La lumière de Pâques

Le dialogue avec les jeunes relu à la lumière de Pâques

Paques Paques  À l’heure où je rédige ces quelques lignes, notre pays vient de vivre une « folle journée. » Des adultes et des jeunes, différemment engagés et situés, ont réclamé, à nouveau, à travers une série de manifestations, le retrait de la loi qui institue le Contrat Première Embauche. Je ne dispose d’aucune compétence particulière pour mesurer l’impact sur l’emploi des dispositions voulues par l’actuel gouvernement et votées par le Parlement. Je ne peux pas davantage prédire l’influence de ces mesures sur l’évolution du Code du Travail. Ces différents aspects du problème méritent, bien évidemment, d’être pris en compte. 

 

Parler de précarité... vivre la précarité

Il me semble toutefois que l’itinéraire chaotique du Contrat Première Embauche met en lumière une difficulté plus profonde qui affecte notre société française, notamment ses membres les plus jeunes.
Nous entendons, à longueur de conversation, parler de précarité. Ce mot, presque inconnu de nos aînés, évoque le fantôme qui rode désormais auprès des personnes et hante nos institutions. Nous avons, bel et bien, quitté les temps de la stabilité. Nous ne verrons plus chez nous la famille nombreuse et unie habiter de génération en génération un village ou un quartier, travailler de père en fils dans la même entreprise et évoluer dans un cercle de relations serré et solide. 

Un jeune sait aujourd’hui qu’il doit intégrer, dans son parcours, l’éventualité d’une ou plusieurs périodes de chômage. On lui répète qu’il devra constamment se réadapter pour satisfaire aux exigences du marché du travail. Il ne doit pas avoir peur de se déplacer quitte à travailler loin des siens. Il lui faudra envisager de bâtir et de vendre plusieurs fois son habitation. Il sait, par expérience, que les couples sont fragiles, qu’une famille éclate et se recompose. Oui, la précarité fait désormais partie du quotidien. Elle semble vouloir n’épargner personne.

 

Aujourd'hui n'est plus hier

Il est vain de vouloir remonter le temps et de revivre à « l’ancienne. » Dans bien des domaines de l’existence, la mobilité s’impose et devient un phénomène incontournable. L’horizon s’est déplacé. Il ne se situe pas dans le village voisin ou la rue suivante. Il projette d’emblée jusqu’à l’extrémité de la terre. Il est sans doute nécessaire de faire face et de tirer le meilleur profit d’échanges, de rencontres, de confrontations, de collaborations qui, après tout, portent en eux-mêmes les promesses d’une humanité plus soudée, harmonieuse et solidaire. Encore faut-il que l’homme maîtrise ces mutations, qu’il n’en soit pas le jouet et la victime.

Seul un réel sursaut peut permettre à notre pays de faire face à son avenir, celui de l’Europe et de la planète comme une tâche à accomplir et non comme un drame à subir. Mais voilà, ce but et cet objectif ne pourront être atteints si nous cultivons, avec délice, l’art d’entretenir et d’attiser les querelles, de ne regarder midi qu’à la porte de notre groupe, de notre parti, de notre influence et de notre intérêt.

 

Qu'est le progrès humain...
A l’occasion de la réflexion et du débat sur le Contrat Première Embauche, nous avons oublié, une fois de plus, qu’il n’est de progrès humain que dans la rencontre, la concertation, la lucidité et le partage. Du regard porté sur nos semblables, dépend notre capacité à comprendre que le bien de chacun ne s’obtient pas sans la recherche du bien de tous.

 

...à la lumière de Pâques?
Les Églises chrétiennes s’apprêtent à célébrer la fête de Pâques. Nos plans et nos stratégies seront, cette fois encore, bousculés par le choix inouï de Dieu. Son Fils se fait humble et pauvre. Il meurt sur la Croix parce qu’Il aime jusqu’au bout. Dans ce total abandon, se révèle toute la puissance de l’Amour. Jésus ressuscite au matin de Pâques.

 

Il serait scabreux de calquer un fonctionnement social sur l’aventure pascale. Elle ne nous apporte pas de solutions, elle nous ouvre les yeux, le cœur et nous donne  force et audace. Nous n’imiterons probablement pas le Christ au point de mourir sur la Croix, mais nous savons en Lui et par Lui que rien d’humain n’atteint son accomplissement et sa perfection sans passer par le dépouillement qui fait reconnaître que chacun est appelé à se donner au plus profond de lui-même pour que l’autre vive. Celui qui sait et vit cela, ne considère plus l’autre comme le pion d’un grand jeu, l’instrument d’un projet ou le fantassin d’une troupe. Il reconnaît en lui en frère.

 

Il est certainement naïf de croire, en 2006, qu’il est possible d’affronter de redoutables mutations en faisant le choix d’être les uns pour les autres des frères. Ce n’est, tout bien pesé, pas plus naïf que de croire que Jésus de Nazareth, mis dans le tombeau à la hâte un vendredi soir, est Vivant le matin du premier jour de la semaine !

 

+ Mgr Jean-Paul JAEGER.