Que signifient les soins palliatifs ?
une réflexion sur l'accompagnement des personnes en fin de vie.
L'idée d'accompagner dignement les personnes en fin de vie est, de façon surprenante, relativement récente.
J'ai rencontré Thérèse Vanier, la soeur de Jean Vanier, en 1973 à l'Arche de Trosly-Breuil. Elle venait de rejoindre Cicely Saunders au Saint Christopher's Hospice de Londres. Ces deux femmes (cela ne pouvait venir que de femmes) ont été parmi les premières à nous parler de soins palliatifs. Elles demandaient d'abord aux équipes soignantes d'avoir une attention de chaque instant envers les mourants - ce qui encore aujourd'hui n'est pas si facile à faire admettre, ni tout simplement à mettre en pratique.
Je me souviens de l'admiration qu'avait pour elle sa maman Pauline Vanier - qui vivait à l'Arche et avec laquelle j'ai eu par la suite beaucoup de longues conversations. Elle mettait en avant la façon dont était agrémenté l'Hospice, avec partout des fleurs comme pour rendre gaie la mort.
En tant que médecin à la Maison d'Accueil Spécialisé de Oignies, et aussi à l'ABEJ à Lille, je côtoie la mort régulièrement.
Les personnes accueillies y meurent à la suite de maladies (surtout des cancers), ou dans le cadre de pathologies neurodégénératives.
En fait chaque situation est unique, et nous avons beaucoup de mal avec les textes de lois, les formulaires pour directives anticipées. Et il est très difficile de se mettre à la place de ces patients, surtout s'ils n'ont plus de langage. Il nous faut le reconnaître humblement, et nous faisons sûrement des erreurs dans notre pratique et nos décisions.
Nous avons aussi nos moments de pauvres joies. L'un de nos résidents, grabataire, en permanence sous ventilation artificielle, ne peut pas nous parler. Plusieurs fois il a failli mourir de détresse respiratoire. Il nous comprend parfaitement – c'est ce que nous aimons croire. Lorsqu'il est heureux, lorsqu'il a entendu l'une de nos plaisanteries, il ouvre grands ses yeux et arbore un large sourire.
Notre premier devoir est de s oulager la souffrance physique – cela ne paraissait pas si évident il y a seulement 25 ans ! Et pourtant cela a aussi été l'une des préoccupations majeures des pionnières du St Christopher's Hospice. Heureusement nous disposons maintenant de médicaments très efficaces, mais pas chez tous les patients, et leur maniement est souvent très délicat.
Plus difficile encore est de soulager la souffrance psychique – et d'abord de comprendre ce que le patient comprend... Certains semblent s'acharner pour survivre jusqu'au bout, d'autres paraissent désirer la mort, en finir au plus vite. Et comme nous, ils peuvent changer d'avis : un jour, un instant, ils ont envie de mourir – et le lendemain, ou beaucoup plus tard, ils veulent vivre à tout prix.
Et beaucoup ne savent pas, probablement, que leur fin est proche... ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose.
Notre devoir est donc d'être, bien sûr, d'être tout près d'eux, et aussi très respectueux devant leurs choix – pour autant qu'ils en aient, pour autant que l'on puisse les deviner.
Respectueux aussi devant notre impuissance.
Nous devons surtout travailler en équipe (c'est aussi dans la loi), car une personne seule ne peut tout prendre en charge, ni surtout prendre les plus graves décisions.
En fait, le terme « soins palliatifs » est mal choisi. La définition du mot palliatif est, selon le dictionnaire Hachette : « mesure provisoire, insuffisante – dont l'efficacité n'est qu'apparente ». Ce n'est pas très encourageant pour les personnes que nous soignons !
Les soins palliatifs sont en général associés à la fin de vie. Cela aussi est source de beaucoup de malentendus. Et entre nous, soignants, nous ne donnons pas toujours le même sens à tous ces mots. Ne sommes-nous pas tous en fin de vie ? Ou entre la vie et la mort ? Qui peut déterminer si le malade est vraiment à la fin de sa vie ? Il peut nous réserver tant de surprises...
Et comme nous ne savons pas ce que lui-même en pense, ni ce qu'il désire vraiment, autant nous focaliser sur les moindres gestes, venant de lui ou de nous. Sur les plus petites lueurs d'espoir. Ou sur celles qui signent vraiment la mort.
Une attention de chaque instant, comme le recommande Cicely Saunders.