Homélie de la messe chrismale

Courrières le mardi 19 mars 2008

Le décor est planté. L’acteur principal peut entrer en scène. Il est progressivement sorti de l’anonymat. Les spectateurs et auditeurs vont, enfin, le voir à l’œuvre.
 
Pardonnez-moi de parler de manière si cavalière du début de l’Évangile selon Saint Luc. J’ai cependant le sentiment que c’est de cette manière et sur ce mode que le rédacteur nous conduit à ce passage que nous venons d’entendre.
 
Nos esprits et nos cœurs sont prêts. Nous savons qui est Jésus, nous n’ignorons plus rien de son identité, de sa filiation, de son enracinement, de son histoire, de son destin. En trois chapitres, l’Évangéliste nous a préparés à accueillir Celui qu’attend le Peuple choisi par Dieu et à suivre ses pas.
 
Depuis des siècles, ce peuple guettait le Messie dans la nuit de ses doutes et de ses peurs, dans le chaos de ses infidélités et de ses révoltes. Il allait définitivement rétablir l’alliance entre Dieu et les créatures rebelles, objets des colères divines dont les Saintes Écritures gardent la trace tout autant que des regrets d’un Père qui ne renoncera jamais à entourer ses enfants de sa tendresse et de sa miséricorde.
 
Cette fois, l’envoyé de Dieu est là. Jean-Baptiste l’annonce. Devant Lui, il s’efface.
 
                        Et nous voici arrivés au lieu et au temps où l’étonnement nous saisit. Jésus entre dans sa mission. Curieusement, elle ne débute pas à Jérusalem, cité royale, ville du temple, chaire par excellence de l’enseignement de la Loi, carrefour obligé de toutes les écoles théologiques et spirituelles, zone d’affrontement des traditions et des cultures, endroit incontournable de la notoriété.
 
                        Non, après la forte expérience du désert, Jésus s’en retourne en Galilée, loin des agitations et des turbulences de la Judée. On sait quel mépris manifestent les beaux esprits de Jérusalem à l’égard de la Galilée ! De façon on ne peut plus sobre, Luc nous dit que le Christ y enseigne et que sa renommée se répand dans toute la région. Il prend simplement la précaution de préciser que Jésus est revenu chez lui « avec la puissance de l’Esprit. [1] »
  
 
                        C’est à Nazareth, dont nous savons par l’Évangile qu’il ne peut rien en sortir de bon, que se situe un événement apparemment anodin. Jésus se plonge dans l’Écriture et la proclame, quoi de plus normal ? Le commentaire qu’il va en faire est attendu par un auditoire qui lui rend déjà un bon témoignage.
 
Et voilà que dans cette bourgade perdue de Galilée, un « trou » diraient les plus jeunes, Jésus va se manifester sous un jour nouveau : « Cette Parole de l’Écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. [2] » C’est encore, en Galilée que Jésus ressuscité fixera, plus tard, rendez-vous à ses apôtres.
 
Le Christ va, en quelque sorte, déployer cette affirmation dans toute la suite de l’Évangile. Il ne se contente pas du statut de bon prédicateur reconnu par les foules. Il accomplit la Parole. Il en donne les signes concrets qui en montrent, dans les plus grandes détresses humaines, l’efficacité et l’authenticité : les captifs retrouvent la liberté, les yeux des aveugles s’ouvrent, les opprimés font l’expérience de la libération.
 
Jésus va encore plus loin : il s’identifie à la Parole. Il ne fait pas seulement ce qu’Il dit – ce qui serait déjà beaucoup ! – Il est ce qu’Il dit. Le Fils de Dieu ne va pas simplement parler brillamment du salut, Il livrera sa propre vie, Il mourra sur la croix. Le livre de l’Apocalypse évoque Celui « qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père. [3] »
 
Dans les circonstances qui marquent notre société contemporaine et qui ne peuvent pas ne pas affecter l’Église, il nous est bon de méditer, une fois encore, le début de l’Évangile de Luc. Il éclaire, fort à propos, nos interrogations et, vraisemblablement, nos inquiétudes.
 
Fidèles du Christ, prêtres, diacres, religieux, religieuses, consacrés, nous devons bien admettre que nous sommes encore fascinés par une Église numériquement forte, puissante dans son rayonnement, écoutée dans son enseignement.
 
Nous nous souvenons de l’époque où, jusque dans le cadre de la laïcité, les références communes émanaient de l’Évangile. Nous gardons la nostalgie de paroisses, d’institutions, de groupes, de mouvements utiles à la proposition de la foi et précieux au renforcement des liens humains à tous les niveaux de la société.
 
