L'imitation de Jésus Christ
« Vous seul savez, Seigneur, ce qui est utile pour moi ..."
L'IMITATION DE JESUS-CHRIST
« Oh ! Combien je souffre en moi lorsque, méditant les choses du ciel, celles de la terre viennent en foule se présenter à ma pensée durant la prière ! Mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi... » (livre III, chapitre 48)
On ne connaît pas avec certitude l'auteur de l'Imitation. La plus ancienne traduction en français date de 1621. Beaucoup d'autres ont suivi, dans de nombreuses langues, certaines très éloignées du texte original.
Je relis ce livre depuis de nombreuses années. Et à chaque fois il apparaît comme inconnu. C'est bizarre.
Tantôt il me berce, me rassure. « Comme il est doux de vous entendre, Seigneur... mon unique espérance, ma seule consolation, c'est de me réfugier vers vous... et d'attendre avec patience... de recevoir votre semence »
Acte d'amour. Abandon total.
Parfois au contraire, je suis révolté, mal à l'aise. L'auteur nous enjoint constamment de nous humilier profondément, de choisir la dernière place, de nous réjouir des succès des autres, même s'ils sont injustes.
De façon très étrange, il m'arrive de me complaire dans cet autre abandon, à l'envers. D'aimer mes souffrances – au moins les accepter, un temps – sachant qu'elles seront brûlées, anéanties par une force inouïe. Celle d'un Dieu amoureux.
Je lis plus lentement ces passages, plus difficiles à comprendre.
L'Imitation a suscité de nombreuses polémiques en raison de ces excès. Elle est plutôt tombée dans l'oubli aujourd'hui. Mais on a pu dire, lorsqu'elle déchaînait les passions contradictoires, que c'était « le plus beau texte sorti de la main des hommes, puisque l'Evangile n'en vient pas » (Fontenelle). Elle a permis à maintes personnes de sortir de la dépression et de l'angoisse. Et même de sauver des vies...
Peut-être que ce n'est pas le bon titre. Jésus ne s'est pas laissé humilier – sauf à la fin, en se laissant conduire comme un agneau à l'abattoir... Durant sa vie publique il a mené les foules (dont il se méfiait parfois). Il était enseignant, guérisseur, et admiré.
Peu importe. Curieusement, je me sens parfois en paix même en lisant les passages scandaleux ou diaboliques. Quand on m'a jeté à terre, quand je suis dans la crainte, ces sentences m'accompagnent. Ainsi je ne suis pas seul dans ma misère.
L'auteur nous recommande souvent de mourir à nous-mêmes, de nous en extirper. « Ainsi vous vivrez pour moi éternellement, dit Jésus, et vos pensées vaines s'évanouiront (Livre III, chapitre 37)
Ailleurs au contraire, il nous demande de « rentrer en nous-mêmes », loin des bruits du monde, pour y découvrir notre propre misère, notre abjection. Pour les offrir à Jésus, qui les prendra en charge, comme il l'a fait sur la Croix.
Au fond le résultat est le même.
Et au chapitre 38, tout s'éclaire : « efforcez-vous de demeurer libres intérieurement … qu'ainsi vos yeux jettent à peine un regard sur ce qui passe, et ne se détachent jamais de ce qui durera toujours »
C'est ce « libre intérieurement » qui importe, par dessus tout – vicissitudes, tracas, errances.
Je peux être à l'extérieur dans la tourmente, sans assise, cela n'a aucune importance puisqu'au fond de moi, en secret, je suis sûr de moi. Parce qu'un autre à ma place, et qui l'occupe, est là qui m'attend sans se lasser.
Il attend. Lui sait ce qu'il fait, il est sûr de lui.
On dit souvent que notre société n'a plus de repères , surtout les plus jeunes. Au fond, tant mieux. Ces repères-là, perdus, n'étaient sans doute pas les bons. Alors il faudrait en chercher de nouveaux. Plus adaptés.
Mais est-ce si important ?
L'Imitation de Jésus-Christ nous ramène sans cesse à l'essentiel. Après nous avoir fait errer dans les dédales de nos pensées douteuses, nos frayeurs, nos déceptions.
Finalement nos raisonnements, nos sentiments, que valent-ils ?
Ce n'est pas cela qui doit nous guider.
« Vous seul savez, Seigneur, ce qui est utile pour moi, et combien la tribulation sert à consumer la rouille des vices (…) Ne permettez pas que je forme mes propres sentiments, mais qu'en toute chose je cherche à faire votre volonté » (idem, chapitre 50)
Jérôme van Langermeersch, le 28/09/2022