Autismes

autisme... silence, mystère

joan miro joan miro  On a tout dit sur l'autisme. On se déchire sur ses origines, le sens à donner à ces comportements étranges, l'absence de regard, souvent de langage. Ces personnes refusent-elles de communiquer, ou sont-elles dans l'incapacité de le faire ?

Qu'ont-elles à nous dire, dans leur silence ?

Autisme vient du grec autos, soi-même. Comme autocentré, autonome, automatique,...

En anglais on dit self, qui a donné selfish, égoïste.

Alors, l'autiste serait avant tout un égoïste ? Et pourquoi n'en aurait-il pas le droit, comme nous ?

 

En 1984 pour la première fois, j'ai regardé l'absence de regard d'un petit garçon de 4 ans. C'était dans une école maternelle où j'allais souvent comme pédiatre de PMI (Protection Maternelle et Infantile). On m'avait demandé de le rencontrer afin d'établir un diagnostic pour un retard de langage. En un éclair j'ai compris que c'était beaucoup plus grave. Il ne s'agissait pas que de cela.

C'était un autisme, dans sa forme la plus sévère.

Nous avons longtemps accompagné cet enfant et ses parents – en grande détresse. Cela a été pour moi le départ d'un long chemin, que je parcours encore. J'ai suivi d'innombrables enfants et adultes autistes, leurs familles, leurs éducateurs, dans les écoles ou les institutions spécialisées.

Et plus j'avance dans cette quête, moins je sais ce qu'est l'autisme.

Moins j'ai envie de vraiment le savoir.

La seule question qui se pose est : souffre-t-il ? Certains semblent perpétuellement dans l'angoisse, submergés, envahis (on parle de « troubles envahissants du développement »)

D'autres paraissent toujours dans la sérénité, simplement indifférents au monde qui les entoure.

 

Peut-être se réfugient-ils dans leur monde (est-ce vraiment un refuge ?), parce que dans le nôtre nous ne savons pas communiquer. Nos regards à nous sont parfois fuyants, nos paroles ne sont pas nos pensées. Peut-être rêvaient-ils d'un monde où se regarder aurait tout de suite un sens – sans avoir à prononcer un mot. Un monde où l'écoute de l'autre serait une vraie écoute, une acceptation immédiate. Je t'écoute, je te reçois, je te deviens.

Alors ils ne regardent pas, ils n'écoutent pas ce monde trop décevant, ou qui fait peur.

 

Mais nous ne savons rien de tout cela. Nous devrions seulement rester très humbles devant ce mystère. Et toujours nous demander si nous sommes à la hauteur de ces leçons qu'ils nous donnent – même si ce ne sont que des suppositions. Et capables de soulager leurs souffrances.

 

autisme 2 autisme 2  On observe souvent chez eux des gestes incessants, répétés à l'infini. Ce sont les stéréotypies – en anglais sameness : monotonie, répétition. Ils sautillent sans arrêt sur la pointe des pieds, ils se bouchent les oreilles alors qu'il n'y a aucun bruit. Ils touchent, caressent, mutilent leur propre corps... comme si c'était celui de quelqu'un d'autre qu'ils cherchaient à comprendre. Ou simplement pour se maintenir en vie par des sensations permanentes. Etre sûrs d'exister.

Ou peut-être parce qu'ils ne connaissent rien d'autre.

Je me prends souvent, alors que je ne suis plus en leur présence, à imiter les gestes et les attitudes de l'un ou l'autre. Cela m'avait un peu effrayé la première fois, en 1984...

Je connais un adulte, mutique, qui frappe constamment ses mains l'une contre l'autre, comme pour applaudir – alors qu'il n'y a personne à applaudir, ou personne tout court. Il a de grands yeux bleus toujours dirigés vers le haut, vers le ciel bleu – il ne paraît jamais malheureux.

Il m'arrive parfois d'imiter spontanément, sans y réfléchir, ce geste très simple. Lorsque je suis seul, un peu triste. Alors je pense à lui – et bizarrement cela m'apaise.

Au fil du temps les spécialistes reformulent, démantèlent, réinventent les façons de définir l'autisme. On parle maintenant de « troubles du spectre autistique ». Comme ça c'est plus clair. Et plus trouble. Jusqu'à ce que ce terme soit abandonné, pour un autre.

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Peut-être serait-il plus sage de ne plus chercher.

Et de nous contenter de les apaiser quand nous pouvons, et nous avec.

Au fond nous sommes tous dans la même galère.

 

 

Jérôme van Langermeersch