Aime ton prochain comme toi-même
« Dans la Loi il est écrit : « tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et ton prochain comme toi-même » (Evangile selon Luc, 10, 27). Celui auquel s'adresse Jésus cite là le Lévitique (19, 15-18), où ce dixième Commandement est beaucoup plus détaillé : « « vous ne commettrez pas d'injustice en jugeant... tu n'auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère... tu ne te vengeras pas... tu aimeras ton prochain comme toi-même. Car je suis Yahvé »
Dieu donne des ordres, auxquels on ne peut se soustraire, car il pourrait se venger – lui en a le droit, puisqu'il les a tous. Et il ne s'en est pas privé...
Mais ils nous sont très utiles. Et finalement très accessibles. Ils sont une aide puissante lorsque nous sommes tentés (c'est bien une tentation) par la haine, la vengeance, l'injustice. Ce qui peut sembler bizarre aujourd'hui, c'est que Dieu ait eu besoin de nous imposer tout cela, avec une telle violence, et en nous menaçant.
En fait, comme les neuf autres commandements, ce sont les bases de toute vie en communauté – la communauté humaine – si nous la voulons acceptable. Et Dieu sait, pourtant, si ces règles de vie sont bien souvent transgressées – c'est la source de la plupart des grands conflits, des guerres sans fin que les hommes se livrent depuis les temps les plus reculés.
Mais peut-on me donner l'ordre d'aimer mon prochain, et, qui plus est, comme moi-même ?
Nietzche recommande plutôt d'aimer le plus lointain.
« Votre amour du prochain n'est que votre mauvais amour pour vous-mêmes (…)
Plus haut que l'amour du prochain est l'amour du lointain et du futur ; plus haut que l'amour des hommes est l'amour des choses et des fantômes »
(Ainsi parlait Zarathoustra, « de l'amour du prochain »)
L'amour, ça ne se commande pas. Souvent il survient, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, comme un éclair dans la nuit. Il peut durer très longtemps, toute une vie, ou n'être qu'un coup de foudre sans lendemain.
Et il n'est pas souhaitable de trop s'aimer soi-même. Le moi est haïssable. Comme Narcisse admirant son propre visage se reflétant dans l'eau, on risque de se noyer.
Mais il ne faut pas non plus trop se haïr.
Si je ne m'aime pas au moins un peu, je ne peux pas aimer les autres.
Il nous faut trouver le bon dosage, le bon équilibre, à chaque instant en fait.
Je ne m'aime pas, si je crois être seul. Tout change lorsque je découvre en moi quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui ne dit jamais son nom, ni d'où il vient ni où il va. Il est sans cesse en mouvement, et je suis sans cesse à sa recherche. Je sais que je ne le trouverai jamais vraiment. C'est très rassurant. Ainsi tout est ouvert, imaginable. Cela peut s'appeler l'espérance. Si je n'avais plus rien à découvrir de celui qui est en moi, ce serait la tristesse, la mort.
« La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours – puisque je le dis, puisque je l'affirme,
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte... » Paul Eluard
Finalement, se découvrir habité par un autre engage forcément à se tourner vers les autres. Si je ne suis pas seul, j'ai beaucoup plus de courage, j'ai moins peur. Et j'ai envie d'aller à la recherche du mystère de l'autre, comme du mien.
Et je sens bien que c'est à cela que m'appelle celui qui se terre en moi. Il ne veut pas que nous restions comme ça tous les deux, à ne rien faire, ne rien partager.
« Il y a toujours un rêve qui veille, désir à combler, faim à satisfaire,
Un cœur généreux une main tendre...des yeux attentifs
Une vie à se partager (idem).
Aimer, c'est aussi vouloir (c'est le même mot en espagnol : querer. Te quiero, je t'aime, je te veux).
Alors, ça ne tombe pas toujours du ciel.
Et le moi n'est plus haïssable, s'il se donne.
Jérôme van Langermeersch, 10/10/2020