Mais qui est là ?
Que l'on s'en éloigne ou s'en rapproche, Lui est toujours en nous.
J'ai parfois l'im pression étrange qu'un autre que moi me suit, m'accompagne, alors qu'en réalité il n'y a personne. Je ne sais pas si c'est normal - personne ne m'a dit que cela lui arrivait aussi.
Quelquefois c'est très doux. On a le sentiment de se sentir bien, que rien ne nous arrivera. Une présence amoureuse veille - ou alors sommeille.
C'est un peu cela la prière. En fait ce n'est pas moi qui prie mais Dieu, à l'intérieur. Il y a de multiples façons de le rejoindre. Par exemple, j'enfouis mon visage dans mes mains. C'est tout. C'est tout simplement le «recueillement». Comme on place ses deux mains collées, en creux, pour former une sorte de bol qui va recueillir de l'eau. Là, au lieu de l'eau, c' est le visage auquel elles se configurent. Il est leur prisonnier.
Cette attitude, qui remonte sans doute à la nuit des temps, peut être très efficace. Ainsi mes yeux fermés sont dans le noir complet. Et puis je puis m'absorber dans ce vide qui me tend les bras. Le Seigneur vient très vite, alors, l'occuper - la nature n'aime pas le vide.
Cela me fait penser à certains autistes. Je les cotoie depuis des décennies. Et souvent je me surprends à les imiter. Eux ce sont plutôt les oreilles qu'ils se bouchent, en les recouvrant de leurs deux mains à plat - même s'il n'y a aucun bruit qui pourrait les gêner. Bien sûr on ne sait pas bien interpréter cela. Peut-être vaut-il mieux ne pas s'y risquer. En tout cas ils le font, et on a l'impression que c'est pour se protéger de quelque chose. Ou pour nous envoyer un message : «laissez-moi», «n'essayez pas de me parler ça ne servirait à rien"», «je vous dis sans le dire que je suis seul au monde» - que sais-je.
Finalement je me sens très proche de ces personnes qui ont tant de mal à commumiquer leur détresse. Ou leur joie profonde, trop profonde.
La détresse vient peut-être de ce sentiment que quelqu'un d'autre les habite. Quelqu'un qui leur veut du mal.
Et s'il s'agit d'une joie indicible, c'est parce que l'hôte est bienveillant, amoureux. Et cet amour ne peut pas se communiquer. Parle Seigneur, ton serviteur t'écoute. Va-y parle, même sans mots compréhensibles. Je sais bien que tu es là, ne fais pas l'innocent. Je t'ai reconnu, allons. N'aie pas peur, je ne le dirai pas aux autres. Cela restera notre secret.
Il y a trente ans - je m'en souviens comme si c'était maintenant - j'allais au travail à vélo, entre Oignies et Leforest. Des pensées m'assaillaient, méchantes. Subitement sans le décider, je me suis mis à lever mon bras droit, et à repousser l'air violemment sur le côté - comme pour chasser un gros insecte, alors qu'il n'y avait rien. Cela a suffi à me calmer ! J'ai continué ma route tranquillement, en ayant totalement oublié la raison de mon inquiétude.
Beaucoup de gestes et d'attitudes sont à notre portée, très simples. Certains n'appartiennent qu'à chacun de nous, et à personne d'autre. Ou même ils ne nous appartiennent pas. Ils semblent venir d'ailleurs, en cadeaux du ciel.
Ils nous permettent de nous détacher du monde et de nous-mêmes, d'être en lien direct avec l'au-delà. Pour rendre grâce, ou pour extirper le mal.
«Je suis sorti seul pour ce rendez-vous. Mais qui donc est celui qui me suis dans l'obscurité silencieuse ? Je m'écarte pour éviter sa présence, mais je ne lui échappe pas. Il fait se soulever la poussière avec ses fanfaronnades. Il double de sa voix bruyante chacune de mes paroles.
Il est mon propre moi misérable, ô Seigneur !
Il ne connait aucune honte.
Mais j'ai honte de venir à ta porte en sa compagnie» (TAGORE, l'Offrande Lyrique,30)
Jérôme van Langermeersch