Pardonne-nous nos offenses
Le pardon est un des actes les plus importants pour un chrétien. Un peu sa marque de fabrique.
Le pardon est un des actes les plus importants pour un chrétien. Un peu sa marque de fabrique. C'est aussi un des plus difficiles – surtout quand il s'agit d'un acte abominable, d'une violence impardonnable.
Jésus nous demande d'aimer nos ennemis, de tendre la joue gauche, de pardonner « jusqu'à 77 fois ». Il choque les gens de son temps, qui appliquent la loi du Talion – œil pour œil, dent pour dent. Cette loi était elle-même un progrès, elle visait à limiter les excès de la vengeance (Exode 21, 23).
On a reproché à l'Eglise catholique d'avoir protégé les prêtres pédophiles, au nom du pardon notamment. Elle serait gangrenée, comme paralysée par cette incitation sournoise à pardonner les crimes. Nous n'en sommes plus là espérons-le, puisque les auteurs relèvent maintenant de la justice pénale et non plus du droit canon, interne à l'institution – mais ce n'est pas si simple et beaucoup de chemin reste encore à parcourir.
« Pardonne-nous nos offenses... Dimitte nobis debita nostra... » Une offense c'est une insulte, un affront. Le texte latin parle de remise de dettes d'argent. Nous sommes très loin des crimes, des tortures, qu'il n'est pas question ici de pardonner – mais c'est à la victime d'en décider, évidemment.
Il paraît aussi qu'on ne peut pardonner à quelqu'un que s'il en fait la demande. Sinon ça va, on est tranquille.
En fait, reconnaissons-le, nous sommes très mal à l'aise avec tout ça. Le mieux serait de ne pas en faire un dogme, et de laisser chacun choisir, en conscience.
Il m'est arrivé de pardonner à des personnes qui m'ont insulté, humilié, trahi.
Mais je n'avais pas le sentiment d'en être à l'origine.
C'est souvent soudain. Comme si quelqu'un d'autre décidait d'un seul coup de me libérer d'un poids, me soulager.
On devrait plutôt dire : « Père, aide-moi à pardonner. Tout seul je ne sais pas faire. Et si ça ne suffit pas, fais-le à ma place. Je te laisse carte blanche »
Pardonner c'est avant tout oublier. C'est réussi quand la personne ou l'acte ne m'obsèdent plus, quand ils ont disparu de ma mémoire. Finalement c'est une affaire très intime – et l'agresseur ne sait pas toujours qu'il a été pardonné.
Peut-être qu'ainsi, c'est d'abord à moi que je fais du bien. Je me sens mieux. Je suis devenu un autre. Je me moque bien de ce qui s'est passé, je regarde déjà ailleurs.
Je suis au-dessus de ça.
Quelquefois il faut d'abord étouffer l'affaire. Et seulement elle. La serrer très fort dans ses mains – on peut faire le geste – pour qu'elle ne puisse plus respirer. La tuer. Je me concentre, je regarde chaque détail, chaque séquence.
Là il ne faut rien oublier, au contraire. Provisoirement.
Tout compte. Tout est important. Je me remémore toutes les scènes, leurs enchaînements – les insultes, les menaces, les répliques, les non-dits...
Il peut arriver alors, au bout de la haine et du remords, que tout s'efface. Comme par enchantement.
Vient cette fois le temps de l'oubli.
Et c'est définitif.
Jérôme van Langermeersch, 20/10/18