Ils vous ont remis cruellement en mémoire les odieuses défaillances qui peuvent durablement abîmer des personnes et brouiller l’image du ministère presbytéral. Les critiques légitimes à l’égard d’un petit nombre font mal au grand nombre des prêtres qui fidèlement, pauvrement, simplement, ardemment suivent le Christ et portent, à leur propre étonnement, les fruits de la mission du Christ Lui-même.

 

            Frères prêtres, si notre société attend beaucoup de vous, trop peut-être, au risque d’être injuste à votre égard, c’est qu’elle cherche encore et malgré toutes les apparences contraires, Celui qui vous fait vivre et que vous suivez en acceptant de tout quitter. Vous êtes au cœur de ce monde, les prophètes, la bouche, le cœur  qui proclament  la joie, la consolation, le pardon, la fête venue de Dieu qui aime follement ses enfants. Merci de vous laisser entrainer aujourd’hui encore dans ce grand mystère.

 

            Faites taire celles et ceux qui alimentent une opinion qui crie que votre ministère n’est plus envisageable aujourd’hui, qu’il n’est plus possible de n’avoir que le Christ pour seule richesse. Appelez de plus jeunes. Ils ne vous ressembleront pas. Tant mieux ! Comme vous l’avez fait avant eux, ils traceront des chemins pastoraux adaptés aux jeunes générations. Ils surmonteront les obstacles comme vous l’avez fait mais  ils annonceront le même Seigneur ! Si vous êtes plus jeunes, recueillez la sagesse et l’expérience de vos aînés. Ils tiennent bon !

            Vouloir des prêtres, appeler pour ce ministère, ce n’est priver personne de sa mission dans l’Eglise. C’est dire qu’aujourd’hui encore le Christ en personne fait à l’humanité l’incroyable cadeau de la Miséricorde du Père ! Ne plus appeler, ne plus répondre revient à admettre que l’humanité peut en 2016 se passer de la Miséricorde du Père. Qui osera prendre ce risque ?