La sainteté

 
Tous saints Tous saints  Le 8 avril 2005, sur la place Saint-Pierre de Rome, étaient célébrées les funérailles du Pape Jean-Paul II. Au-dessus de l’assemblée, flottaient plusieurs banderoles sur lesquelles les participants et les téléspectateurs pouvaient lire : « Santo subito » (Saint tout de suite !)
 
Un peu plus tard, dans notre pays, à l’occasion du décès de l’abbé Pierre et, plus récemment, au moment de la mort de Sœur Emmanuelle, l’opinion a canonisé de façon spontanée et immédiate, deux héros de la charité.
 
Dans un siècle qui fait une confiance inconditionnelle à la rationalité, à la science, à la technique, il est étonnant de constater que la sainteté fait encore recette. Elle exprime, peut être, la nostalgie et l’insatisfaction d’une société qui a toujours besoin de témoins des plus hautes valeurs quand elle-même s’enlise dans la recherche et la promotion de réalités trop matérielles, éphémères ou artificielles.
 
A l’heure où, d’une extrémité à l’autre de la planète, les systèmes financiers ont dangereusement manifesté qu’ils n’étaient finalement que des colosses aux pieds d’argile, la France entière s’est émue du retour à Dieu d’une religieuse au visage flétri et à la silhouette amaigrie. Elle pouvait se permettre de parcourir les palais de la République et les plateaux de la télévision vêtue d’une simple blouse et de ses éternelles baskets. Par elle, s’est fugacement imposée une autre vision de l’homme et des relations entre les personnes. Sœur Emmanuelle diffusait naturellement le parfum d’un Évangile qui mène sur les chemins de la pauvreté, plutôt que dans les allées luxuriantes des places boursières.
 
L’idéal de vie ne sera jamais celui des sans-logis tellement défendus par l’abbé Pierre ou des chiffonniers du Caire dont Sœur Emmanuelle s’était faite la voix. L’Église a toujours invité à la production des biens, mais pas à n’importe quel prix. Elle a milité et ne cessera jamais de le faire pour leur juste répartition au bénéfice de l’humanité entière.
 
La quantité et la qualité ne sont pas forcém ent et systématiquement antagonistes. Le danger survient lorsque la qualité est sacrifiée sur l’autel de la quantité. L’humanité court un réel danger lorsque l’être humain ne se décline plus qu’en chiffres : celui de son compte en banque, celui de ses diplômes ou de ses années d’études, celui de la puissance de sa voiture, celui des kilomètres parcourus pendant ses vacances ou celui des ses conquêtes amoureuses.
 
Nous savons mieux aujourd’hui à quel point peuvent être fragiles et incertains tous les systèmes sur lesquels des hommes pensent pouvoir, de façon stable et durable, asseoir leurs forces, leurs pouvoirs et leur avenir. Il en va jusqu’à la nature dont on a enfin compris qu’elle ne se laissera pas manipuler et abîmer sans que la folie humaine qui voudrait en ignorer les lois ne récolte la tempête du vent qu’elle a semé.
 
L’opinion publique voudrait faire de l’abbé Pierre ou de Sœur Emmanuelle des héros. De façon étonnante, ce prêtre et cette religieuse, aussi frêles l’un que l’autre, ont eux-mêmes brouillé l’image que leur personnalité et leurs actions avaient imposée. Non, ils n’avaient pas atteint le stade de la perfection et, eux-mêmes, étaient conscients de leurs limites, de leurs faiblesses, de leur inachèvement. Mais l’un comme l’autre, peut être ne l’a-t-on pas dit assez, avait été saisi par le Christ qui fait retentir, à nos oreilles la Parole des Béatitudes.
 
 
Religieuse enseignante, habituée à former les jeunes filles de la bonne société, Sœur Emmanuelle comprit un jour qu’elle ne rencontrerait vraiment le Christ qu’en acceptant, à cause de Lui et comme Lui, de renoncer aux multiples charmes d’une vie confortable pour épouser la pauvreté, les larmes, la miséricorde et la paix. Il lui fallait connaître le dépouillement qui laisse apparaître la perle la plus précieuse, l’Amour dont le Père comble ses enfants.
 
Sœur Emmanuelle n’aurait probablement jamais fait sa demeure parmi les chiffonniers d’un bidonville si elle n’avait pas trouvé la source de sa vie dans le Christ humilié, défiguré, méprisé, crucifié dans le Christ mort, mais ressuscité. Au matin de Pâques, ce mystère d’Amour a été plus fort que sa propre indigence. Il lui a fait découvrir la puissance de l’Amour de Dieu et de l’Amour fraternel qu’elle a vu brûler en celles et ceux qui étaient condamnés à la permanente exclusion et dont personne n’osait peut être croire qu’ils avaient un cœur capable de recevoir et de donner l’amour.        
 
L’expérience du dénuement révèle dans la vie le Fils de Dieu qui a renoncé à tout pour ne laisser transparaître et rayonner en Lui que l’Amour du Père pour le Fils, l’Amour du Fils pour le Père, Amour que tout être humain est appelé à recevoir et à transmettre. Il découvre alors l’unique et vraie richesse sur laquelle il peut s’appuyer et se construire Lui-même. C’est là aussi que s’ouvrent déjà pour tout homme encore en marche, les portes de la sainteté.
 
                                                                                  + Jean-Paul Jaeger