Homélie de Mgr Jaeger

Messe Chrimale à l'Eglise Sainte Jeanne d'Arc de Le Touquet

Isaïe 61, 1-3a. 6a. 8b-9.
Apocalypse 1 , 5-8
Luc 4,16-21
 
 
               
Messe chrismale Le Touquet Messe chrismale Le Touquet   Certaines journées ont plus de valeur et de poids qu’un siècle. Notre Eglise vient de traverser de tels moments au cours des semaines écoulées. Le pape Benoît XVI a eu l’audace et le courage de reconnaître publiquement les limites de l’âge et de la santé. Elles ne lui permettaient plus d’exercer sa charge et il s’est retiré. Déjouant les pronostics et les calculs, les cardinaux ont innové et élu, au terme d’un court conclave, un pape originaire d’Amérique latine. Les premiers mots, faits et gestes du nouveau successeur de Pierre ont affiché une nette volonté de mettre en œuvre un pontificat humble,  dépouillé, proche.
                De façon impressionnante, l’Eglise qui fait l’objet, à tort ou à raison, de multiples critiques vient de montrer qu’elle garde intacte sa capacité d’étonner.  Les uns diront qu’elle avait accumulé un tel retard qu’il n’y a pas à se glorifier de tels bouleversements. D’autres verront dans ces originalités les signes du puissant travail de l’Esprit Saint qui ne cesse de donner vie et sens à l’Eglise de Jésus-Christ.
                Il n’est pas interdit de passer les événements au crible de nos jugements humains. Dieu utilise  les médiations de la création et des créatures pour faire connaître sa volonté et ses projets. Il nous faut, tout aussi sûrement, nous laisser  entraîner au cœur d’un mystère qu’il nous est impossible d’enfermer et de manipuler au gré de nos capacités, de nos désirs et de nos attentes.
                Les commentateurs et bon nombre de fidèles, voire de pasteurs et d’évêques, n’ont pas tardé à rédiger à l’intention du pape François une feuille de route. Celle-ci prend  l’allure  d’un catalogue de mesures propres – ou supposées telles - à rendre compatibles l’Eglise avec les sociétés contemporaines et leurs cultures.
                J’ai encore dans les oreilles la déception d’un journaliste surpris de ne pas avoir entendu lors de la messe d’inauguration du pontificat l’annonce d’un remaniement de la curie ou de la disparition de la banque du Vatican. La signification de l’Eucharistie et d’une homélie échappait de toute évidence à ce professionnel accouru pour mettre en ligne les premières mesures d’un gouvernant sommé de faire connaître son programme et de le mettre sans retard en application.
                L’attitude ne diffère pas fondamentalement de celle de l’assistance  rassemblée naguère dans la synagogue de Nazareth. Jésus, enfant du pays, capte déjà l’attention. « Tous, nous dit Saint Luc, ont les yeux fixés sur lui », un peu comme les avaient, le 13 mars dernier,  les curieux et les fidèles sur le visage de l’homme en blanc qui apparaissait au balcon de la basilique Saint Pierre.
                Comble de plaisir, Jésus ouvre des perspectives merveilleuses. Il vient de rappeler la mission du Messie : «  Porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » Le Christ va plus loin. Il ne propose pas un programme, il proclame  sa réalisation : « Cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. » Ce sont probablement de tels mots qu’attendaient, le 19 mars dernier, le journaliste que j’évoquais !
                Nous ne pouvons pas oublier que la mission n’appartient pas à un pape, pas plus qu’elle ne dépend de l’Eglise Elle-même. Le Christ qui inaugure son ministère public comme le pape François ouvrait le sien vient servir et accomplir un dessein qui n’est pas le sien. Ce dernier  a été forgé par Dieu Lui-même et exprimé par un prophète.
                Tout au long de cette semaine sainte, nous avons sous les yeux le serviteur qui s’abaisse jusqu’à la mort de la croix par fidélité au projet d’Amour de son Père. Les Evangiles affirment que Jésus a effectivement annoncé une Bonne Nouvelle aux pauvres. Il leur a, de multiples fois, rendu la dignité, la reconnaissance, la première place. Il a ouvert les yeux des aveugles. Il a fait sauter les verrous des prisons intérieures. Il a dénoncé les oppressions qui ne craignent pas de s’appuyer sur Dieu ou sur la loi.
                Les bienfaits généreusement accordés par le Seigneur n’ont pourtant pas épargné la mort au Fils de Dieu ! Ils n’ont pas suffi à guérir le cœur de l’homme. Même comblé, l’être humain a besoin du salut. Nous lisons volontiers dans la prophétie d’Isaïe le programme que Jésus vient réaliser. Ses propos eux-mêmes le laissent entendre. Le Christ devra, cependant, aller plus loin pour renouveler l’homme. Seul le don de sa vie par amour, sera la source d’une libération fondamentale et totale. Pour accueillir ce salut, le disciple emprunte cet unique chemin, celui d’un amour qui le fait passer par la mort pour entrer dans la vie.
                En méditant cette semaine les récits de la passion, nous redécouvrirons les raisons objectives qui ont conduit des autorités en place à se débarrasser de Jésus de Nazareth. Ces mêmes évangiles nous appellent à dépasser les contingences de l’histoire et à contempler, accueillir et imiter le don d’une vie, celle du Christ. Seul ce don, offrande d’un amour qui a renoncé à tout, peut vaincre la mort, notre mort et offrir la Vie.
