Prier sans cesse
La prière n'apporte pas de solutions. C'est mieux : elle fait des miracles.
Il nous arrive souvent de nous sentir seuls. Même au milieu de la foule. Je me sens seul, impuissant, devant tant de misères. Tous ces réfugiés qui fuient la guerre, que je ne sais pas ou ne veux pas accueillir. Ces milliardaires qui ne veulent pas partager, et contre qui je ne peux rien. Les 1% les plus riches du monde ont autant de fortune cumulée que les 99% restants ! Et personne ne leur dit rien, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes - alors que rien ne va. Et moi je ne fais rien, je ne sais que faire.
De quoi désespérer, avoir envie d'en finir.
Quand cela survient (c'est tout le temps), je m'engouffre dans le silence, l'absence de pensée et aussi de vie. Avec le temps c'est devenu un réflexe. Quelques instants je meurs à moi-même. Et quelqu'un d'autre vit, à ma place. C'est très étonnant.
Je ne suis plus seul. Quelqu'un est là, qui est, lui, sûr de lui. Je suis sûr de Dieu, non pas à travers mes raisonnements - ils ont fait faillite depuis belle lurette - mais parce que lui est sûr, à ma place. Je n'ai rien à faire, rien à dire. Seulement écouter ce silence en moi, "là où personne ne ressemble à personne", comme l'écrit Frère Roger de Taizé [Vivre l'inespéré, 1974].
Frère Roger poursuit : "pourtant tu n'es jamais seul. Laisse-toi sonder jusqu'au coeur de toi même (...) Là le Christ t'attend (...) il est là comme un clandestin, brûlure au coeur de l'homme, lumière dans l'obscurité".
Un clandestin. On appelle parfois les immigrés "des clandestins" ceux qui sont venus illégalement, en cachette. Alors ils semblent menaçants, ils ont fait quelque chose d'interdit. Alors qu'ils n'ont fait que tenter d'échapper à leur mort, la violence, la misère qui tue.
Il me vient souvent l'envie de fuir ma religion, toutes les religions. Souvent ces guerres ont pour origine les religions. C'est insensé, et démoniaque. La religion ne m'apporte pas la paix, ni intérieure, ni extérieure. Au contraire, elle est source de haines, d'injustices, de violences - spécialement envers les femmes.
La foi est bien différente de la religion. Je crois en Dieu - ou plutôt j'en suis sûr. C'est une relation intime, entre lui et moi, et personne n'a le droit de s'immiscer entre nous. C'est notre secret. Les préceptes religieux n'ont rien à faire là. Ils nous dérangent, ils font trop de bruit, ils me font peur.
"Marchez seul avec Dieu, travaillez sous son regard, et ne dévoilez pas les faveurs qu'il vous accorde" (St Jean de la Croix, Avis et Maximes, 216).
La prière incessante, sans relâche, de chaque instant, est pour moi vitale. Une question de survie. Si je ne sens pas au fond de moi une présence, un autre que moi qui veille nuit et jour, je suis inquiet, je renverse tout, je fais n'importe quoi.
"[Les fils d'Adam], tu les caches au secret de ta face, loin des intrigues des hommes (...), loin de la guerre des langues" (Psaume 31,21).
"Prier sans cesse", nous dit Saint Paul (Th5.17).
Jésus déjà nous le recommandait : "Veillez et priez en tout temps, pour avoir la force d'échapper à tout ce qui va arriver" (Luc 21.36).
Si je me tracasse trop, si je déprime à cause du mal qui nous ronge, j'ai envie d'aller me réfugier dans les bras de Dieu, non pour fuir, mais pour y trouver la force.
La prière n'apporte pas de solutions. C'est mieux : elle fait des miracles.
Alors chaque chose, chaque instant, deviennent miracles.
Jérôme van Langermeersch