Une halte pour la vie.

Lettre de mgr Jaeger pour le carême

 Dans les comportements comme dans les regrets se niche facilement l’indifférence. Nous constatons souvent, non sans amertume, que les faits et gestes des uns, leur personnalité elle-même, laissent les autres indifférents. Ils n’attirent aucune remarque, pas le moindre regard ou le plus petit commentaire. Tout se passe comme s’ils n’existaient pas ou n’intéressaient pas.

 

Cette attitude s’explique par de multiples causes. Elle peut être délibérée, accidentelle, calculée. Elle peut tout simplement relever de l’ignorance. Dans le monde contemporain et la vie quotidienne, les sollicitations sont multiples. La facilité des communications les multiplie. La technique engorge les canaux de réception, la tête et le cœur ne suivent pas forcément le rythme ! Ce que nous prenons pour de la froide indifférence ne constitue alors qu’un aveu de faiblesse.

 

Un être humain ne peut pas tout voir, tout savoir, juger adéquatement de tout, réagir à tout, s’émouvoir de tout. Les faiseurs d’opinion le savent bien. Ils ont l’art et la manière de susciter des courants qui entraînent l’adhésion, parce que les personnes n’ont pas ou n’ont plus les aptitudes, les compétences et le temps. Il leur devient impossible d’exercer leur propre jugement sur la masse d’informations qui leur parvient en temps réel, comme il est élégant de dire aujourd’hui !

Les réalités de la foi n’échappent pas à ce phénomène. Elles s’évanouissent dans le brouillard des tâches à accomplir, des décisions à prendre, des actes à poser. Comme elles ne gèrent pas forcément les besoins immédiats et les urgences, elles sont reléguées, abandonnées, isolées au point d’échapper au champ de la conscience. Il n’y a, dans la plupart des cas, derrière l’indifférence aucune hostilité, aucun rejet, aucune militance, mais une solide méconnaissance et un réel manque d’intérêt immédiat.

 

Ce n'est pas immensité de sable, mais rocaille, lieu de vie, dépouillé, mais fertile. Au désert, Gorges d'Ein Avdat  
Ce n'est pas immensité de sable, mais rocaille, lieu de vie, dépouillé, mais fertile.
Ce n'est pas immensité de sable, mais rocaille, lieu de vie, dépouillé, mais fertile.
Le temps du Carême veut nous aider à sortir la tête de ce torrent qui nous emporte. La tradition lui accole l’image du désert. Là, il n’y a plus que la nature à l’état brut, le silence, le dépouillement, l’abandon. S’y retrouvent celui qui s’y aventure et Celui qui n’a jamais faussé compagnie à l’homme, mais que ce dernier ne voyait plus, n’entendait plus, ne reconnaissait plus. Il était trop préoccupé à remplir sa vie de ses innombrables préoccupations. Dieu était en lui, mais lui était hors de lui-même, selon ce que découvre, un jour, Saint Augustin !

 

Nous n’aurons probablement pas, tous et toutes, l’occasion de nous aventurer dans un désert à l’occasion de ce carême 2010. Dans l’Eglise, nous sommes invités, dans une démarche de purification, de pardon et de réconciliation, à retrouver ce qui, en nous et dans nos semblables, a du prix, du poids et prend, dans la rencontre avec le Christ Sauveur, une valeur éternelle.

 

Nous sommes appelés à nous laisser replacer dans une juste relation face à Dieu et ainsi nous découvrir nous-mêmes. Nous menons le combat du Christ contre la tentation de l’avoir, du pouvoir, de l’idolâtrie. Nous nous recevons de Dieu. Nous n’existons que comme enfants. Le Père nous donne des frères et des sœurs. Nous ne pouvons nous épanouir qu’au sein d’une famille.

Ce retour à notre identité passe par la prière, authentique dialogue avec Dieu, une saine évaluation de notre rapport au monde qui appelle toutes les formes du jeûne, la reconnaissance des frères et des sœurs avec lesquels nous partageons.

 

Nous sommes loin de l’empilement des exercices de carême édifié à notre propre gloire. Nous sommes entraînés sur une route de conversion et de confiance. De notre point de vue, ce changement de cap ne va pas de soi, tant les démons de l’autosatisfaction et de l’indifférence nous talonnent. Le Christ Lui-même nous mène au désert. Pendant quarante jours, il nous guidera vers sa mort et sa résurrection, gage et source de notre propre passage vers la Vie Nouvelle.

 

Nous emprunterons cet itinéraire avec les catéchumènes qui, dans le diocèse, seront baptisés, confirmés et communieront au Corps et au Sang du Christ, lors de la veillée pascale. Le cœur purifié, nous proclamerons la foi de l’Eglise. Le désert débouchera, à nouveau, sur la terre de l’Amour de Dieu et de nos frères !

 


+ Jean-Paul Jaeger