Leçons d'humilité
L'humilité et l'espérance sont deux sœurs qui s'aiment tendrement.
« Certaines personnes, dès qu'elles s'aperçoivent qu'on va leur enseigner quelque chose, s'empressent de prendre la parole, comme si elles savaient déjà ce qu'on va leur dire. Les humbles au contraire, ne cherchent pas à s'ériger en maîtres de personne.Ils sont tout disposés à suivre leur voie ou à en prendre une autre, car la pensée ne leur vient jamais qu'ils ont raison »
(St Jean de la Croix, La nuit obscure, nuit des sens, ch. II)
Prendre des leçons d'humilité : quelle idée ! On prend des leçons de conduite, de sagesse, de natation... mais être humble, il semble que cela ne s'apprend pas. Certains sont orgueilleux, arrogants, ils pensent qu'ils ont toujours raison. Ce sont les autres qui ont tort. Ces autres-là sont en retrait, ils n'ouvrent pas la bouche. Tout cela semble scellé.
Les pauvres, les humbles de cœur, ne veulent pas donner de leçons aux autres. Ils ne savent pas s'ils ont raison – et l'idée qu'ils pourraient être dans le vrai ne leur vient même pas à l'esprit.
Ils préfèrent rester perpétuellement dans le doute. Situation bien inconfortable – surtout aux yeux des orgueilleux.
Mais c'est au fond très libérateur. Je ne suis sûr de rien, alors je n'ai pas à m'en faire. Je ne cherche pas qui a eu tort, qui a eu raison. Parce que je n'aurai pas vraiment de réponse.
Et je n'essaie pas de convaincre l'autre. Ce serait trop fatigant.
Cette faiblesse-là est une vraie force.
Cette attitude peut paraître inacceptable. Il y a bien des moments où je suis dans le vrai, et l'autre dans l'erreur. Si je suis victime ou témoin d'un acte odieux, évidemment je dois me révolter, et j'ai raison. Si quelqu'un me raconte des mensonges, je dois le remettre à sa place – autant que faire se peut.
Mais cette pensée de St Jean de la Croix, je l'interprète autrement, et cela m'est d'un grand secours. Lorsque je me demande si j'ai bien ou mal agi, si cela me torture et m'envahit, j'entends parfois une voix, douce, apaisante : « ne te tracasse pas. Ne cherche pas à savoir ce qu'il aurait fallu faire. Viens plutôt dans mes bras te consoler. Car il n'y a plus rien à faire maintenant. Tout est bien... »
Au fond c'est une marque d'orgueil que d'aller me demander, encore et encore, si j'ai pris la bonne voie. L'humble au contraire, peut prendre une décision ou une autre, car la pensée ne lui vient jamais qu'il est capable, à lui seul, de prendre la bonne. Il se remet entre les mains d'un autre.
C'est toute notre foi : parce que nous ne savons rien de l'existence de Dieu, nous ne cherchons pas à avoir raison – sur ceux qui ne croient pas. Ce serait absurde, en impasse, et contraire à sa volonté.
L'humilité ça ne veut pas dire s'écraser, se laisser faire par les autres, lorsqu'ils nous veulent du mal. Elle s'entend ici par rapport à soi-même, et ça change tout.
« Peut-être cette erreur, autrefois, alors que tu étais un autre – mais tu es toujours un autre – te fut-elle aussi nécessaire que toutes tes « vérités » actuelles (..) Elle enveloppait comme une peau ce que tu n'avais pas le droit de savoir encore»
(Nietzsche, le Gai Savoir, livre 4ème, 307)
Cette humilité-là est la plus jolie et la plus réjouissante. Elle m'engage à faire fi de mes erreurs passées, Je passe outre. Je m'en moque. Simplement elles me laissaient en attente, en gestation d'un autre, celui que je suis devenu.
En attendant un monde encore meilleur.
L'humilité et l'espérance sont deux sœurs qui s'aiment tendrement.
Jérôme van Langermeersch, le 24/11/2018