                C’est dans cette foi que le pape François va nous confirmer. Ayons la prudence et la sagesse de ne pas l’enfermer dans ce que nous pensons être bon et bien pour notre monde et pour l’Eglise. Un pape issu d’une culture qui ne nous est pas familière pourra certainement aider les Catholiques de la vieille Europe à affiner leur regard sur ses cultures, ses forces, ses limites et ses aspirations. Si nous sommes déboussolés par l’ampleur, la nature, la diversité des mutations actuelles, le pape venu de loin partagera avec nous une autre perception pour nous apprendre  à reconnaître le bon grain de l’ivraie.
                Le pape François renouvellera certainement sur notre riche continent le désir d’une authentique pauvreté. Elle donne seule à nos gestes de justice, de partage et de paix, leur vérité et leur force. La pauvreté évangélique est celle du Christ qui se fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. Cette pauvreté ne s’invente pas. Elle est un don, le don d’un Dieu qui, dans sa folie, accepte de mourir pour dire, hors de la portée de tous les mots, son Amour à tout être humain. L’Esprit Saint ne nous a pas envoyé un chantre et un technicien de la pauvreté. Il nous invite à accueillir un signe, un témoin, un instrument du Fils de Dieu pauvre.
                Nous allons bénir au cours de cette messe l’huile des catéchumènes, l’huile des malades et consacrer le Saint Chrême. Ils seront utilisés dans la célébration des sacrements. Tous les sacrements nous unissent intimement au Christ qui passe par la mort et ouvre les portes de la vie. Celles et ceux qui les reçoivent et les célèbrent sont enracinés en Celui qui libère totalement de tous les liens, les emprisonnements, les aveuglements, les surdités. Nous devenons ses messagers.
                Les sacrements nous rendent pauvres et riches, faibles et forts. Ils ne nous dispensent pas, bien sûr, de nos engagements. Selon le dessein de Dieu, nous devons conjuguer nos efforts au sein de la famille humaine pour travailler à l’avènement d’un monde qui fait briller déjà les lueurs de la joie et du bonheur. Dieu les veut pour chacun de ses enfants. Nous sommes faibles et pauvres parce que nos désirs les plus hauts et les plus nobles sont toujours rattrapés par la revendication de notre moi et de ses impératifs égoïstes. Nous nous sentons démunis à chaque fois que nous nous efforçons de renoncer à être l’unique centre du monde et de l’humanité.
                Que me reste-t-il, qui suis-je si je m’abandonne à Dieu pour mes frères ? La question est redoutable. La réponse l’est encore plus. Je ne suis plus qu’un peu d’amour qui se nourrit de Celui du Christ et c’est alors que se révèle la puissance, la force, la richesse que je puise en Dieu.
                Dans notre diocèse, comme bien d’autres en France, la pauvreté est devenue un fait plus qu’un choix. Le tissu de nos communautés paroissiales, le nombre des militants de nos mouvements, les demandes de sacrements, les moyens matériels ont connu de fortes érosions. Nous déplorons souvent dans notre Eglise, qu’au regard des critères hérités de périodes plus fastes, une faiblesse se heurte à une faiblesse égale ou à une faiblesse plus grande encore.
                Nous constatons, cependant, qu’une pauvreté assumée et vécue comme une grâce, une forme d’identité, suscite de nouveaux élans. Une Eglise qui ne veut connaître que Jésus et Jésus crucifié porte immédiatement des fruits de bonheur, de joie, d’espérance et de paix. Lorsqu’est partagé le trésor de la vie fraternelle, des hommes, des femmes, des jeunes se rassemblent et brillent de la lumière du Christ vainqueur.
                Des enfants qui, par la catéchèse, font l’expérience de la rencontre avec le Christ deviennent les aînés dans la foi de leurs propres parents. Des fiancés découvrent le visage aimant du Seigneur dans la famille de leur futur conjoint et demandent à se préparer aux sacrements de l’initiation chrétienne. Les maisons d’Evangile font retentir dans les cœurs la Bonne Nouvelle tellement recherchée et pourtant si peu connue. Des groupes de prière, d’adoration, d’approfondissement de la foi, persévèrent, naissent ou renaissent. Avec une incroyable ténacité, des bénévoles font route avec les plus fragiles, les plus démunis, les plus isolés.  Le ministère diaconal se développe. Des jeunes envisagent, malgré les vents contraires, de répondre à un éventuel appel au ministère presbytéral, à la consécration religieuse.
                Dans ces situations comme en tant d’autres, c’est invariablement à des cœurs pauvres, humbles et simples que Dieu s’adresse. Il y déverse la saveur et les trésors de son Amour. Il les prépare à en allumer le feu et à entretenir le foyer dans un monde assoiffé d’amour.
                Unis au pape François, à leur évêque, nos frères prêtres, ministres avec leurs frères diacres des sacrements de la foi, vont dans quelques instants renouveler l’engagement de leur ordination. Avec eux, c’est toute l’Eglise dans notre diocèse qui, en cette année de la foi,  redit sa fidélité à son Seigneur et s’engage à sa suite sur le chemin de sa Pâques, de sa mort et de sa résurrection. Elle est soutenue par le radieux enseignement du concile Vatican II. Elle s’engage dans la démarche Diaconia 2013. Cette Eglise croit que si Dieu la veut et la fait pauvre, elle sera toujours le signe et l’instrument d’un amour plus fort que tout, plus fort que la mort elle-même. Allons le dire et le montrer à tous nos frères !
 
+ Jean-Paul JAEGER