La vérité

Eglise d'Arras N°3

Nous n’étions pas habitués à entrer dans l’intimité d’un pape. Traditionnellement, les apparitions et les interventions du successeur de Pierre ne laissent aucune place à l’improvisation. Elles s’apparentent, de façon permanente, aux célébrations liturgiques.
 
Jean-PaulII-BenoitXVI_m Jean-PaulII-BenoitXVI_m               Jean-Paul II, au gré de ses voyages et de ses temps de repos s’autorisaient de modestes fantaisies, mais la casquette qu’il portait alors étaient de la même blancheur immaculée que celle de la soutane qu’il ne quittait sous aucun prétexte.
 
            Il est donc à la fois surprenant et agréable de bénéficier du fruit des entretiens entre Benoît XVI avec un journaliste. A ce égard, « Lumière du monde », constitue une première. Certes, nous sommes loin de l’impertinence dont usent et abusent ordinairement les interviewers qui se plaisent à jouer au chat et à la souris avec leurs interlocuteurs. Cependant aucune question controversée n’est éludée. Le pape les accueillent toutes, parfois même sur le ton du mea culpa !
            Dans un style plus sobre et plus direct que celui qu’il déploie avec un talent inégalé dans ses nombreuses prises de parole et ses textes, Benoît XVI s’invite dans les foyers, les conversations. Il emprunte les chemins que trace le monde ce temps. Il en accepte les méthodes de communication. Cette démarche prédispose le lecteur à se laisser entrainer avec intérêt et attention dans un dialogue riche et profond.
 
            Je voudrais  revenir en quelques lignes sur la passion, peut-être la hantise, qu’éprouve Benoît XVI à l’égard de la vérité. Il lui oppose le relativisme qui constitue une caractéristique de notre culture et, à coup sûr une pierre d’achoppement pour les personnes que cette dernière façonne.
 
            Le développement des sciences a paradoxalement rendu modestes les sages et les savants à l’égard de la vérité. Ils se sont aperçus progressivement qu’elle n’est pas un objet qu’il faut découvrir et soudain, puis définitivement, posséder avant de l’asséner aux ignorants qui sont bien incapables d’accéder à elle et ne peuvent que se soumettre au pouvoir de ceux qui savent.
            La longue quête de la vérité peut laisser croire que finalement il n’y en a pas ou qu’elle est inaccessible et qu’il est préférable de lui substituer des certitudes provisoires, soumises à l’appréciation de chacun. Bref l’homme redevient la mesure de toute chose.
 
Il est impossible d’agir sans un minimum d’accord sur quelques règles. La démocratie, l’opinion, le lobbying, la persuasion font et défont la loi. Chacun est invité à faire preuve de tolérance à l’égard de ce que pense ou fait le voisin pour peu qu’il respecte, tant soit peu, le champ de valeurs que cultive pour son propre compte son semblable.
 
Cette analyse sommaire permet de rendre compte de bien des comportements individuels et collectifs dans la société occidentale. Certes, ils sont corrigés et tempérés par l’appel à la générosité, à la solidarité, à la fraternité, mais ils s’imposent finalement comme principes ultimes. Nous sommes alors en plein relativisme.
 
Note vie en Eglise est elle-même  gagnée par ce courant. En son sein, nous recueillons des témoignages de foi merveilleux, des engagements qui sont signes du Christ qui livre sa vie par amour pour son père et pour la multitude. Les pasteurs et les fidèles qui exercent des responsabilités soulignent néanmoins une forme grandissante de consumérisme. L’Eglise y est perçue comme un fournisseur de prestations spirituelles que des demandeurs utilisent au gré des attentes et des besoins d’un système éphémère de « valeurs » sur lequel le requérant entend bien garder l’entière et totale maitrise.
 
Le Christ s’est présenté à ses apôtres et à l’humanité comme « Chemin, Vérité et Vie. [1]» Il n’est pas venu ajouter au magasin des valeurs quelques produits venus du ciel qui élargiraient en quelque sorte la largeur de l’étal devant lequel l’homme serait invité à regarder, choisir et se servir.
 
Avant de retourner à son Père et de remettre en quelque sorte sa mission entre les mains de ses apôtres, Jésus leur demande de faire des disciples. Cet attachement de tout l’être au Fils de Dieu ne peut pas se dissoudre dans une forme de service minimum du religieux dont il est devenu si facile de se contenter.
 
Il faut, bien évidemment, toujours respecter et accompagner avec douceur et patience les premiers pas, les humbles bouleversements et les lentes conversions, mais l’Eglise doit garder la préoccupation de la croissance et de la maturation. Elle ne peut pas renoncer à faire des disciples qui s’interdisent de jouer avec la vérité, mais se laisse saisir et conduire dans la communion avec Celui qui est la Vérité. 
 
Ainsi s’éclairent les propos de Benoît XVI : « Que la vérité ne parviendra pas à régner par la force, mais par son propre pouvoir, c’est le contenu central de l’Evangile selon Saint Jean. Jésus se présente devant Pilate comme la Vérité et comme témoin de la vérité. Il ne défend pas la vérité à l’aide de légions, mais i la rend visible par sa passion, et c’est aussi de cette façon qu’il la met en vigueur. [2]» La Vérité jaillit du mystère de l’Amour !
 
 
 
 
                                                                                  + Jean-Paul JAEGER


[1] Jean 14, 6.
[2] Benoît XVI – Lumière du monde – Bayard p. 77