Ambivalences

AMBIVALENCES

 

On dit « j'ai la foi », comme si on la possédait . Comme « j'ai le temps », « j'ai tout le temps devant moi ». Comme si on pouvait s'approprier le temps – alors que nous en sommes plutôt esclaves, en général.

J'aime mieux : « je suis croyant ». Cela paraît moins égoïste. Là je ne détiens pas quelque chose, mais je m'engage. C'est un acte de foi.

Mais on tourne en rond.

Je ne suis pas croyant tout le temps, définitivement. Ce serait ridicule. Orgueilleux. Il arrive à beaucoup de « perdre la foi », ce qui signifie encore qu'avant ils en étaient propriétaires.

 

En fait je n'aime pas trop discuter de tout ça, je crois surtout... que ça ne mène à rien.

 

J'aime bien cette expression croire sans y croire. Comme j'aime, un instant, me sentir très fort, génial – et l'instant suivant abject, au fond du trou. Ainsi l'une et l'autre situations sont vraies – et donc la première.

Toute chose devrait être validée par son contraire.

Si je crois en Dieu, je suis en droit de l'affirmer, haut et fort, parce qu'en même temps je n'y crois pas. Puisque c'est incroyable. Ainsi l'un et l'autre sont véridiques.

Je suis conforté dans ma foi parce qu'en même temps je doute.

Il y a non pas ambiguïté, mais ambivalence.

Ambigu, ça veut dire flou, flottant, incertain. On est dans le brouillard.

Ambivalent, c'est « deux valences », deux valeurs qui se côtoient, elles sont bien ensemble, même si elles sont opposées.

Tout et son contraire. C'est bien, ça : tout et son contraire.

 

Mais je ne suis toujours pas très avancé.

En fait je n'aime pas croire, ni être sûr. Cela reste dans l'idée, et très fragile.

Ce que j'aime, c'est sentir, au fond de moi comme à l'entour, qu'un autre que moi croit à ma place. Je me repose sur lui, je n'ai pas à m'en faire. C'est rassurant, et confortable. La solution de facilité.

 

Sainte Thérèse d'Avila est surtout connue pour ses moments d'extase, ses visions. Et pourtant elle-même s'en méfiait beaucoup. Elle n'y croyait pas vraiment. En tout cas cela ne l'aidait pas à croire. Car cela restait extérieur à elle. Cela pouvait très bien être une illusion.

« Si l'âme ne voit pas en elle cette grande force, accrue par la vision qu'elle a eue, elle ne doit pas la tenir pour sûre » (Le Livre de la Vie, ch. 25)

 

La foi c'est une impression de certitude. J'ai le sentiment d'être sûr de moi.

Je suis sûr de moi, sans l'être.

 

Ce dont je suis sûr par contre, c'est cette sensation de bien-être quand tout s'écroule autour de moi, quand je suis désespéré.

Secrètement je me sens fort, alors que j'ai toutes raisons d'avoir peur, d'être dans l'angoisse.

Cette sensation-là, personne ne peut me la ravir, ni me la contester.

Elle m'appartient bien, elle.

 

« Laisse seulement subsister ce peu de moi par quoi je puisse te nommer mon tout

Laisse seulement subsister ce peu de ma volonté par quoi je puisse te sentir de tous côtés »

(Tagore, L'offrande lyrique, 34)

 

En fait, je ne sais pas si je suis croyant, et au fond cela m'est égal, car je ne le saurai jamais vraiment – et c'est très bien ainsi.

Mais je suis sûr de ma foi, quand je tiens bon, ne serait-ce qu'un instant, cette petite attache par quoi je suis relié à ta volonté, et par où ton dessein se transmet dans ma vie – l'attache de ton amour (Tagore, idem)

Jérôme van Langermeersch, le 12/05/2018