Mercredi des Cendres

Noous laisser réconcilier

 

présence du Christ présence du Christ   Une décision prise par un prêtre du diocèse de Nantes a, ces jours derniers, soulevé une mini tempête sur la planète médiatique. Ce curé de paroisse aurait refusé de baptiser un petit enfant parce que sa sœur aînée n’était pas catéchisée.
 
Je ne connais pas ce prêtre et j’ignore tout du dialogue pastoral qu’il a pu nouer avec la famille concernée. En cette circonstance, je remarque la méconnaissance totale de la réalité de la foi et de l’Église qu’affichent, sans doute en toute sincérité, les commentateurs d’une station radiophonique très écoutée. Ne pas donner satisfaction immédiate à une requête ne signifie absolument pas qu’un enfant sera privé du baptême.
 
J’ai eu le sentiment que, dans ce débat, l’Église et ses ministres étaient cantonnés dans le rôle de prestataires de services, de fournisseurs de sacrements. Il leur revenait, sans autre forme de procès, de s’exécuter puisqu’on le leur demandait !
 
Nous sommes bien loin de la théologie constante de l’Église et, notamment, de l’enseignement de Vatican II à propos du sacrement de baptême et de l’Église !
 
De façon plus grave et plus sérieuse, nous avons été, à des degrés divers, protagonistes ou spectateurs d’un gigantesque remue-ménage qui vient de secouer l’Église en Europe. Quoi qu’il en soit du fond du problème, Nous avons bien dû constater l’incompréhension croissante qui sépare, chaque jour davantage, l’Église d’une société qui revendique, de plus en plus fort, le droit de voler de ses propres ailes. Il est loin le temps où cette même Église était, au nom de l’Évangile, de sa doctrine et de son magistère, le guide reconnu et admis de cette même société.
 
Dans ce contexte, nous nous sommes aperçus que la Parole de Dieu et les textes conciliaires risquaient d’être détournés de leur nature et de leur sens. En pareil cas, ils ne sont plus chemin et lumière pour les fidèles, ils se transforment en réservoir d’arguments que les uns et les autres se lancent à la figure pour se justifier et s’opposer les uns aux autres.
 
Nous entrons dans le temps du Carême. Il appelle à la conversion. Se convertir, c’est accepter de faire volte-face et d’avancer dans une autre direction. Comme il est difficile d’abandonner nos certitudes, nos querelles, notre univers religieux et de faire demi-tour pour rentrer en nous-mêmes et nous retrouver, en vérité, face à Dieu 
 
Le Seigneur et l’Église ne nous demandent pas de déserter l’humanité. Ils nous invitent à nous interroger sur la manière dont nous la servons en nous-mêmes et dans les autres. Dieu ne nous met pas à l’écart pour nous sermonner, nous juger et nous condamner. Il vient parler à notre cœur pour y faire briller sa lumière et faire jaillir sa vérité. Nous disposons de quarante jours pour expérimenter la miséricorde de Dieu. Elle nous mène à la recréation de nous-mêmes dans la mort et la résurrection de Jésus.
 
Nous prions, nous jeûnons, nous partageons. Nous respectons ainsi les préceptes de l’Église. Ils constituent, pour nous, autant de moyens d’ouvrir notre cœur. Si nous sommes un tantinet pharisien, nous pouvons ajouter que nous respectons bien la loi et que nous avons, en quelque sorte, droit au bénéfice de cette fidélité, comme d’autres ont aujourd’hui droit au baptême.
 
Mais voici que le doigt de Dieu appuie là où cela fait mal. Pourquoi, pour qui prions-nous, partageons-nous, jeûnons-nous ? Pour Dieu ou pour nous donner la satisfaction d’être, devant les autres, des chrétiens qui sortent de l’ordinaire et que le Seigneur Lui-même a finalement beaucoup de chance de compter parmi ses enfants ?
 
Le peuple hébreu qui a traversé le désert pendant quarante ans a succombé, de multiples fois, à la tentation de l’idolâtrie. Le Christ Lui-même a été tenté. Tout lui était promis s’il prenait, à son unique bénéfice, la place de son Père. Nous n’échappons jamais totalement au désir d’être comme des dieux, comme Dieu et d’utiliser sa Parole, celle de l’Église de Jésus Christ, pour parvenir à nos fins. Dieu nous connaît. Il a découvert depuis longtemps la résistance de nos vies et de nos cœurs. Avec un cœur de Père aimant, Il vient le premier à notre rencontre.
 
Il a vérifié depuis longtemps que seul un surcroît d’amour, un fleuve d’amour peuvent ébranler des cœurs endurcis. Selon l’enseignement de l’Apôtre Paul, Dieu ne nous demande pas de nous réconcilier avec Lui. Il nous supplie simplement de nous laisser réconcilier avec Lui, sachant qu’Il sera toujours l’acteur et le moteur de cette réconciliation.
 
C’est, Lui, Dieu qui, contre toute logique, en paie la lourde addition. Jugeons-en plutôt. Il va identifier au péché son Fils bien-aimé, le Christ, Lui qui, contrairement à tous ses enfants d’adoption, n’a jamais commis le péché ! Comment ne pas être saisi d’émerveillement et de reconnaissance devant une telle bonté qui nous bouleverse ?
 
Que nous est-il demandé au cours de ce Carême : de nous corriger nous-mêmes, de nous amender, de nous extraire de notre pauvreté, de notre faiblesse ? Nous sommes bien incapables d’atteindre parfaitement et définitivement un tel but. L’Apôtre Paul se fait encore plus pressant et précis: « Nous vous invitons à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu. » « Au moment favorable, je suis venu à ton secours. »
 
Pourquoi faudrait-il faire du temps du Carême un moment d’austérité, de larmes et de peur ? Ô, bien sûr ! Nous ne laisserons pas travailler la grâce en nous sans consentir à quelques efforts, à de modestes renoncements, à une mortification de bon aloi. Ces petits gestes ne constitueront encore que quelques gouttes d’eau perdues dans l’océan de la Tendresse et du Pardon de Dieu
 
Non, il n’est pas facile et spontané de tourner le dos à l’image que nous essayons de donner de nous-mêmes. Mais dès que nous serons entrés au désert, nous serons bouleversés et émerveillés par l’Amour que Dieu veut nous y offrir.
 
Le prophète Joël nous donne le ton de notre Carême : « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements et revenez au Seigneur votre Dieu. » Voilà qui est bien austère, mais il ajoute aussitôt : « Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! »
 
Oser parler de noces pendant le Carême, il faut le faire ! Il n’est cependant pas de plus belle image pour nous dire que les quarante jours qui s’ouvrent devant nous ne sont, une fois de plus, qu’un extraordinaire épisode d’une histoire d’amour.