Que leur avons-nous donc fait ?

Bergues Bergues  Gens d’ici, nous n’avons pas fini de nous étonner de l’intérêt que suscite un film consacré à notre région et à ses habitants. Qu’il nous mobilise, nous : soit ! Il est plus difficile de comprendre pourquoi il remplit les salles obscures de Marseille et de la Belgique ! Que se passe-t-il pour que le charme opère avec une telle ampleur et à une si grande échelle ?           

 

Pourtant, il est clair dès les premières répliques que Line Renaud ne pratique pas régulièrement le chti. Faut-il laisser croire que tous les facteurs, pardon les préposés, du Nord-Pas-de-Calais rentrent habituellement de leur tournée en état d’ébriété ?
 
Beaucoup « d’étrangers » pourront s’imaginer que la gastronomie locale ne dépassent pas les limites d’une portion de frites. Les Berguois qui ne connaissent aucun autre dialecte que le flamand sont encore tout étonnés d’habiter soudain la capitale d’un patois dont ils ignorent à peu près tout.
 
Oui, il y a beaucoup de ficelles et de caricatures dans « Bienvenue, chez les Cthis. » Et pourtant … j’ai aimé.
 
Aux gens de chez nous, Dany Boon tend un miroir. Je ne m’identifie pas à Antoine Bailleul, mais je redécouvre avec une joie d’enfant que j’habite la même rue que lui, que je l’ai pour voisin, que je le croise et le salue chaque jour. C’est difficile à expliquer, mais c’est si simple à vivre : lui et moi nous sommes des Chtis !
 
Peu importe s’il est facteur et que je suis évêque, nous nous comprenons. Des mots, des expressions, des mimiques, des clins d’œil, des saluts nous disent instantanément que nos racines plongent dans la même terre.
 
Cette terre est parfois gorgée de l’eau du ciel, imbibée de la sueur de ceux et celles qui ont rudement peiné pour gagner leur pain, rougie du sang des victimes de tant de combats. Mais cette terre a vu pousser et fleurir une humanité qui sent bon la vie, la générosité, le courage, la solidarité et l’accueil. Le vent – encore lui ! - gonfle un cœur dont la rudesse de l’existence n’est jamais parvenue à ralentir les battements.
 
Dans le Pas-de-Calais, je reçois souvent la visite de courtoisie de nouveaux préfets. Chacun d’entre eux me demande comment je perçois la population de notre département. Invariablement, je décris ses qualités et les limites que je crois percevoir en elle. Je n’oublie jamais de souligner mon regret de ne pas la trouver plus fière d’elle-même. Car, j’en suis bien convaincu, la principale richesse du Pas-de-Calais, ce sont ses habitants.
 
Non, ils ne sont pas les premiers au palmarès de la culture, de la santé, des diplômes, mais ils entretiennent en eux des richesses humaines qui se font rares quand la rentab ilité, l’efficacité, la compétition réduisent les relations entre les personnes à leur plus simple expression et opposent plus qu’elles ne rassemblent.
 
S’entendre dire et constater que l’on est chez soi quand on est chez les autres et avec eux : cette attitude ne constitue pas chez nous un monopole. Elle témoigne pourtant d’un sacré savoir-faire que nous n’avons pas appris à l’école. Nous l’avons reçu dans notre berceau.
 
Plaise à Dieu que longtemps encore, des hommes et des femmes pleurent en arrivant dans le Nord-Pas-de-Calais et pleurent en le quittant. Le secret et l’affection de ces larmes nous appartiennent et nous n’avons, pour rien au monde l’intention de les perdre !
 
+ Jean-Paul JAEGER