L'homme n'est lui même qu'en présence de Dieu
"Trouver dans ma vie Ta présence, Choisir avec Toi la confiance"
Il y a une trentaine d'années, j'assistais à Pierrelaye, alors le siège du Mouvement International ATD QUART MONDE, à une messe célébrée par le Père Joseph Wrésinski, son fondateur. C'était une petite église. Une messe presque dans l'intimité. Tout à coup, le père Joseph a crié d'une voix très forte : "LE GRAND MAL, C'EST LE MAL DE TON ABSENCE".
Il s'adressait à Dieu en direct, en public, mais c'était comme s'il n'y avait pas de public. Cela venait du coeur, des tripes. Un acte de foi soudain, une certitude. La comprréhension de tous nos maux. Il y avait de la colère aussi, contre toutes les autres inepties proférées parfois lorsque nous essayons de prier, de trouver des remèdes à nos souffrances, à nos faiblesses.
Le seul mal contre lequel nous devons lutter, c'est ressentir l'absence de notre Seigneur. Si nous réussissons cette lutte, tout va bien, tout devient possible.
J'ai plusieurs fois rencontré le père Joseph, il était capable de grands élans d'amour, comme de révolte. Ça va souvent ensemble. En général on en comprenait la raison, il y avait un raisonnement. Il reprochait à ses compagnons leur manque de courage devant telle ou telle action, il était en admiration devant la beauté du monde ou des êtres. "Je n'ai jamais vu de plus belles femmes que parmi les très pauvres ! ", a-t-il lancé un jour.
Mais ce jour-là il n'y avait pas de logique, pas de projet, pas de leçon à donner. La phrase sortait toute seule, nul ne sut d'où.
Elle m'a longtemps poursuivi et soutenu. Encore aujourd'hui.
Le grand mal, Seigneur, c'est tout simplement de ne pas d'avoir à supporter l'idée que tu ne serais pas là, à nos côtés, comme au fond de nous.
"L'hom me n'est lui-même qu'en présence de Dieu", écrit Frère Roger de Taizé (que j'ai aussi rencontré)¹.
Si je n'ai pas la certitude, visée au dedans de moi, que le Seigneur est bien là, je fais n'importe quoi, je vais à la dérive. La tentation du mal, du malheur. C'est si facile, si tentant, de déprimer quand tout va mal. Et tout va mal, actuellement. C'est si facile, c'est très attirant, de juger l'autre ou de soi-même, comme les auteurs de toutes nos misères.
Cela se passe quand je souffre de son absence. Quand j'ai l'impression d'être seul au monde - ou avec le monde, dans la même galère, sans personne pour rattraper les autres.
Même notre foi est vaine, s'il s'agit seulement de croire. Si je me contente de croire en Dieu, cela reste une idée, des mots "qui virevoltent sans se concrétiser", nous écrit encore Frère Roger. "Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant... " Cela n'a aucun sens si nous en restons là !
La croyance, c'est du vent, en fait. Une illusion, un phantasme.
Le plus grand malheur, c'est de se sentir seul, avec cette seule croyance.
Alors il me faut lutter, en permanence. Sans relâche. Contre mes propres pensées, qui ne sont souvent, elles aussi, que du vent. Des impasses.
Alors quelqu'un vient à mon secours, il fait irruption dans ma vie, en permanence. A chaque instant.
Il fallait bien que quelqu'un vînt remplir ce vide."Cette eau divine remplit alors les bas-fonds de son humilité, et comble les vides de ses désirs", écrit Saint Jean de la Croix ², parlant de l'âme à la recherche de son Dieu.
C'est lorsque je me sens le plus pauvre, sans aide, sans attache, que le Seigneur trouve vraiment sa place. Il n'a qu'à s'installer, les portes lui sont toutes ouvertes, et l'espace à occuper, infini.
C'est lorsque je suis le plus faible que je suis le plus fort, comme nous le rappelle Saint Paul. Car alors je n'ai plus d'autre solution que de me laisser guider, par une main beaucoup plus puissante, sans résister.
________________
¹ VIVRE L'INESPERE, écrit pour l'ouverture du Concile des Jeunes, le 30 août 1974
² LE CANTIQUE SPIRITUEL, strophes 13 et 14
Jérôme van Langermeersch
avril 2016