Mémoire d'avance
celle qui nous permet de prévoir, de faire des projets.
On distingue principalement deux sortes de mémoires : la déclarative et la procédurale.
Notre mémoire déclarative (ou sémantique) fait que nous nous souvenons de faits passés (anciens ou récents) . C'est aussi grâce à elle que l'on retient les chiffres, les lettres, les sons, les images, etc. Elle nous permet de lire, de compter – mais aussi de reconnaître les voix, les visages, les chansons, les lieux, tant d'autres choses encore... Sans mémoire nous serions totalement perdus, et isolés.
La mémoire procédurale est encore plus subtile, presque magique : quand on a appris à faire du vélo ou du ski, en général on n'oublie jamais, et on n'a pas besoin à chaque fois de se remémorer toutes les étapes. Les innombrables gestes, postures, les mouvements de notre corps qui nous servent pour les multiples tâches quotidiennes sont inscrites grâce à cette mémoire qui ne pense pas.
Mais il y a bien d'autres sortes de mémoires. Et si chaque cellule de notre corps est capable de se régénérer périodiquement (tous les 120 jours par exemple pour les globules rouges), c'est bien parce qu'elle se souvient, parce qu'elle sait comment faire pour se reproduire à l'identique avant de mourir – sinon ce serait le chaos total !
Il y a aussi la mémoire du cœur, qui peut nous fait revivre une émotion, un amour, un malaise, en présence d'une personne que l'on n'avait pas revue depuis des années.
Ou seulement en pensant à elle. C'est extraordinaire – bienfaisant, ou maléfique.
Cette mémoire-là je ne sais pas d'où elle vient, ni par où elle passe.
Mais on ne peut pas se souvenir de tout, ni réagir à tout, fort heureusement. Les gens qui ont une très bonne mémoire ne sont pas forcément les plus heureux.
Il faut beaucoup oublier, si nous voulons avancer. Si tous les souvenirs restaient accrochés, ils nous alourdiraient, nous serions figés – ou rancuniers, constamment en train de ruminer.
On parle de devoir de mémoire, nous avons aussi le devoir d'oublier.
Et il y a aussi cette mémoire d'avance, encore plus mystérieuse. C'est celle qui nous permet de prévoir, de faire des projets.
Pré-voir, c'est littéralement voir avant : l'événement, la rencontre ne se sont pas encore produits. Et pourtant on les voit déjà, très nettement parfois – c'est bizarre . Elles nous font peur, elles nous font plaisir – l'émotion et les tremblements nous habitent déjà, alors que rien encore n'a existé. Le corps et l'esprit se souviennent déjà, en avance !
Le jeu d'échecs – un des rares où le hasard n'a aucune place – est fondé sur cette règle d'or : avoir plusieurs coups d'avance. Les meilleurs joueurs sont ceux qui non seulement imaginent les plus belles stratégies, mais surtout prévoient toutes les réactions possibles de leur adversaire. Ils voient tout, d'avance.
Et lorsque je suis malheureux, ou dans un conflit qui s'enlise dans les incompréhensions inextricables, j'aime bien avoir un coup d'avance : me situer déjà au-delà, lorsque tout cela aura cessé, quand l'aurore aura fait place à la nuit. Alors je n'écoute plus mes sombres pensées, ni les arrogances, les propos humiliants.
J'ai déjà passé le cap.
« Je vais me tenir sur mon poste de garde, (…) je guetterai pour voir ce qu'il me dira, ce qu'il va me répondre.
Alors Yahvé me répondit : « C'est une vision qui n'est pas pour son temps... Si elle tarde, attends-là. Elle viendra sûrement... » (Livre du prophète Habacuq, ch. 2)
Je pense souvent à ce texte. Il me sert un peu de phare, de boussole, quand je suis tenté par le découragement. Quand je divague. Je me dis : « Surveille tes propres pensées. Méfie-toi d'elles comme de la peste. Rejette-les si tu vois qu'elles te veulent du mal ».
C'est très facile, le plus souvent, de les déceler. Pour les anéantir.
Il suffit d'être constamment sur ses gardes.
Prêt au meilleur.
Jérôme van Langermeersch, 10/11/2018