Récits d'un pèlerin russe
La prière peut devenir une habitude, une respiration.
De ce p èlerin-là on ne connait même pas le nom.
Ces récits ont paru pour la première fois en 1870. Ils commencent ainsi : « Par la grâce de Dieu je suis homme et chrétien, par actions grand pécheur, par état pèlerin sans abri, de la plus basse condition, toujours errant de lieu en lieu. Pour avoir, j'ai sur le dos un sac avec du pain sec, dans ma blouse la sainte Bible, et c'est tout »
Sa seule quête est la recherche de Dieu, de sa présence à chaque instant, du sentiment de sa présence. Son point de départ sont les mots de Saint Paul aux Thessaloniciens : « Priez sans cesse ». [1Th, V,17]. Il les a entendus pour la première fois dans une église, au cours d'un office.
Et c'est tout. Alors il essaie d'être de plus en plus seul, il ne se sent bien que seul, en compagnie de Dieu, pour le prier sans cesse. Mais ces récits sont émaillés d'une foule de rencontres, de péripéties incroyables dont il se sort comme par magie. Ou pas. Tout en recherchant constamment la solitude, il est confronté à la misère des autres, la violence, l'alcoolisme, l'altruisme aussi. La douceur, le pardon. La fatigue, le repos. Il aime beaucoup parler, il passe des heures à discuter avec les gens, mais au fond ce n'est pas ça l'essentiel.
Le problème c'est qu'il ne sait pas du tout comment prier, il sait seulement qu'il en a envie. Alors il demande conseil. Un starets – un de ces moines qui vivent en solitaire, une vie d'ascèse et de prière – lui donnera les clefs.
« Il convient, dit-il, de demander très souvent au Seigneur, de nous enseigner à prier sans cesse. (...) Mais c'est là chose fort difficile, si Dieu n'en fait pas don lui-même ».
« Prier est un don », m'a dit un jour le père Joseph Wrésinski. Cela a été un bouleversement dans ma vie. Avant je croyais qu'il fallait faire des efforts pour y parvenir. En fait, il suffit de se laisser faire, happer. Accepter de recevoir ce don. C'est tout.
« Regarde par l'imagination, poursuit le starets, à l'intérieur de ton coeur (...) et dis sur ta respiration : « Seigneur Jésus, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi pécheur » (...) efforce-toi de chasser toutes pensées »
C'est cette petite phrase toute simple – la « prière de Jésus » – qui est pour lui déterminante. Alors qu'il lui est d'abord recommandé de la réciter en solitude, il arrive par la suite à s'en imprégnier, à en vivre – comme la respiration – même quand il est avec d'autres personnes, ou préoccupé par d'autres pensées.
Alors qu'il est accusé injustement d'avoir abusé d'une jeune fille et de l'avoir volée, il est jeté en prison et fouetté. Lorsqu'il est libéré, il s'en va tout joyeux : « tous ces évènements ne me chagrinèrent pas du tout. C'était comme s'ils concernaient quelqu'un d'autre et que j'en fusse le spectateur. Même pendant qu'on me fouettait, j'arrivais à le supporter. La prière réjouissait mon coeur... »
J'ai découvert ce livre il y a 45 ans. La prière de Jésus est devenue une habitude, une respiration. Elle me revient très souvent lorsque j'ai besoin de chasser mes pensées, de m'enfuir loin d'elles. Elles peuvent rester là finalement, ça m'est égal puisque je suis parti ailleurs. Elles ne me concernent plus.
Ou lorsque des souvenirs méchants essaient de revenir à l'assaut.
Venus du temps où j'étais un autre.
Jérôme van Langermeerch