Chants d'Amour

Mon Bien-Aimé est comme les fleuves aux eaux bruyantes

 

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Mon Bien-Aimé est comme les fleuves aux eaux bruyantes

Comme le murmure des zéphyrs pleins d'amour

Comme la nuit tranquille

Lorsque commence le lever de l'aurore

 

Saint Jean de la Croix a commencé à écrire le Cantique Spirituel dans la prison de Tolède où il a été incarcéré 9 mois, en 1578. Ces premières strophes ont ensuite circulé dans plusieurs couvents, tous féminins, de carmélites « déchaussées ». Elles ont été transformées au gré des commentaires, des commandes. L'oeuvre s'adresse donc essentiellement à des femmes. On y parle d'amour, et encore d'amour. Et ce long poème semble être écrit par une femme – éprise d'un homme qui l'a un jour séduite, dont elle est devenue folle amoureuse, puis l'a délaissée. Il l'a abandonnée avec cette plaie béante, et son unique obsession est de le retrouver, pour devenir sa femme, s'unir à lui, éternellement – et non plus par à-coups, visions, extases, qui la laissent après chaque expérience comme suspendue dans le vide, mourante.

L'amant est bien Dieu, sans l'ombre d'un doute, et l'auteur se réfère constamment à la Bible pour être sûr de ne pas se tromper, de ne pas nous tromper.

 

Puis ce texte est resté dans l'oubli pendant... 3 siècles et demi.

Comme l'ensemble de l'oeuvre de Saint Jean de la Croix, el Cántico a fait et fait encore l'objet de nombreuses polémiques et interprétations. Ici on le trouve trop sentimental, platonique, abstrait, là au contraire embotado en lo erótico – émoussé, ou engourdi, dans l'érotisme. Certains pensent que le saint se berce d'illusions – alors qu'il lutte constamment contre elles.

C'est un bénédictin français, Dom Philippe Chevallier, qui a fait son travail... de bénédictin : à partir de 1922 il a étudié minutieusement l'ensemble des textes à sa disposition – certains traduits, plus ou moins fidèlement, en italien ou en français. Il en a publié en 1951 (il a pris son temps!) la version officiellement admise aujourd'hui.

 

Je relis constamment St Jean de la Croix. Je connais très bien ces extraits des 13èmes et 14èmes strophes : comme les fleuves aux eaux bruyantes...

Il y a quelques jours, et pour la première fois, j'ai vraiment eu la sensation – alors la certitude – qu'une voix se faisait entendre, qui recouvrait toutes les autres. J'étais une fois de plus en colère contre les injustices, les inégalités entre riches et pauvres, tout se brouillait dans ma tête. L'angoisse. L'impasse. Et à la lecture de ce passage, tout s'est arrêté. Un vrai miracle. Comme si le Seigneur était venu me prendre la main avec force. Avec violence.

Un silence assourdissant.

 

Dans une telle expérience, c'est bien de cela qu'il s'agit : sans me parler on me commande de me taire. De faire cesser ce bruit intérieur, ces jugements qui ne servent à rien.

 

Il ne s'agit plus là d'une histoire d'amour. On me donne un ordre. Sans appel. Et j'ai envie d'obéir, car immédiatement je me sens bien. Rasséréné. Comme si tout cela n'avait pas existé.

Mais quand même : ce « zéphyr plein d'amour », j'aime aussi me sentir bercé par lui. Et c'est facile, puisque tout est redevenu calme. Je peux maintenant écouter la douceur, la suavité (mot cher à Saint Jean de la Croix), de ce que je n'entends pas.

 

Comme Elie sur le mont Horeb (1er livre des Rois, 19). Accablé, découragé par trop de luttes sans résultat, il a envie de mourir. Il s'endort, et Dieu le réveille. Il se manifeste d'abord par un grand bruit, un ouragan qui fendait les montagnes. Puis dans un tremblement de terre, puis un grand feu. Mais Elie ne le reconnaît pas. Ce n'est que lorsqu'il entend la voix d'un silence subtil qu'enfin il le reconnaît. Alors il reprend vie, et courage.

Lorsque commence le lever de l'aurore.

 

lire le cantique spirituel de Saint Jean de la croix

 

Jérôme van Langermeersch, le 19/09/2020