Devenir un enfant cela s'apprend

Quand je m'avance vers toi, Seigneur, je suis comme un enfant.

benedict Vanier benedict Vanier  Au soir du 31 juillet 1974, j'ai passé un moment avec le Père Benedict Vanier au monastère cistercien de Oka, au Québec. Benedict était le frère de Jean Vanier. Cette rencontre a été pour moi, comme bien d'autres, fondatrice. J'avais noté dans mon petit carnet de voyage : « pas besoin de longtemps pour évaluer son degré de sainteté » Il ressemblait beaucoup à Jean – j'ai retrouvé le même regard paisible et malicieux, plus habité encore par la paix de Dieu. Transparent.

 

Je l'ai retrouvé au cours de l'été 2004, accompagné cette fois de ma famille. Il m'a dit dans un grand sourire : « j'espère que tu ne vas pas encore attendre 30 ans pour venir me revoir ! »

Mon fils Jérémie, alors âgé de 6 ans, m'a dit ensuite, en parlant de Benedict : « Mais cet homme, là, s'il est si proche de Dieu, c'est qu'il va bientôt mourir ? »

Il s'est éteint à Oka en mai 2014, après y avoir passé 70 ans de vie austère et joyeuse, et influencé dans le plus grand secret de nombreuses personnes.

 

J'ai trouvé la réflexion de Jérémie très adulte. Ce n'était pas celle d'un enfant. Il voyait même plus loin que les adultes, dont la logique et les multiples barrières qu'ils se fabriquent les empêchent parfois de rêver, de s'élever.

Pour ma part je ne me suis jamais aussi senti adulte que lorsque j'étais enfant. Je me souviens du jour de mes 4 ans, courant dans la rue devant notre maison, et m'écriant « j'ai 4 ans, j'ai 4 ans, qu'est-ce que je suis grand ! » Jamais à aucun autre de mes anniversaires suivants, une telle idée ne m'est venue à l'esprit.

Et j'ai plutôt l'impression que plus j'avance en âge, et plus je deviens un enfant. Cet enfant sérieux et curieux de tout que j'étais alors.

 

« (…) De nouveau quelque chose me parla sans voix : Il te faut encore devenir enfant et sans honte. La fierté de ta jeunesse est encore sur toi, c'est tard que tu es devenu jeune. Mais celui qui veut devenir un enfant, celui-là doit encore surmonter sa jeunesse »

[F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (2ème partie, l'heure la plus silencieuse)].

 

Devenir un enfant cela s'apprend. Tous les jours. Cela devrait être une exigence, une attention de chaque instant.

Lorsque tu es tenté par le jugement, ou la déception, le découragement, dis-toi vite : « Fais attention. Arrête ce manège, c'est inutile et sans joie. ».

Et pose-toi cette question : « que ferait à ma place un enfant ? »

Lui aussi est capable, malheureusement, de porter des jugements sur les autres. Il peut tout autant que nous, et plus, s'ennuyer, se morfondre, être triste. Il est encore plus que nous sensible aux moqueries, aux insultes. Il peut lui aussi perdre courage.

Mais ce qui fait vraiment la différence, je crois, c'est que l'enfant sait mieux que nous demander à être consolé. Quand il a fait une faute (ou quand il pense en avoir fait une), il sait mieux que nous demander à être pardonné. Quand il ne sait pas quoi faire, il sait demander de l'aide.

Il a besoin d'être guidé, enseigné. Il veut qu'on lui montre quelle voie est la meilleure – pour lui, pour les autres.

Et à qui demander tout cela ? Aux adultes. A nous d'être à leur écoute, à l'affût de leur moindre demande, et d'être vraiment à la hauteur. A hauteur d'adulte.

 

Finalement nous sommes tous dans la même galère. Car ce besoin d'être consolé, et aussi de venir en aide, nous l'avons tous. Enfants comme adultes.

Dans la prière comme dans nos relations, c'est la même chose.

Quand je m'avance vers toi, Seigneur, je suis comme un enfant. J'ai besoin de ton secours et de ta protection. Je suis tellement pauvre.

Près de toi j'ai envie de mourir. A moi-même.

J.van Langermeersch, 15/09/2019