Courage fuyons nos pensée
Celui qui a Dieu, rien ne lui manque. Dieu seul suffit.
COURAGE, FUYONS
NOS PENSEES.
Cette nuit-là fut sainte. Comme aucune autre. C'était en plein été, en 2003. Comme mon regard ne rencontrait rien – que la nuit – mes pensées ont suivi : elles se sont engouffrées dans le vide. Non pour y tomber tout à fait, seulement s'y perdre un peu, comme elles aiment tant à le faire. Une jouissance vint. Bizarre. Mon corps et mon âme devinrent suaves, cotonneux. Vaporeux.
Je sus alors d'expérience qu'il était possible de ne pas suivre ses pensées, bêtement, comme un mouton.
Mais choisir une autre voie.
Les pensées ne sont que des premiers mouvements, nous dit Saint Jean de la Croix, comme les autres tentations auxquelles on ne consent pas. Car tout cela ne cause aucun préjudice. (La Montée du Carmel, Livre I chapitre 12)
Au jour j'ai regardé, et j'ai vu que le regard pouvait rendre beau son objet. C'est très étonnant : il me suffit parfois de me fixer sur les contours d'un paysage, d'un visage, d'un corps, d'en absorber chaque mouvement (ou leur immobilité). Ils m'attirent comme je les attire, nous devenons l'un l'autre. D'un simple regard, intense.
L'objet peut être aussi l'homme en prière – c'est très troublant un homme en prière. Comme Dieu lui-même, tous deux mêlés, mélangés.
Je m'invite à prier, et très vite je deviens un autre que moi. Si je restais moi, cela n'aurait aucun sens ni aucun intérêt.
C'est si important, tellement rassurant, de sentir que le chemin de paix est très proche de celui qu'on est en train de suivre. L'odeur de la sainteté est perceptible même dans nos premiers mouvements, si banals soient-ils, pourvu qu'on y prête la plus petite attention.
J'ai souvent vu la perfection se découvrir se dénuder, à côté de moi marchant, ses pas dans les miens. Ou dans le moindre de mes gestes, ou de mes projets.
J'accomplis un acte (le prévu, ou non), et je vois que quelqu'un m'accompagne : c'est moi, et ce n'est pas moi. Une illusion peut-être, une réalité certainement, puisque je sens sa présence, son parfum.
« Cette Vie je l'ai reconnue par éclairs, et son souffle incertain en venant jusqu'à moi, a parfumé un instant mes pensées » (Tagore, la Corbeille de Fruits, 21)
Cette autre-là qui me rend visite puis me pénètre, me fait tressaillir. Voici le signe. Je n'ai rien d'autre à en dire, encore moins à en juger.
« Qu'en penses-tu ? » me demande-t-on souvent. Eh bien rien, je ne veux surtout rien en penser cela gâcherait tout. Et ça ne mènerait à rien.
Ainsi je suis sans cesse hors de moi, parce que mon Seigneur m'y engage. C'est un engagement. Il me pousse dans mes retranchements.
Quand j'ai envie d'être trop moi, quand cela me tente, mon Seigneur me dit (dans le plus grand des silences) : « Là, maintenant, ce n'est pas ta vocation. Ce n'est tout simplement pas possible. Tu comprends, ça ? »
Alors disparaissent les troubles du moment. Ils étaient infondés, de toute façon. Sans assise.
Si tu t'es senti humilié, si tu penses avoir commis une faute, essaie d'abord d'y retourner, d'aller en rechercher la cause, les origines, puis déroule les événements. Va jusqu'au bout. Et puis c'est tout. Ne va pas plus loin – tu es arrivé au bout. Ne va plus te morfondre encore, n'y pense plus. Si ce n'est pas possible, alors continue à y penser – en attendant patiemment que tout cela cesse.
Ce temps viendra bien, allons. Le temps de l'oubli.
Nada te turbe, nada te espante.
Todo se pasa. Dios no se muda. La paciencia todo lo alcanza
Quien a Dios tiene, nada le falta. Sólo Dios, basta
Que rien ne te trouble, que rien ne t'effraie.
Tout passe. Dieu ne change pas. La patience obtient tout.
Celui qui a Dieu, rien ne lui manque. Dieu seul suffit.
(Ste Thérèse d'Avila)
Jérôme van Langermeersch, 14/12/2019 (Saint Jean de la Croix)