Dieu et des frères

Careme 2006 : La souveraineté alimentaire. L’accès aux ressources

L’Eglise entre dans le temps du Carême. Pour les aînés, cette période évoque les « sacrifices » qu’il fallait naguère choisir et accepter. Ils représentaient une sorte de performance personnelle bien venue pour mériter  la Miséricorde de Dieu. Pour les plus jeunes, il reste souvent  un équivalent confus du Ramadan des Musulmans, même s’il n’est pas vécu avec la même intensité.
Il est vrai que notre culture a largement évacué de son vocabulaire et de ses pratiques, l’idée même de la conversion et de la pénitence. Dans l’opinion, tout ce qui est susceptible d’entamer la haute et inattaquable image que l’homme a de lui-même doit être méthodiquement banni.

 

Comment l’affirmation de sa puissance pourrait-elle être entamée par le moindre doute ? On sait avec quelle violence est aujourd’hui rejeté dans les ténèbres de l’exclusion celui ou celle  qui ne correspond pas aux modèles de la réussite, quel que soit son champ d’application. Dans un tel contexte « faire carême » n’a plus aucun sens !

 

Avec sagesse, l’Eglise ose enfoncer un coin dans le bloc des certitudes imposées. Elle ne prend pas plaisir à souligner les circonstances, les événements, les constats qui remettent en cause le dogme de l’humanité triomphante. Cette dernière peut tirer fierté de ses conquêtes, de ses réalisations, de ses inventions, de ses progrès. Elle s’enrichit. Elle reste, dans le même temps, pauvre de ses faiblesses. Que de fois ne lui est-il pas redit par le déroulement de sa propre histoire qu’elle demeure à travers les siècles un colosse aux pieds d’argile ?

 

Regarde ton frère ! Regarde ton frère !  Le temps du carême est  proposé aux croyants pour regarder lucidement cette faille qui traverse l’être humain, ce dérèglement de sa propre richesse auquel notre foi donne le nom de péché. Certes, la terre tourne, mais des relations faussées laissent béantes une blessure dont l’être humain et la famille humaine attendent la guérison. Seul l’Amour du Fils de Dieu qui  a été « identifié au péché » [1] ouvre par sa mort sur la croix et sa résurrection au matin de Pâques les portes d’un avenir. Les justes rapports du Père aux enfants, des enfants au Père et des frères et sœurs entre eux font, enfin, porter  au labeur de l’homme son authentique fécondité.

« Nous avons été sauvés dit,  Saint Paul, mais c’est en espérance. »  L’existence de chacun doit accueillir la grâce et le pardon offerts en Jésus-Christ mort et ressuscité, une fois pour toutes ! Pendant quarante jours, nous n’allons pas additionner les efforts susceptibles de nous hisser hors de nos ornières. Par méditation de  la Parole de Dieu, la prière, le jeûne, le sacrement de la réconciliation, le partage, nous allons creuser en  nous l’espace que Dieu peut combler et accueillir les trésors qu’Il destine aux cœurs humbles et pauvres.

 

A côté des démarches personnelles, l’Eglise nous invite chaque année à contribuer à une activité commune : La lutte contre la faim et pour le développement. Nous découvrons l’un des signes les plus perceptibles du péché dans la manière dont les peuples gèrent les relations entre eux. De quelle folie sommes-nous atteints pour que les différences s’érigent en barrières qui isolent, en frontières qui écartent, en pouvoirs qu’il faut sauvegarder. Pourquoi la croissance des uns s’est-elle nourrie du déclin des autres ? En vertu de quelle loi l’enrichissement ici engendre-t-il la pauvreté là-bas ? Il ne suffit pas d’invoquer la loi du marché ou les règles de l’économie. Il y a bien des êtres humains pour les activer !

Le pape Benoît XVI le réaffirme dans l’encyclique « Deus Caritas est » : Il est impossible deRegarde ton frère ! Regarde ton frère !   retrouver Dieu sans retrouver le frère. Le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement nous permet de vivre cette unique démarche aux deux visages. En favorisant l’accès généralisé de frères humains aux ressources vitales trop souvent captées par quelques-uns, nous acceptons de regarder autrement nos semblables que nous rangeons vite dans la catégorie des étrangers.  Cette année, nous sommes invités à porter une attention particulière aux populations Roms d’Albanie et de Roumanie. La discrimination  à leur égard repose sur une série d’idées reçues qui font mal et ne peut qu’engendrer une sourde révolte.

 

Un cœur qui se tourne vers Dieu ne peut qu’apprendre à battre et à voir autrement. L’ouverture, la rencontre, l’accueil révèlent à tous les coups un Dieu qui nous aime puisqu’il nous donne des frères. Ne laissons pas passer la chance de participer aux échanges, aux activités, aux partages qui sont proposés par le C.C.F.D. et nos communautés dans la diocèse. Ils ancreront en nous ces certitudes.

Inutile le carême ?


+ Mgr Jean-Paul JAEGER