Les richesses de la pauvreté

Lettre Mgr Jaeger Eglise d'Arras 17

Concile oecuménique Vatican II 1962-1965  
Concile oecuménique
Concile oecuménique
Au lendemain du concile Vatican II, de nombreux catholiques ont plaidé en faveur d’une Eglise pauvre. Le temps était venu, à leurs yeux, d’abandonner un certain faste et une position dominante qu’avaient entamée sans les réduire totalement, deux siècles de laïcité.


Ce vœu a été exaucé au-delà de toute espérance ! Il faut cependant reconnaître qu’il ne s’est pas forcément réalisé selon les modalités et dans les domaines qu’avaient envisagés les tenants d’une plus grande humilité de l’Eglise.


Une formule célèbre circulait sur toutes les lèvres au moment où, lycéen ébahi, je recevais les premiers échos des débats conciliaires : « Eglise, que dis-tu de toi-même ? » Il faut reconnaître qu’à l’époque, notre Eglise pouvait encore garder dans l’opinion, une relative maitrise de la perception qu’elle avait d’elle-même et la proposer avec une certaine audience à la société dans laquelle elle était implantée.


Le pain et le vin pour le repas eucharistique,
l'aiguillère Messe chrismale 2007  
Le pain et le vin pour le repas eucharistique, l'aiguillère
Le pain et le vin pour le repas eucharistique, l'aiguillère
La réalité a bien changé. La balle est aujourd’hui dans le camp de divers pouvoirs qui proclament haut et fort ce qu’est l’Eglise pour eux et la place qu’ils lui reconnaissent ou lui dénient dans le paysage humain, culturel, spirituel et religieux de notre temps. Des nombreux baptisés eux-mêmes entendent bien recourir à l’Eglise, quand ils le font encore, où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent.


 Cette attitude est source de multiples pauvretés dans l’Eglise. Les responsables, laïcs ou clercs, les fidèles engagés peuvent échafauder des plans, déployer des stratégies, élaborer et mettre en œuvre des projets, ils ne gouvernent absolument pas la réception et l’usage qui en seront faits, y compris dans les rangs de l’Eglise elle-même !


Ce décalage est souvent source de souffrance pour celles et ceux qui n’ont pas encore pris acte de cette réalité qui dépasse de beaucoup, dans son ampleur et les formes qu’elle prend, les renoncements auxquels l’Eglise chez nous était prête à consentir. Ce mouvement a des racines profondes et anciennes qui sont mieux mises à jour aujourd’hui.
 

Dans ce contexte, nous avons pu assister à la projection du film de Xavier Beauvois, originaire de Pas-de-Calais, du film « Des hommes et des dieux. » Avec finesse, délicatesse, respect et admiration, cette œuvre cinématographique met en scène l’évolution personnelle et spirituelle des moines de Tibhirine, en Algérie.


Pris dans la tourmente des luttes fratricides d’un pays, ils décident, malgré les menaces et les craintes, de ne pas abandonner une population elle-même en proie à de multiples troubles, interrogations et assassinats. Ils savent que leur choix peut les conduire à la mort, ce qui se produira effectivement.


Il est impossible de ne pas discerner dans cette option commune l’acceptation d’une pauvreté radicale. A échelle humaine, elle est d’autant moins compréhensible qu’en terre musulmane, le témoignage rendu au Christ et à l’Evangile ne peut s’incarner que dans un coude-à-coude fraternel, le service désintéressé, le partage de la souffrance et le rayonnement silencieux d’un Amour plus fort que tout.


En des temps de la vie de l’Eglise que nous jugeons difficiles, ce film arrive à point nommé. Une poignée de Cisterciens dépouillés de toute puissance ont touché et marqué l’histoire d’un pays bien autrement que nous ne pourrions l’imaginer. Pour l’heure, Dieu seul sait quelle est et quelle sera la fécondité de leur apostolat. Une chose est sûre : la rencontre de ces religieux catholiques avec leurs frères et sœurs musulmans entre dans le plan mystérieux de l’Amour du Père qui, en son Fils Jésus-Christ, par l’Esprit Saint, rassemble le genre humain. Ces religieux n’ont pas eu prise sur les événements. Ils les ont accueillis et affrontés avec la pauvreté du Christ qui meurt sur la croix, mais ressuscite au matin de Pâques.


Il ne s’agit pas pour nous d’imiter. Cet itinéraire mérite, néanmoins, de nous inspirer et de nous éclairer en une période où l’Eglise est appelée à épouser plus qu’elle ne l’aurait imaginé, la pauvreté et la faiblesse ! Mieux que nous, l’Esprit Saint sait où se cachent les richesses.

 

+ Jean-Paul JAEGER