Le baptême, la première communion, la profession de foi, le mariage, les funérailles religieuses, l’engagement dans les mouvements apostoliques et les associations de fidèles ont une profonde signification spirituelle, ecclésiale et missionnaire. Il n’y a rien de choquant à reconnaître publiquement qu’ils contribuent aussi, pour leur part, à la constitution et la cohésion d’une culture ou de cultures sans laquelle ou sans lesquelles, il est difficile, voire impossible de vivre ensemble.
 
L’Église catholique n’exerce aucun monopole en ce domaine, même si historiquement, elle s’est parfois trouvée en situation de quasi-monopole et qu’elle a pu, pour des raisons pas toujours avouables, le défendre maladroitement.
 
Cette Église sait que s’il lui est arrivé d’être bien à l’aise, trop à l’aise dans l’opulence triomphante de Jérusalem, sûre de son élection, de son roi, de son temple, il lui faut, avec le Christ, refaire l’expérience de l’humilité et de la pauvreté de la Galilée. Ô, elle reviendra à Jérusalem, mais pour être unie au Christ condamné, crucifié, mis à mort, unie au Christ ressuscitant au matin de Pâques pour être, à nouveau, envoyée en Galilée.
 
Nous voici appelés à tout miser sur l’unique puissance de l’Esprit qui parcourt les premières pages de l’Évangile selon Saint Luc. Nous recevons cette consécration par l’Esprit dans les sacrements. Au moment où nous allons bénir l’huile des catéchumènes, l’huile des malades et consacrer le Saint Chrême, nous mesurons toute la signification des mots du prophète Isaïe. Ils déclinent l’identité du Christ et, désormais, celle de tout chrétien, de tout ministre ordonné : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’Il m’a consacré par l’onction. [4] »
 
Ces sacrements eux-mêmes nous sont donnés comme instruments du salut en Jésus-Christ et nous conduisent à annoncer, avec Lui, le consacré, la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Ce sont sur ces chemins de notre Galilée que nous poussent les évêques de notre pays en donnant, à l’Église en France, un texte d’orientation de la catéchèse.
 
Le rassemblement Ecclesia 2007 qui s’est déroulé à Lourdes, en octobre dernier, a parfaitement mis en lumière la nécessité et l’urgence de nouvelles formes de proclamation, d’accueil et de partage de la Parole de Dieu, à tous les âges, dans tous les lieux, au-delà même des structures et des cadres familiers. 
 
Vos évêques ne vous demandent pas d’abandonner les champs traditionnels de la moisson, même s’ils produisent, quantitativement, moins, beaucoup moins, de fruits que naguère. Ils se réjouissent des initiatives qui sont déjà prises pour que des jeunes et des moins jeunes entendent, aujourd’hui, la Parole de Dieu, la voient à l’œuvre dans leur vie, autour d’eux, se laissent habiter et transformer par elle. En toute modestie, nous avons présenté, à Lourdes, quelques initiatives qui, dans notre diocèse, vont dans ce sens.
 
Avec mes frères évêques, j’ai l’audace de vous inviter à susciter les semeurs d’aujourd’hui et de demain et à aller vous-mêmes jeter en terre le bon grain de la Parole de Dieu. Le labeur peut être obscur, petit, pauvre, faible, apparemment inefficace, toujours à reprendre : qu’importe si c’est la Puissance de l’Esprit de Dieu qui opère !
 
Sur ce chantier, il n’est pas d’abord question de nombre, d’organisation, de quadrillage, de gestion, d’encadrement. Il nous faut croire que lorsque nous faisons simplement route avec Jésus, mort et ressuscité, et que nous proclamons l’Évangile au plus près des personnes, la parole de l’Écriture s’accomplit aujourd’hui.
 
Chers frères prêtres et diacres, au jour de son ordination épiscopale, votre évêque a reçu sur ses épaules le livre des Évangiles . Au jour de votre propre ordination, il vous a été solennellement affirmé que votre première mission consiste à annoncer l’Évangile.
 
 
 
Je sais avec vous combien, il est indispensable d’aider tous les fidèles de l’Église à collaborer à cette proclamation. La Parole de Dieu est confiée à toute l’Église pour le service du monde. Vous ne pouvez, cependant pas, être uniquement les pédagogues et les formateurs des fidèles laïcs. Plus exactement, vous ne les aiderez qu’en vous nourrissant vous-mêmes de la Parole de Dieu, en la proclamant, en la commentant, en la vivant. La Parole de Dieu n’est pas matière d’enseignement. Elle est vie dans le Christ, par la puissance de l’Esprit.
 
Non, vous ne souffrirez pas d’un excès d’orgueil, si l’on peut dire de vous, ministres du Christ : « Tous lui rendaient témoignage ; ils s’étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche. [5] »
 
 
                                                             + Jean-Paul JAEGER.
 
 


[1] Luc 4, 14.
[2] Luc 4, 21.
[3] Apocalypse 1, 5-6.
[4] Luc 4, 18.
[5] Luc 4, 22.