Espérances
Quand tout va mal, se laisser faire... il veille sur nous !
Il m'arrive parfois d'être étonnamment calme, quand tout s'agite autour de moi. Ce n'est pas très fréquent. Cela ne s'explique pas en général.
« If you can keep your head when all about you are losing theirs and blaming it on you... » (Rudyard Kipling, « To be a man »)
Ce célèbre texte (« Pour être un homme ») n'est plus guère à la mode. On a aussi soupçonné son auteur d'être assez méprisant, voire raciste... En français, ce passage n' a pas été traduit entièrement : « si tu sais conserver ton courage et ta tête quand tous les autres la perdront » Il aurait fallu rajouter, « et en plus t'en feront le reproche... »
Il m'arrive même, c'est encore plus bizarre, de me sentir bien alors que je devrais être dans l'angoisse. On m'apprend une mauvaise nouvelle, on m'insulte, des événements douloureux me reviennent en mémoire... et pourtant je ne réagis pas. Au contraire, j'ai l'impression d'être fort comme un roc, indifférent. Comme si j'étais une autre personne, regardant la première de haut, avec dédain.
Mieux encore : parfois l'angoisse est bien là, tenace, sournoise. Et soudain, Dieu sait comment, elle disparaît. Pour faire place à une grande douceur. Comme si quelqu'un d'autre s'était introduit en moi, sans rien dire, pour s'y installer. Quelqu'un de bien veillant, d'amoureux. Ce n'est pas une idée, ce n'est pas raisonnable – la raison n'a rien à voir. Mais bien un être physique. Sinon il ne me ferait pas autant de bien.
Maintenant je suis tourmenté, ça tourne en rond dans ma tête, je suis blessé à mort – on m'a blessé, humilié. Alors je me laisse faire, de toute façon je ne peux rien faire d'autre. Je ne me bagarre même plus.
Je veux bien, si ça ne dure pas trop longtemps.
Je me laisse faire, alors ça ne dure pas. Maintenant je connais le système. Je sais bien que quelqu'un viendra très vite à mon secours. Jusqu'à présent ça a toujours marché. Il y a toujours eu une bonne âme – invisible, inaudible – venue me rattraper aux dernières branches de l'abre d'où je tombais à pic.
Alors je peux bien me laisser aller, sans résister, à un moment de trouble. Je n'ai plus tellement peur, maintenant. Cela fait trop longtemps.
C'est peut-être l'Espérance. Une sorte d'aveuglement. On est dans un trou noir, sans porte de sortie. Accepter ce passage par le désespoir, c'est déjà espérer, croire en l'autre. Celui qui sans relâche, à chaque instant, veille sur nous. Il est là tout au fond de nous, attendant son heure.
« ... Dans ce laborieux monde tien, tumultueux de labeurs et de luttes, parmi l'agitation des foules, me tiendrai-je devant toi face à face ?... » (Tagore, L'Offrande Lyrique, 76)
Parmi l' agitation des foules, et aussi la mienne, quand tout est en désordre au fond de moi : saurai-je me présenter devant toi, m'offrir à toi, Seigneur ?
Pour que tu viennes à mon secours, en prenant ma place ?
Jérôme van Langermeersch