Dieu se manifeste dans l'éclair

Qui regarde vers le Seigneur resplendira (Psaume 33)

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« Il vaut mieux porter un lourd fardeau en compagnie d'un fort, qu'un fardeau léger en compagnie d'un faible. Lorsque vous êtes sous le poids des afflictions, vous êtes uni à Dieu, qui est votre force (...) Quand vous êtes sans fardeau, vous n'êtes qu'avec vous-même... » (St Jean de la Croix, AVIS ET MAXIMES, 4)

 

Si on lit attentivement ce texte – et tous ceux qui suivent – on s'engage sur un chemin de toute une vie. Ils tournent tous  autour du thème de la solitude – la solitude sans Dieu. Ou sans guide pour nous acheminer jusqu'à lui.

L'auteur se sert de plusieurs images : ainsi le charbon embrasé, mais isolé, se refroidira au lieu de s'embraser davantage.

 

« Celui qui, étant seul, vient à tomber, reste seul par terre. Il fait bien peu de cas de son âme ,puisqu'il ne se fie qu'à lui seul » (AVIS, 8)

 

J'ai peur de me laisser guider par mes propres pensées, ma raison. Car si je m'aperçois que je me suis trompé, qui me viendra en aide ? La situation pourrait être encore pire qu'avant.

J'aime mieux me fier à mes doutes, à ce qui me semble parfois étrange, étranger. Même si c'est risqué. Tant pis, je prends le risque.

Si je suis trompé, je n'aurai pas de remords. Je ne serai pas responsable, ou pas tellement.

Et si j'ai reçu de bons conseils, je suis gagnant.

 

Il en est ainsi de la prière. C'est même son but premier : ne pas rester seul, se livrer pieds et poings liés à Dieu – l'étrange, l'étranger, celui que je ne connaîtrai jamais.

Je sens bien qu'il me fait du bien, il me fait plaisir, il me rassure. C'est très mystérieux, il n'y a aucune logique, aucune explication. Tant pis, je prends le risque. Même si ça ne dure pas, même s'il faut tout le temps recommencer.

Je sais sa présence, je suis sûr de lui,parce qu'il m'a rendu capable de me laisser faire par lui, en lui abandonnant ma volonté.

Je n'ai pas très envie de trop m'attarder sur ce que je vois, fût-ce une oeuvre d'art – un paysage, un tableau, une femme. J'aime mieux garder d'elle la première image que j'ai reçue en cadeau. Ce visage éblouissant, ce corps qui tremble, un peu. Si je m'appesantis je risque d'être déçu. Car je rechercherai trop ma propre satisfaction, d'autres raisons de la trouver belle – alors que la première impression suffisait. Et je dois me contenter d'en garder le souvenir.

adoration eucharistique adoration eucharistique  

J'ai remarqué que notre Seigneur se révèle plutôt dans l'éclair, en un instant. Puis il disparaît. Et comme l'éclair, il contient une énergie folle, que nous ne savons pas capter, retenir. Alors il faut l'accepter, ne pas chercher à le retenir. Garder seulement bien caché, le souvenir de ce  passage. On retrouve cela dans le mystère de l'Eucharistie : nous mangeons le corps du Christ en un instant, et pourtant c'est sa présence bienfaisante, dans notre corps à nous, qui reste durable, et dont nous pouvons continuer à jouir.

 

« Trop éblouissant pour être vu, Dieu est un Dieu qui aveugle le regard. Le Christ lui, capte ce feu dévorant, et sans éclat laisse Dieu transparaître » (Frère Roger Schutz, VIVRE L'INESPERE)

 

Un soir très tard, il y a très longtemps, j'étais dans la tristesse. Beaucoup de réflexions me trottaient dans la tête. La journée s'était mal passée, je revivais chaque scène, comme si c'était encore possible – alors que tous les acteurs avaient disparu, ils devaient être en train de dormir, eux. J'aurais voulu tordre le cou à ceux qui m'avaient fait mal, me venger, répliquer encore...

J'étais dans la petite rue St Pierre-St Paul à Lille, regardant l'église du même nom. Puis mon regard s'est élevé, tout seul – ce n'était pas moi qui en décidais. Il s'est arrêté sur la Lune, pleine, lumineuse. Et c'est alors que tout s'est arrêté, aussi, dans ma tête. La Lune avait pris toute la place, toutes mes pensées avaient disparu !

Je repense souvent à cette histoire. Elle a été unique dans ma vie – mais j'en ai vécu quelques autres semblables.

Le seul fait de me la remémorer peut me rassurer. Car j'étais devenu capable en cet instant de me donner corps et âme à la Lune, de lui confier mes tourments, mes regrets. C'était elle, au fond, qui prenait tout en charge. En un éclair.

 

Paul Klee 2 Paul Klee 2  

 

Pourtant il ne s'agissait pas de prière, ni de Dieu.

Si je suis capable de me confier, de me donner à un astre mort, je le suis autant, et bien plus, quand c'est le Seigneur lui-même qui s'offre à moi.

Et qui est prêt, à chaque instant, à prendre en charge mes lourds fardeaux.

 

 

 

 

Jérôme van Langermeersch