Euthanasie ou sédation profonde

 

 

Il y a peu, j'entendais à la radio un médecin de Liège, prenant en charge des personnes en fin de vie : « nous recevons des français désespérés, qui souhaitent que nous mettions fin à leurs souffrances, parce qu'ils croient qu'en France l'euthanasie n'est pas légale – alors qu'en fait elle est maintenant autorisée ». Le journaliste qui l'interviewait ajoutait : « il y a même en France des médecins qui font croire à leurs patients que l'euthanasie est interdite, de peur d'être ensuite poursuivis en justice ».

Lorsqu'il n'y a plus aucun espoir de survie, et surtout si le patient est en proie à d'atroces souffrances, la loi autorise désormais d'effectuer « une sédation profonde et continue jusqu'au décès ». Au fond ce n'est pas bien différent de l'euthanasie, acte de « donner la mort pour abréger les souffrances ».

Bien sûr ce n'est jamais une décision prise à la légère, elle répond à des critères très stricts, et doit être collégiale, afin que cette lourde responsabilité n'incombe pas à un seul professionnel.

Les familles, les malades, n'ont donc plus à se déplacer en Belgique ou ailleurs, et les médecins ont le devoir de les informer.

C'est une loi – dite de Claeys Leonetti (2005, revue en 2016).

Mais la réalité n'est jamais simple, et chaque situation est unique. Le médecin que je suis côtoie la mort, la proximité de la mort, presque chaque jour. Il peut s'agir de patients qui ont voulu se suicider, mais ont survécu. Devenus totalement mutiques, grabataires, ils peuvent être très conscients de tout ce qui se passe autour d'eux – et dans leur chair. Depuis 10 ans, 15 ans, ceux-là veulent mourir, et ne sont plus en capacité physique de se donner la mort. Nous n'avons pas besoin de leurs « directives anticipées », ils ont déjà donné clairement leur avis.

Parfois ce sont des accidents de la route, ou des séquelles d'accidents vasculaires cérébraux. Certains sont des ressuscités, victimes d'un arrêt cardiaque momentané. Ou ce sont des maladies dégénératives, et on les voit se dégrader lentement – parfois très rapidement après une période de stabilité plus ou moins longue. Nous les voyons souffrir physiquement, ils l'expriment par des cris, des pleurs, ou le silence. Surtout au moment des soins, des manipulations.

Nous pouvons décider, avec l'accord des familles, de ne plus les alimenter (ils le sont par sonde gastrique le plus souvent, donc maintenus ainsi en vie artificiellement). Alors on les laisse doucement s'éteindre, en ayant tout entrepris pour qu'ils n'aient pas mal. C'est parfois un débat au sein des équipes soignantes ou avec les familles : l'alimentation est-elle un soin ou un traitement médical ? Si elle est poursuivie, est-ce un acharnement thérapeutique voire une torture ? S'il s'agit d'un soin comme la toilette par exemple, peut-elle être poursuivie ?

 

Nous n'avons aucune réponse toute faite. Heureusement.

Je repense à cet homme, sans domicile, sans aucun lien familial. Nous l'avons accueilli dans notre structure parce qu'il avait une grave affection respiratoire, et il était très dénutri. Il était tout à fait conscient, il acceptait bien nos interventions, il nous parlait toujours très gentiment. Et au bout de quelques semaines il a brutalement changé de comportement. Il refusait la nourriture, il commençait à s'isoler dans sa chambre, à rester replié comme un fœtus. Il s'est mis à avoir mal aux articulations quand on essayait de le bouger. Il émettait alors de grands cris, très impressionnants – nous ne pouvions penser que c'était proportionné à sa douleur, pour nous elle ne pouvait pas être apparue aussi vite. Et les médicaments antalgiques même puissants n'y faisaient rien.

Il est mort pendant une nuit, au bout de quelques jours.

 

Dans ce cas nous n'avons eu aucune décision à prendre. C'est lui-même qui l'a prise.

Lui seul en connaît la raison.

Nous n'avons qu'à nous incliner, humblement.

 

 

 

Je crois que c'est aussi ce qui doit nous guider dans nos prises de position : l'humilité. Nous ne connaissons pas les pensées des patients, surtout s'ils ne parlent pas. Certains s'expriment un peu, par le regard, par les cris, par leur attitude. Ce jeune homme, atteint d'une maladie neurodégénérative qui s'aggrave très vite, est toujours recroquevillé, il est souvent en pleurs. Il ne nous regarde jamais – nous ne connaissons pas ses capacités visuelles. Et pourtant en présence de son père, il devient radieux, son regard s'illumine. C'est très spectaculaire.

 

Mais venant d'autres, rien.

 

Comme s'ils étaient déjà morts.

Jérôme van Langermeersch

le 03/01/2019