Recueillement
Se recueillir, c'est aussi accueillir
Il est rec ommandé de souvent se recueillir. Il ne faut pas en avoir peur.
Bien sûr cela ne présage rien de bon, s'il s'agit seulement de se replier sur soi, de fermer la porte aux bruits du monde.
Par contre ça vaut le coup, si je trouve à l'intérieur de moi quelqu'un qui n'attendait que cela, cette rencontre.
Cela devient intéressant si j'en arrive à oublier, à renoncer. Ne plus être moi, mais celui qui vient pour me remplacer. Là ça change tout.
Si je m'enferme pour me retrouver moi-même, cela ne sert à rien. Car mes pensées m'assaillent, et je suis mon propre interlocuteur – et cela peut être encore pire.
C'est le soir. La journée a été bien remplie, rencontres joyeuses, travail accompli, belles surprises. Comme mes missions sont très variées, dans de multiples endroits, je vois beaucoup de monde chaque jour, et chaque jour de nouvelles personnes. Mon métier de médecin fait que j'ai beaucoup d'occasions d'être satisfait – quand j'ai pu soulager tant soi peu un malade, quand une personne, même très handicapée, a montré des capacités nouvelles, étonnantes. Elle semblait être recluse, renfermée – peut-être recueillie – et soudain elle montre son visage, une expression, une mimique, complètement inattendues venant d'elle. Un vrai miracle, très fréquent en fait.
Cet homme, qui vit à la rue depuis des années, victime d'un accident vasculaire cérébral. Il est aphasique, il ne peut plus parler. Seulement manifester une grande angoisse. Et pourtant depuis quelque temps il arrive à prononcer un mot ou deux, et il esquisse enfin un sourire.
Après une telle journée je devrais déborder de joie, rendre grâce.
Je devrais recueillir de tels cadeaux, les prendre dans mes mains, pour les offrir.
Tout offrir.
Et ce soir-là c'est l'inverse qui se produit, alors qu'il n'y a aucune raison. Le vague à l'âme. L'impression que rien ne s'est passé, le vide. Je n'ose même pas imaginer que demain il va falloir tout recommencer – et que peut-être ce ne sera pas si bien.
Alors je m'allonge (en vrai ou symboliquement), je vais essayer de m'endormir à tout cela, ne plus y penser. Et c'est pire encore. Je suis tenté par l'ennui, l'inquiétude – sans savoir d'où cela vient, c'est ça le plus grave.
Et puis des images, des mots apparaissent. Je ne sais pas d'où ils viennent :
Ne crains pas, c'est moi. Tu n'as aucune raison de t'en faire.
Va au besoin des chemins de desespoir, jusqu'à ce que la douleur te guérisse (1)
Le recueillement, ce n'est pas la passivité, ni la solitude. Au contraire, il peut s'y passer beaucoup de choses. Tout un monde vit, là. Je m'oublie, je laisse aller mes tourments du moment, et je laisse toute la place à des invités. Ils occupent le terrain.
Se recueillir, c'est aussi accueillir.
Et pour bien accueillir un hôte, je dois lui préparer sa place. Il ne se sentira pas bien s'il voit que tout est encombré – projets, souvenirs, méditations incertaines et tournant sur elles-mêmes. Je dois mettre à l'honneur cette personne, qui me fait l'honneur de sa visite. Alors je m'efface devant elle. Car j'attends d'elle qu'elle me parle, me console, me fasse du bien. J'attends beaucoup d'elle. Alors je dois mettre toutes les chances de mon côté.
C'est ainsi qu'elle me livrera ses plus grands secrets. Si je m'en montre digne.
(1) Huub Oosterhuis, QUELQU'UN PARMI NOUS, « Vocation »
Jérôme van Langermeersch