Silences
Le silence revêt de multiples sens, parfois contradictoires.
Comment parler du silence ? Cela paraît être un oxymore.
Et pourtant il y a tant à dire...
Comme bien d'autres mots, celui-là revêt de multiples sens, contradictoires.
« Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourrait être retenu contre vous ». On entend souvent ça dans les films policiers, lorsqu'un malfaiteur se fait arrêter par la police. C'est une injonction, et une mesure de protection – bien dérisoire, car s'il se tait vraiment, cela peut aussi être très lourd de conséquences.
On parle de silence pesant, de silence de mort.
« Serions-nous d'humeur à supporter cette étrangeté, ce froid, ce silence sépulcral, toute cette solitude souterraine... qui se nomme vie, et qui pourrait tout aussi bien se nommer mort ? » Nietzsche, le GAI SAVOIR (ch. 365, « l'ermite parle encore une fois »).
On sait que d es personnes qui ont été abusées sexuellement, surtout quand elles étaient enfants, se murent dans le silence, pendant des années, pour toujours... comme beaucoup de rescapés des camps de concentration nazis. Quand ils parlent enfin, ils expliquent souvent : « je pensais qu'on ne me croirait jamais...»
Récemment Arte diffusait une émission sur les viols systématiques commis par les agents de Bachar El Assad. Avec ce titre glaçant :
« Syrie : le cri étouffé ».
« Si tu ne venais à mon aide Seigneur, bientôt mon âme habiterait le silence » Psaume 94, verset 17 – ici le silence signifie le Shéol, l'Enfer. Etre séparé de Dieu c'est l'Enfer. Le Silence.
Tout autre est le silence que l'on décide. Dont on a envie.
Peu-être parce qu'il semble vital.
Mais faire le silence à l'intérieur de soi, ce n'est pas si facile. Et cela peut faire peur. Certaines personnes n'osent pas s'y risquer, et s'entourent constamment de bruit.
Se retrouver tout seul face à soi-même : cela peut signifier isolement, ennui, ou égoïsme. La vie et la mort mêlées. L'enfer. Et pourtant c'est si important de pouvoir, régulièrement, fuir ses propres pensées. Pourquoi aurions-nous besoin, tout le temps, de réfléchir, porter des jugements sur tout, faire des bilans, des projets ? Est-ce qu'on ne pourrait pas, parfois, se reposer ?
«Quand Dieu conduit [ces âmes] par les chemins de la solitude, ne vous inquiétez pas à la pensée qu'elles ne font rien. Bien qu'elles n'agissent pas, Dieu agit en elles» (St Jean de la Croix, la vive flamme d'amour, strophe 3ème).
Tout est dit là. Si ce n'est plus moi qui agis, mais Dieu à ma place, alors je n'ai plus peur de rien. Ni de m'ennuyer, ni de me tromper. Ni de mourir.
Ici faire silence, ce n'est pas seulement vis-à-vis des autres, mais de soi-même. On entre dans une nouvelle dimension, en fait on devient quelqu'un d'autre.
« Si tu ne parles pas, certes j'endurerai ton silence. J'en emplirai mon coeur. J'attendrai tranquille, la tête bas penchée, pareil à la nuit durant sa vigile étoilée.
Le matin sûrement va venir... » Tagore, l'offrande lyrique, 19.
Après la nuit de solitude, c'est le matin, la lumière.
J'ai remarqué que c'est souvent dans le silence, l'absence ou le minimum de raisonnements, que se préparent les grandes décisions. Les bonnes décisions.
L'idéal serait de ne pas se laisser piéger par le silence. Qu'il ne soit pas notre maître, mais notre esclave. En faire un allié, non un ennemi. Je me sens fort quand je réussis à faire le vide – à oublier. Mais il faut vite remplir ce vide, l'habiter.
Seigneur, ne me laisse jamais tomber. Seul je ne suis pas capable de gérer tout ça, mes angoisses, mes peurs, mes désirs.
Si tu viens en moi, dans mon intimité, je ne craindrai plus aucun mal.
Je serai sans retenue, plein d'audaces.
Capable de tout.
Jérôme van Langermeersch