Bernard Foy, un missionnaire

« Il pourrait se passer des choses tellement fabuleuses... »

 

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J'ai très bien connu le père Bernard Foy, alors que j'étais médecin coopérant dans la région d'OBALA au Cameroun, en 1978 et 1979. Il vient de mourir à Strasbourg, où je l'avais revu il y a 2 ans. Il dépendait de l'Evêque d'Arras, qu'il venait parfois consulter. Missionnaire Spiritain, il a passé 40 ans auprès du peuple Béti, dans la LEKIE. C'est au Sud d'une des boucles de la Sanaga, le plus long fleuve du Cameroun – c'est dans cette région que sont apparus les premiers cas de SIDA dans le monde, vers 1930. Des chasseurs tuaient à la machette un chimpanzé très particulier, ne vivant que là, et porteur sain du virus (VIH) – malencontreux échange de sang entre chasseur et chassé... Celui-ci s'est ensuite propagé vers le Gabon puis la bouillonnante ville de Kinshasa au Congo, puis dans le monde entier.

Dès son arrivée en 1951, Bernard a cherché à connaître la langue, les traditions, les contradictions de ce peuple qui l'accueillait. Face à leurs graves difficultés économiques, liées en grande partie au surpeuplement, il les a aidés à émigrer vers le nord en traversant le fleuve. Aventure périlleuse. Il s'est heurté à beaucoup de réticences. Il a eu du mal à trouver et à convaincre des leaders issus du milieu, indispensables pour la réussite de projets d'une telle envergure.

Bernard Foy était un enseignant – sa première mission a été de diriger une école de garçons. C'était aussi un bâtisseur – dès 1957 il se lance dans la construction d'une église, d'un presbytère, et d'une école (ces 3 bâtiments s'imposent pour les Spiritains). C'était un homme de combat pour la justice, il était obsédé par l'accaparement des richesses par quelques-uns, incapables de partager.

Il explique que pour les Bétis, la notion de Dieu (« Zamba ») est fondamentalement différente de la nôtre – d'où des incompréhensions parfois insurmontables … même au bout de 40 ans de dialogue et de partage.

Zamba a tout fait : le bien et le mal, lui-même et Satan. Surtout il n'a aucun lien avec les hommes, il ne peut pas être affecté par leurs activités. C'est une transcendance absolue, fermée sur elle-même.

Tout le travail de Bernard a été d'expliquer en quoi, pour nous, l'homme peut rencontrer Dieu – à travers Jésus notamment, et vivre avec lui.

C'est le « Suivez-moi ». Les Bétis sont incapables d'entendre pareille invitation, venant de Dieu.

Invitation à la liberté : l'homme a le choix. Et cette liberté-là est inconcevable pour les habitants de la Lékié. Pour eux il faut seulement se soumettre aux lois établies par Zamba, et relayées par les Morts, les Ancêtres avec lesquels il n'y a pas, non plus, de lien possible. Ils ont une place énorme dans la culture Béti.

La sorcellerie est encore très présente dans les croyances et les actes – le premier des fléaux dont souffrent les enfants que des enseignants et moi-même avions interrogés. C'est un des thèmes de ma thèse de médecine, que Bernard m'a aidé à mettre en œuvre : « comment l'enfant peut être un éducateur pour ses parents, pour son milieu ».

En 1986 je revenais d'un deuxième séjour en Inde et au Bangladesh, où j'avais été envoyé par le Père Joseph Wrésinski le fondateur d'ATD Quart-Monde, et aussi par l'Abbé Pierre.

J'avais écrit à Bernard pour lui faire part de mon expérience, et il m'a envoyé une très longue lettre où il exprimait son inquiétude, son angoisse, devant tant de misères et d'inégalités.

Parlant de l'Inde il écrivait :

« Est-ce que ce peuple est capable d'inventer un homme nouveau, capable de créer de nouvelles relations ?... Si l'homme accepte l'Alliance proposée par Dieu, il découvrira un Dieu qu'il n'avait jamais imaginé. Alors il sera obligé de refuser les exclusions, les marginalisations. Et il se placera en tant que créateur, il ne sera plus soumis à ses croyances, ses mythologies... ».

Les racines des maux dont souffre l'humanité sont bien connues, et Bernard en est parfaitement conscient : la cupidité, l'égoïsme, la violence... Mais il suggère une autre dimension : certaines croyances tenaces que nous ne sommes pas libres, que nous sommes soumis à des forces mystérieuses, qui nous paralysent et nous empêchent d'inventer, d'espérer (on peut penser chez nous à nos tendances à la dépression, au découragement... parfois sans motif bien clair).

 

Un jour il m'a dit, à la fin d'une de nos innombrables conversations :

 

« Il pourrait se passer des choses tellement fabuleuses... »

 

Jérôme van Langermeersch, le 04/04/2020